VOUS VERREZ PAR VOS OREILLES[1] : L’audiodescription proposée aux personnes malvoyantes et non voyantes dans les musées de France n’est-elle qu’une pollution sonore ?

Emma Bourges, doctorante en anthropologie à l’Université de Bretagne Occidentale

emma [dot] bourges78 [at] gmail [dot] com

Article rédigé dans le cadre du projet N°ANR-20-CE38-0007-03, « Inclusive Museum Guide », porté par Edwige Pissaloux (PU, LITIS/ Université de Rouen Normandie) puis par Katerine Romero (MCF, LITIS/ Université de Rouen Normandie) : étude de philosophie critique des audiodescriptions proposées par les musées de France. Soumis à la revue Canadian Journal of Disability Studies, après révisions, le 27/03/2023.

Résumé

En France, le nombre d’expositions qui ne se limitent pas à « exposer » est croissant, si « exposer » signifie seulement « mettre en vue ». En témoigne l’offre actuelle : « Prière de toucher ! L’art et la matière » proposée par le Musée d’arts de Nantes, « Toucher l’arc-en-ciel » organisée au centre Pompidou ou encore l’exposition olfactive « Parfums d’Orient » présentée à l’Institut du Monde Arabe. Cette invitation à appréhender l’art autrement qu’avec les yeux est révélatrice des actions ambitieuses initiées par les musées depuis les années 1980 pour se rendre plus accessibles aux personnes malvoyantes et non voyantes. Cet article vient cependant nuancer l’optimisme de ce constat en soulignant les erreurs conceptuelles communément faites sur la notion d’accessibilité. L’étude de philosophie critique des audiodescriptions que nous avons menée dans les musées de France nous conduit à émettre l’idée d’une disjonction entre le dispositif de médiation proposé aux visiteurs malvoyants et non voyants et le contenu qu’il divulgue, rarement adapté aux besoins d’un tel public. Nous proposons ici une réflexion critique autour du terme « accessibilité » afin d’en formuler une conceptualisation clarifiée : à distance des contenus pouvant brouiller l’accès du public malvoyant et non voyant aux forces esthétiques des œuvres, nous mettons l’accent sur de récents modèles expérimentaux de médiation sonore qui, en cherchant à produire des expériences polysensorielles, semblent davantage vecteurs d’égalité dans le droit et l’accès à la culture.

Abstract

In France the number of exhibitions that go beyond “exhibiting” is growing - if we consider “exhibiting” as “making visible”. Examples include the current range of exhibitions on offer such as: “Prière de toucher ! L’art et la matière” at the Musée d’arts de Nantes, “Toucher l’arc-en-ciel” at the centre Pompidou or the olfactory exhibition “Parfums d’Orient” on show at the Institut du Monde Arabe. This invitation to experience art in a way that is more than just visual, highly reveals the ambitious initiatives undertaken by museums since the 1980s to make themselves more accessible to people with visual disabilities. However, this article responds to the optimism of this observation by highlighting the conceptual errors commonly made when considering the notion of accessibility. The critical philosophy study that we have carried out on audiodescriptions in French museums has led us to formulate the idea of a disjunction between the mediation systems in place and the content that they disclose, being rarely adapted to the needs of such an audience. We propose here a critical reflection on the term “accessibility” in order to formulate a clearer conceptualisation of it: in order to avoid this disjunction, which blurs the access of audiences with visual disabilities to the aesthetic power of works of art; we focus on recent experimental models of sound mediation, whereby seeking to produce multi-sensory experiences seems to be a more effective vector of equality in the right and access to culture.

Mots-clés : handicap visuel, accessibilité, musée, audiodescription, médiation, multisensorialité

Keywords: visual disability, accessibility, museum, audio description, mediation, multisensoriality



Introduction


- « MAIS QUE FAITES-VOUS ? » s’affole Madame C.

Madame C est historienne de l’art et plasticienne chargée de réaliser la visite guidée « adaptée » Écouter Voir proposée un jour par mois au public malvoyant et non voyant[2], au centre Pompidou, à Paris. Aujourd’hui, nous assistons à la présentation des sculptures de l’artiste allemande Germaine Richier[3]. C’est un samedi matin, il est dix heures et nous nous mêlons à un groupe d’une dizaine de visiteurs.


- « Ah ça non ! » fulmine Madame C en balayant d’un revers de la main celle de Madame S dont les doigts couraient au contact de la sculpture.

- « Dans un musée, on ne touche pas », déclare Madame C, implacable, avant de reprendre le cours de sa narration.

Telle est fréquemment la règle : « il ne faut [...] pas toucher les œuvres, encore moins les lécher[4] ». En effet, si l’offre de médiation ne cesse de croître en France, surtout depuis le vote de la loi n°2005-102 du 11 février 2005[5], celle-ci se fait principalement par la parole et sollicite plus rarement les autres sens des visiteurs. De fait, les musées français sont majoritairement équipés de dispositifs audio ou proposent, à la manière du centre Pompidou, des visites guidées « adaptées » au public malvoyant et non voyant. En cela, la loi n°2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, annonçant que tout établissement porteur de cette appellation a pour obligation de « rendre ses collections accessibles au public le plus large et de concevoir et mettre en œuvre des actions d’éducation et de diffusion visant à assurer l’égal accès de tous à la culture[6] » semble prise en compte et respectée. Si l’on rappelle également l’article 3 de la loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 qui introduit la notion de participation à la vie culturelle des personnes en situation de handicap[7] du point de vue de la création[8], tout semble concourir à une politique d’accueil favorable aux personnes malvoyantes et non voyantes dans les musées français. Les sociologues Frédéric Reichhart et Aggée Lomo concluent ainsi en 2019 leur étude sur l’accessibilité des espaces et des prestations culturelles sur la présence quasi systématique dans les musées de France d’une offre spécifique proposée aux visiteurs « aveugles[9] » . La chercheuse en sciences de l’information et de la communication Cindy Lebat célèbre, quant à elle, « les prémices d’une généralisation de la prise en compte du handicap dans les établissements muséaux[10] ». L’analyse des dispositifs de médiation sonore dédiés au public malvoyant et non voyant que nous avons menée durant deux mois au sein de nombreux musées de France[11] ne nous rend pas si optimistes. Au fil des visites que nous avons réalisées seules ou, lorsque l’occasion se présentait, avec quelques personnes malvoyantes et non voyantes, nous avons été amenées à nous interroger : si dispositif sonore de médiation il y a, son contenu est-il adapté pour autant ? Est-il accessible à chacun ?


Il nous faut préciser ce que nous entendons par « adapté ». Ce terme renvoie communément à l’idée de conformité ; il s’agit de mettre en accord un élément avec une situation. Or, le principe actif reste flou puisque l’on adapte aussi bien « quelqu’un à quelque chose » que « quelque chose à quelqu’un[12] ». On retombe ici sur une thématique fréquemment soulignée par les auteurs spécialistes des études sur le handicap : bien souvent, c’est à la personne en situation de handicap de réaliser ces ajustements constants. Au contraire, par « adapté » nous entendons : quelque chose adapté à quelqu’un.

Le terme « accessible », quant à lui, désigne un lieu ou une situation « dont l’accès est possible ou facile[13] ». C’est donc dans le glissement de l’un à l’autre de ces termes que réside le problème : les pratiques proposées par de nombreux musées en France qui se disent « inclusives » confondent, bien souvent, « accessibilité » et « services adaptés » et ont donc leurs limites. En effet, nous cherchons ici à mettre en évidence que, si des accès aux dispositifs sonores sont ménagés au sein de la sphère muséale française pour les personnes malvoyantes et non voyantes, cela n’engendre pas forcément une corrélation stricte avec un service spécifiquement adapté à ces dernières. Peut-on, dès lors, réellement parler d’accessibilité ?

Pour y répondre, il nous faudra expliquer ce que nous entendons conceptuellement par ce terme et ce que nous plaçons sous l’idée d’accessibilité culturelle. Si la plupart des dispositifs qui sont proposés à ce jour par les musées prennent en compte les volets spatiaux et fonctionnels qu’enveloppe la notion d’accessibilité, nous avons constaté au fil de nos visites que son volet esthétique était généralement ignoré. Il s’agira de démontrer dans une première partie que c’est donc sur une conception partielle de l’accessibilité que les musées s’appuient dans le choix de leurs offres de médiation. C’est pourquoi nous tenterons, dans une seconde partie, de cerner ce à quoi pourrait correspondre un dispositif sonore de médiation qui soit à la fois adapté et accessible. Il faudra, pour cela, changer radicalement de perspective et envisager l’audiodescription dans sa conception créative, c’est-à-dire, non plus comme un simple support du « voir » ou moyen de « voir autrement » les œuvres, mais comme un réel genre artistique pluridisciplinaire et polysensoriel.

Si nous faisons parfois référence, dans la suite du texte, aux impressions empiriques du public malvoyant et non voyant, cette étude ne renvoie pas pour autant à une observation scientifique de ces utilisateurs en contexte muséal. En effet, notre analyse a été menée au gré des vas et viens des visiteurs du musée et s’apparente donc davantage à ce que l’ethnologie appelle « l’observation flottante », soit un travail de documentation réalisé dans un temps informel passé avec un groupe identifié. Certaines des situations vécues par ce public spécifique nous ont semblé particulièrement éclairantes au vu de notre objet de recherche mais ne forment en aucun cas la base d’une réelle enquête appréciative.

« Nous allons commencer par

bien regarder l’œuvre »

« Par accessibilité, on entend produits et services adaptés[14] » annonce en 1999 Claude Gilbert, chargée de mission auprès des personnes en situation de handicap à la Direction des Musées de France. Mais qu’entend-t-on par « produits et services adaptés » ? Durant notre étude, il nous est apparu que pour la plupart des musées, l’accessibilité est fonction d’un accès au bâti ainsi qu’aux contenus exposés. Dès lors, la mise en place de dispositifs alternatifs à la vue semble se suffire à elle-même. Nous considérons cette définition beaucoup trop réductrice et préférons nous appuyer, pour notre démonstration, sur celle proposée par les chercheuses Virginia Kastrup et Raquel Guerreiro[15]. Selon elles, l’accessibilité comporte trois volets.

Le premier correspond à l’accessibilité spatiale et désigne la présence ou l’absence de facilitateurs pour pénétrer et circuler de manière autonome et sécurisée dans le lieu. L’espace comprend-il des escaliers, des obstacles ou, au contraire, des rampes d’accès, des bandes podotactiles fixées au sol, une maquette des bâtiments ou une signalisation auditive pour guider le visiteur ? Depuis le vote de la loi française n°2005-102 du 11 février 2005 soulignant leur devoir d’accessibilité au bâti, rares sont les musées qui n’offrent pas un service spécifique d’accueil des personnes malvoyantes et non voyantes. À titre d’exemple, un fichier audio à télécharger en amont sur les plateformes numériques des musées est régulièrement proposé pour guider les visiteurs depuis les rues jouxtant le musée jusqu’au hall d’accueil, ce qui leur permet d’appréhender l’espace à l’avance. C’est un dispositif très fréquent, notamment proposé par le centre Pompidou ou le Musée du quai Branly à Paris. De même la présence d’un plan en relief à l’entrée du musée est récurrente, ce que l’on trouve par exemple à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris ou au musée des Beaux-Arts de Lyon.

Le second volet identifié par Virginia Kastrup et Raquel Guerreiro est celui de l’accessibilité fonctionnelle et concerne l’accès au contenu culturel et informationnel des œuvres présentées dans les musées. Par exemple, les musées sont-ils équipés de dispositifs sonores ? Les cartels sont-ils traduits en braille ? Des fascicules FALC (Facile À Lire À Comprendre, c’est-à-dire, rédigés dans une police agrandie et traduits en langage compréhensible par tous) sont-ils mis à disposition du public ? La loi n°2005-102 du 11 février 2005 ne légifère pas sur ce point, reléguant au second plan l’accès à l’offre culturelle du musée. Or, nous avons remarqué que si les musées proposent presque systématiquement une médiation sonore au public malvoyant ou non voyant, celle-ci fonctionne très souvent sur un système de QR code à scanner sous les œuvres. Le visiteur malvoyant ou non voyant ne peut donc pas jouir d’une pleine autonomie au sein de l’exposition. Ici, nous nous appuyons sur la définition proposée par Patrick Fougeyrollas et ses collègues : l’autonomie n’est pas un synonyme de « faire une opération ou une activité seul[16] » sinon l’accessibilité serait figée dans un horizon utopique mais renvoie davantage à « la possibilité de décider ou d’exécuter une action sans être assujetti à autrui[17] ». Un système de médiation sonore reposant sur l’identification visuelle de QR codes nous semble donc placer le visiteur malvoyant ou non voyant dans l’obligation d’être accompagné ou bien de participer à une visite médiée et par conséquent organisée, ce qui remet en cause toute la spontanéité de son expérience muséale. Dans un cas comme dans l’autre, c’est à lui de s’adapter au dispositif qui est proposé, ce qui souligne bien, dès ce deuxième volet de l’accessibilité défini par Virginia Kastrup et Raquel Guerreiro, les limites de la plupart des dispositifs sonores proposés par les musées français.

Le dernier volet concerne l’accessibilité esthétique. En d’autres termes, le dispositif audio proposé par le musée est-il à même de rendre compte des forces expressives de l’œuvre décrite ? Ce volet nous apparaît comme primordial au vu de la définition même du musée proposée par l’ICOM en 2007 et fondée sur « l’idée du plaisir et de la délectation d’ordre esthétique[18] ». Ce troisième volet défini par Virginia Kastrup et Raquel Guerreiro entre également en résonance avec la déclaration faite en 2004 par l’European Institute for Design and Disability définissant les objectifs précis de la « Conception pour tous » (« Design for All ») parmi lesquels se situe au premier plan l’injonction à ne pas compromettre l’aspect esthétique dans la création d’objets et d’environnements[19]. Nous souhaitons rebondir sur ce point en citant ironiquement l’entrée en matière de l’audioguide classique proposé par le musée Jacquemart André pour ses collections permanentes :


« Remarquez le dessin incisif et les couleurs acides de cette composition[20] ».

Si un audioguide est mis à disposition des visiteurs, on conviendra aisément qu’il n’est pas adapté aux personnes malvoyantes ou non voyantes et qu’en raison du vocabulaire oculocentré[21] choisi pour commenter les tableaux, celui-ci a plus un rôle d’obstacle à l’expérience esthétique que de médiateur. Loin d’être un fait isolé, cette surutilisation du vocabulaire visuel au sein des audioguides traditionnels est tout à fait omniprésente. En effet, des formules telles que « vous voyez ici », « regardez au premier plan », « observez en détails », « il faut vraiment admirer », « à droite le regard pénètre », « que voit-on ? » etc. sont déclinées à l’infini, comme autant d’injonctions à regarder, visualiser une œuvre. Or, si ces dispositifs n’ont pas, à l’instar des audiodescriptions, été créés dans une démarche d’accessibilité, le ministère de la Culture préconise cependant depuis 2008 d’éviter l’utilisation de ces formules visuelles, très excluantes[22].

Qu’en est-il désormais des dispositifs sonores spécifiquement dédiés aux personnes malvoyantes et non voyantes ? Les audiodescriptions s’émancipent-elles des audioguides traditionnels ou ne sont-elles, à leur instar, qu’une pollution sonore dans les oreilles du public concerné ?

Adapter quelqu’un

à quelque chose

Le terme de « médiation », emprunté au domaine juridique, se rapporte à l’idée de neutralité : un médiateur est en effet une tierce personne qui réalise une entremise entre les partis[23]. Dans le cadre de la sphère muséale, ces partis renvoient d’une part, aux visiteurs, et d’autre part, aux musées. La médiation culturelle se caractérise alors par des « actions d’accompagnement et la construction de dispositifs d’interprétation des œuvres pour des publics ciblés[24] » et a pour objectif de favoriser la diversité des formes d’expression et de participation à la vie culturelle. Dans sa thèse intitulée « Les personnes en situation de handicap sensoriel dans les musées : réalités d’accueil, expériences de visite et trajectoires identitaires », Cindy Lebat nous rappelle que la médiation culturelle est instituée comme objet de recherche légitime depuis une vingtaine d’années, ceci expliquant selon elle l’attention de plus en plus forte portée aux « publics spécifiques[25] » . Or, les audiodescriptions que nous avons testées durant notre étude nous font constater que la médiation culturelle fait, bien souvent, écran aux forces expressives de l’œuvre elle-même. Nous dégageons trois invariants qui concourent précisément à brouiller le contenu esthétique des audiodescriptions.


Le premier invariant concerne l’ensemble des connaissances et des données factuelles délivrées sur les œuvres, l’audiodescription ne proposant qu’une appréhension cognitive de celles-ci. La médiation renvoie alors à la volonté de contextualiser l’œuvre et la vie de l’artiste. Les chercheuses spécialistes de la cécité Marion Chottin et Hannah Thompson le relevaient déjà dans leur article paru en décembre 2021[26] : détails historiographiques et surenchère d’informations empiètent sur l’analyse descriptive des éléments du tableau. Rejoignant ce constat, nous émettons l’idée que cette mise en situation historique quasi systématique engendre une perte du rapport direct à l’œuvre, ce qui parasite finalement l’idée même de médiation. Le Musée d’Orsay, par exemple, propose un dispositif sonore spécifiquement dédié aux personnes malvoyantes ou non voyantes mais au sein duquel le commentaire historique de l’œuvre intervient quasiment toujours avant l’analyse descriptive de celle-ci[27]. La Fondation Cartier pour l’art contemporain, qui forme ses médiateurs culturels à l’accueil des personnes malvoyantes et non voyantes, axe cependant sa médiation des œuvres de Fabrice Hyber[28] sur une approche exclusivement biographique[29]. Nous constatons donc bien une rupture entre le dispositif qui est proposé et son contenu. C’est d’ailleurs la thèse de Marion Chottin et Hannah Thompson qui affirment que c’est justement le manque de considération, de la part des responsables des musées, de la valeur proprement esthétique de l’audiodescription qui impose au visiteur malvoyant ou non voyant une situation liminale en leur sein : si une place lui a été concédée en créant des dispositifs, il reste néanmoins à l’écart de l’exposition en raison des contenus parfois excluants que ces dispositifs proposent[30].

Le second invariant que nous avons découvert renvoie à la dose conséquente de lyrisme utilisé au sein de certaines descriptions sonores, ce qui génère assez souvent un contenu obtus sans descriptif précis de l’œuvre proposée. Pour preuve, le commentaire réalisé par le médiateur de l’œuvre La vallée de Fabrice Hyber :


« L’artiste, faisant courir une rivière tortueuse le long de la toile,
tâche de symboliser les états plus complexes de la vie[31] ».

Le soulèvement poétique l’emporte ici sur l’analyse purement descriptive des éléments du tableau et véhicule de la sorte un message difficilement déchiffrable.

Le troisième invariant est directement lié à l’intervention de spécialistes tels que des historiens, des conservateurs et des critiques d’art dans la création des contenus sonores. Il nous semble que cela engendre une technicité dans le choix des termes employés pour l’analyse picturale des œuvres qui complexifie le rapport à ces dernières. On retrouve ici la surenchère propre au commentaire historique pouvant même parfois mener à certaines aberrations, ce qui se produit notamment dans la description du tableau de Léonard de Vinci La Joconde, exposé au musée du Louvre. Il faut préciser ici que l’audioguide du musée est un audioguide traditionnel qui n’a pas été créé spécifiquement pour le visiteur malvoyant ou non voyant[32]. Faute de mieux, ce dernier peut tout de même être amené à l’utiliser, c’est pourquoi nous y faisons allusion dans cet article. Le spécialiste en charge de réaliser le commentaire du tableau, dans une volonté de contextualisation historique, met l’accent sur la nouveauté radicale de la taille de la composition par rapport aux normes plastiques et esthétiques de l’époque, ce qui lui fait déclarer que :


« La Joconde est un tableau au format monumental ».

Ce qui n’est pas vrai, le portrait de La Joconde étant réalisé sur un cadre en bois de 77 cm par 53 cm, ce qui s’apparente plus à un petit tableau. La médiation est ainsi biaisée par la richesse des commentaires plastiques et s’éloigne, de fait, de la réalité exposée.

C’est donc cette scission entre accessibilité fonctionnelle (présence d’un dispositif) et accessibilité esthétique (le contenu proposé par ce dispositif) qui fait que la plupart des dispositifs sonores proposés dans les musées de France ne peut pas être considérée comme adaptée. Il semble, au vu du précédent développement, qu’un dispositif sonore n’est adapté que lorsqu’il enveloppe les trois volets de l’accessibilité telle que Virginia Kastrup et Raquel Guerreiro la décrivent (spatiale, fonctionnelle et esthétique). En effet, il ne suffit pas que le musée propose un casque audio pour que l’on considère ce dernier comme accessible et par conséquent adapté aux personnes malvoyantes et non voyantes. Nous allons voir, dans un second temps, la manière dont certaines stratégies d’inclusivité parviennent justement à créer les conditions nécessaires à ce que le public malvoyant et non voyant accède aux œuvres d’un point de vue esthétique. En effet, prenant le contrepied de l’expérience traditionnellement monosensorielle du musée, de nouvelles propositions de médiation ont dernièrement émergé en France. Appliquées aux dispositifs sonores, celles-ci prennent la forme d’audiodescriptions dont le contenu insiste sur le fait que le visiteur, constamment exposé à de multiples stimuli au sein de l’expérience commune, a une appréhension du monde avant tout polysensorielle. En effet, il ne s’agit plus de faire voir l’œuvre mais de la faire sentir en sollicitant autrement le public, notamment via des expériences sonores complexes, qui ne se contentent pas de donner de l’information visuelle, mais s’adressent et visent plusieurs sens en même temps.

« Bleu lavande,

jaune miel »

Ces audiodescriptions multisensorielles sont encore peu nombreuses dans la sphère muséale française mais il nous est arrivé d’en découvrir quelques-unes au fil de nos visites. De tels dispositifs, encore au stade expérimental, présentent-ils une version adaptée des anciens modèles d’audiodescription ? Coïncident-t-ils justement avec ce que Virginia Kastrup et Raquel Guerreiro nomment l’accessibilité esthétique ? À savoir, les efforts fournis pour aller au-delà de l’accès à l’information sur les œuvres ou la reconnaissance des formes et tenter d’expérimenter sensiblement l’œuvre, d’accéder à ses forces expressives.


Adapter quelque chose

à quelqu’un

Pour rompre avec « l’opticalisation[33] » des œuvres qui prime jusqu’ici dans les musées français, une médiation s’impose. Laquelle ? Pour Virginia Kastrup et Raquel Guerreiro, cette médiation passe nécessairement par la transposition d’un médium à un autre. En effet, selon elles, une émotion peut être reconstruite et captée par le visiteur[34] malvoyant ou non voyant dès lors qu’il y a passage d’une sémiotique visuelle à d’autres sémiotiques. Nous avons constaté, durant nos visites, que de nombreux essais étaient faits en ce sens. En effet, au musée des Beaux-Arts de Lyon, le visiteur peut, avant de déambuler de tableau en tableau, capter l’atmosphère générale d’une salle par le biais d’un corpus d’œuvres sonores proposées en parallèle des œuvres exposées dans cette salle. Ainsi, en entrant dans la salle dédiée aux peintures de Troubadours, le visiteur écoute simultanément la ballade du Roi de Thulé de Schubert, interprétée par une soprane. Le médium musical donne, sans aucun usage des mots, un avant-goût au visiteur qui peut ainsi se faire une idée personnelle du thème pictural proposé dans la salle de musée. D’autres options lui permettent ensuite de compléter les informations qu’il souhaite recevoir : il peut par exemple choisir d’écouter un podcast historique ou littéraire sur la période ou bien passer directement au commentaire plus descriptif des toiles présentées. On remarque ici que la transposition d’un canal de diffusion verbal à un canal de diffusion musical dépasse la simple instrumentalisation que nous avons découverte au cours de notre étude dans certaines audiodescriptions. Parfois, les bandes sonores sont simplement juxtaposées à une toile sans forcément dialoguer avec elle : l’œuvre est alors uniquement exposée dans un contexte sonorisé, ce qui peut produire un effet assez ornemental. Il nous semble alors que la transposition ne fait pas sens et manque par conséquent son but, à savoir, véhiculer une expressivité esthétique.

Toujours au musée des Beaux-Arts de Lyon, l’audiodescription réalisée pour le tableau La joueuse de clavicorde de Bernardo Cavallino fait entendre la Toccata prima interprétée au clavecin par Michael Angelo Rossi. Le morceau est suivi d’un commentaire réalisé par le claveciniste Thomas Yvrard expliquant que la toccata est un genre musical marqué par les courbes et les volumes et qui signe notamment, en Italie, le passage de la musique de la Renaissance, plus linéaire, à la musique baroque, dépeignant les passions de l’âme, les sentiments humains. Dès lors, la toccata semble bien être le genre le plus approprié pour transposer un tableau qui, comme cela est signalé pour les personnes qui ne voient pas, est lui-même empli de courbes et de couleurs. La Toccata prima permet ainsi de reconstruire, dans un autre langage, la force plastique du tableau.

Au musée des Beaux-Arts de Bordeaux, c’est un autre modèle de transposition sonore qui a été mis en place, à savoir, un système de bruitage. Par exemple, pour La danse de noces de Pieter Bruegel, tableau représentant une scène de festivités, le musée a choisi de rendre compte de cette impression de vitalité et de joie de vivre en faisant écouter au visiteur, avant de lui transmettre le contenu de la peinture, des variations sonores d’applaudissements. On retrouve donc ici la volonté de faire comprendre le dynamisme de l’œuvre, non uniquement par la description, mais par la proposition d’une expérience esthétique s’appuyant sur un autre canal de médiation.

Ainsi, que ce dernier renvoie à un corpus musical général, à un morceau finement choisi ou bien à un système de bruitage, on découvre, dans chaque proposition, la tentative de transmettre, avant tout, une émotion au visiteur.



C’est également le point sur lequel insiste le comédien malvoyant Stéphane Duhaut, avec qui nous avons visité quelques expositions. Celui-ci met l’accent sur l’importance du travail de la voix au sein des audiodescriptions. En effet, si les informations contextuelles et historiques mais aussi descriptives sont, selon lui, loin d’être inintéressantes, elles sont trop factuelles, succinctes, transmises de manière monocorde : l’accent devrait être porté davantage sur la manière de dire les choses que sur les choses dites. Rien ne sert de retranscrire un tableau avec des mots pour essayer de le « faire voir » aux personnes qui ne voient pas, il faut, au contraire, chercher à émouvoir et pour ce comédien, l’émotion passe avant tout par le jeu d’acteur. Certains musées y ont pensé, c’est le cas notamment du Palais de Tokyo ou du Jeu de Paume à Paris, au sein desquels le visiteur malvoyant ou non voyant a la possibilité de profiter des services d’un Souffleur d’images, soit un comédien qui est engagé par le musée pour réaliser une description d’œuvre en direct. Cette méthode rejoint ici la conception traditionnelle de l’audiodescription telle qu’elle est définie dans le champ des études sur le handicap, à savoir, « l’image rendue verbale[35] » et telle que nous la critiquons dans la première partie de cet article. À l’exception près que la description, certes classique dans son contenu, est cependant réalisée dans le cadre d’une performance théâtrale. On assiste donc bien à une transposition d’un canal de diffusion à un autre : la description n’est pas parlée ni racontée, elle est jouée.

Dans le même sens, le musée des Beaux-Arts de Lyon propose le dispositif Des mots une œuvre, créé en collaboration avec le Théâtre National Populaire de Lyon. Le but poursuivi par ce projet est de faire jaillir une émotion à partir d’une fiction rédigée par un auteur et inspirée des œuvres de la collection du musée. Le texte littéraire est, par la suite, lu par un Donneur de voix engagé par la Bibliothèque sonore de Lyon : là aussi, jeu et performance sont convoqués. Le texte qui nous a particulièrement marqué est celui réalisé à partir du tableau La monomane de l’envie de Théodore Géricault : Une âme claustrée, lu par la Donneuse de voix Marie Dessalle, est une immersion de plus d’une vingtaine de minutes dans l’histoire inventée par l’autrice Ananda Devi. Le cumul de ces deux performances dépasse ici largement la simple idée de transposition ; il s’agit bien d’une composition, d’une création à part entière, née d’un croisement de plusieurs médiums visant, selon les termes employés par Devi, à « restaurer une émotion ». On peut se questionner ici sur le statut d’un tel dispositif : l’imaginaire l’emportant largement sur l’analyse des éléments picturaux, peut-on toujours parler d’une audiodescription ? Il nous semble que, intervenant seulement après l’écoute d’un commentaire plus descriptif, ce dispositif intègre toujours notre corpus et propose une médiation particulièrement originale.

« On n’expose pas.

Rien n’est exposé.

Si exposer signifie : mettre en vue[36] »

Faire émaner l’esprit du tableau c’est donc, avant tout, chercher un langage commun : celui de l’affect. Or, cette notion est cruciale si l’on rappelle qu’elle se trouve au cœur des théories de la philosophe Claire Petitmengin et du concept de felt meaning qu’elle propose. Par felt meaning, soit le sens qui est senti[37] , Claire Petitmengin fait référence à un ressenti corporel, qui n’est pas le ressenti d’un seul sens mais renvoie davantage à une impression globale : c’est un sens qui est perçu de manière intuitive, à travers divers registres sensoriels. En effet, « il est transversal et transmodal dans le sens où il dépasse la division de la perception en modalités distinctes[38] ». Le felt meaning est ainsi constitué de sous-modalités sensorielles comme le rythme, l’intensité, le mouvement, etc. Or, ce sont ces sous-modalités sensorielles qui constituent la dynamique subtile de l’expérience esthétique, ce sont ces affects de vitalité[39] que les artistes expriment justement, selon elle, dans leurs œuvres.


Des travaux audiodescriptifs ont cherché à axer leur propos sur ces sous-modalités sensorielles. C’est notamment le cas des audiodescriptions réalisées par le groupe de travail « Découvrir la peinture par l’écoute », membre du projet ANR « Inclusive Museum Guide », qui travaille en étroite collaboration avec l’association PERCEVOIR[40], dans le cadre de l’exposition « Gularri, paysage de l’eau au nord de l’Australie » présentée au Musée du quai Branly. Dans l’œuvre Rangga du peintre Tom Djawa, une palette de couleurs est décrite : « rouge terre cuite, jaune miel, bleu lavande[41] ». Notre première réaction à l’écoute de la description de ce tableau a été de concevoir ces associations comme des images mentales non accessibles aux personnes nées non voyantes. Il nous faut déjà déconstruire ce préjugé : les personnes nées aveugles vivent dans la même culture visuelle que les autres, et, à ce titre, associent aux couleurs toute une série de significations et d’émotions. Puis, il nous faut souligner l’innovation de telles associations d’idées avec ces couleurs. En effet, la finalité de cette description n’est pas métaphorique mais sensorielle : ce que l’audiodescription cherche à faire passer au visiteur, c’est avant tout une idée de texture, de matérialité, à savoir, l’intensité qui réside dans la palette utilisée par l’artiste. Il s’agit donc de transmettre une sous-modalité sensorielle, telle que Claire Petitmengin la définit.

C’est dans cette lignée que nous avons récemment réalisé deux audiodescriptions dans le cadre de la Nuit Européenne des Chercheurs[42]. L’œuvre à décrire était un récif corallien réalisé en ghostnets[43] par l’artiste autochtone Marion Gaemers et dont le nuancier de couleurs se divisait en deux catégories : l’une pâle, l’autre intense et vive. En nous inspirant de l’anecdote notamment relatée par le philosophe Maurice Merleau-Ponty au sujet d’un aveugle « qui disait que le rouge devait être quelque chose comme un coup de trompette[44] », nous avons cherché à traduire vocalement la tonalité des couleurs. En collaboration avec des orthophonistes, nous avons constitué une palette terminologique choisie en fonction de l’identité phonétique de chaque mot. Ainsi, un jaune intense et vif était dit « PeRçant », « cRIard » quand un jaune pâle était « passé », « délavé ». L’intensité des couleurs pouvait ainsi être transmise à travers le rythme vocal que nous empruntions. Cette approche multi-sensorielle visant à éveiller chez le visiteur des affects pose l’hypothèse selon laquelle les personnes malvoyantes ou non voyantes peuvent ressentir les couleurs à travers leur corps. Notre intuition s’est d’ailleurs vue renforcée suite à la découverte du travail de l’artiste chorégraphique et audiodescriptrice, Valérie Castan, qui écrit des textes descriptifs de spectacles chorégraphiques puis les oralise en direct, notamment pour le public malvoyant ou non voyant. En effet, cette dernière aborde l’audiodescription non pas comme une simple médiation, mais bien comme « un laboratoire de recherches et d’expérimentations artistiques[45] ». Décrire un spectacle chorégraphique, c’est « donner à ressentir le geste et l’intention des danseur.ses[46] » grâce à un travail de variation vocale autour des mots empruntés pour décrire un rythme, une intensité... dans les termes de Claire Petitmengin : des sous-modalités sensorielles. En cela, l’approche multisensorielle appliquée aux nouveaux dispositifs d’audiodescription permet une médiation qui, proposant un accès esthétique aux œuvres, est donc adaptée au visiteur malvoyant ou non voyant. Cette approche semble être la seule qui, à ce jour, épouse toutes les dimensions que requiert conceptuellement l’idée d’accessibilité. En effet, la dernière clarification conceptuelle en date proposée par Patrick Fougeyrollas et ses collègues du concept d’accessibilité, quand bien même elle s’attèle à penser un « accès inclusif » universel, n’intègre pas de volet esthétique et semble, à nos yeux, incomplète.


Cette nouvelle forme immersive de muséographie nous permet-elle néanmoins de parler de « virage sensoriel » dans le domaine des arts tel que le suggèrent les sociologues David Howes et Jean-Sébastien Marcoux[47] ? Il nous semble, au même titre que Cindy Lebat, qu’une telle révolution sensorielle ne peut émerger que si les musées accompagnent les visiteurs dans l’amélioration de nouvelles modalités sensorielles d’appréciation de ce qui pourra peut-être d’ici-là être appelée une « muséologie du sensible[48] ». En effet, le rapport d’enquête sur lequel s’appuie cette chercheuse conclut, contrairement à nos observations, que « c’est le motif de la connaissance qui active le plus d’attentes [chez le public malvoyant ou non voyant], tandis que celui de l’expérience esthétique vient au second plan[49] ». Peut-être ce constat est-il fonction d’un profond désintérêt des audiodescriptions, jusqu’à ces dernières années, pour la sphère affective et émotionnelle ? Il s’agirait dès lors, dans la lignée des pratiques multisensorielles d’inclusivité muséale, de réinvestir le langage de l’affect pour ne plus aller à l’encontre de la nature même du musée, à savoir : « permettre une délectation d’ordre esthétique ».

Conclusion

Lorsque le sculpteur Constantin Brancusi expose en 1917 sa Sculpture pour aveugles enfermée dans un sac, avec deux manches-trous pour passer les mains, « la plupart crurent alors à une plaisanterie[50] » nous rappelle le critique Henri-Pierre Roché. C’est que les dispositifs de médiation n’étaient pas un « genre culturel à part entière[51] », pour reprendre les termes de l’écrivaine américaine « légalement[52] » aveugle Georgina Kleege. Le sont-ils néanmoins aujourd’hui ? Nous avons cherché à démontrer que si des avancées considérables ont été faites en matière d’inclusivité des personnes malvoyantes et non voyantes dans les musées, ce constat très positif se fonde en réalité sur l’existence de dispositifs qui confondent ce qui est accessible et ce qui est adapté à un visiteur qui ne voit pas. Les réactions ponctuelles que nous avons pu observer chez le public malvoyant ou non voyant en contexte muséal semblent avoir confirmé notre hypothèse. Nous aurions souhaité collecter davantage d’impressions, en particulier au sujet des nouveaux dispositifs proposés, mais cette étude s’étant profilée au gré des rencontres, nous n’en n’avons recueilli qu’un faible échantillonnage. Si les musées adoptaient une définition enrichie de l’accessibilité, peut-être croiserions-nous dans les expositions à venir davantage de visiteurs malvoyants et non voyants ? Pour cela, il faudrait que cette notion recouvre la totalité des volets définis par Virginia Kastrup et Raquel Guerreiro. Alors, nous serions en accord avec l’équation selon laquelle « par accessibilité, on entend produits et services adaptés » : si le dispositif est accessible physiquement dans son contenu et qu’il est, de plus, susceptible de provoquer des affects chez le visiteur, ce dernier est bien un dispositif adapté. Il va sans dire qu’en appliquant une telle conception de l’accessibilité, seulement une infime partie des œuvres est adaptée au public malvoyant ou non voyant. L’audiodescription n’est donc toujours pas, à ce jour en France, considérée comme un genre culturel à part entière. L’approche multisensorielle des travaux audiodescriptifs cités dans cet article cherche néanmoins à aller en ce sens. En effet, dépassant l’idée que l’art est rétinien et que pour apprécier une œuvre il faut « l’opticaliser[53] » à tout prix, ces dispositifs prônent la revalorisation esthétique de la conception des audiodescriptions : que ce ne soit plus uniquement des outils mais des objets esthétiques en eux-mêmes. En utilisant divers registres sensoriels pour créer une description qui parle à plusieurs de nos sens, ces derniers invitent les visiteurs, qu’ils soient voyants ou non, à vivre une expérience commune, dans un espace commun et d’accès commun, à savoir, qui passe par l’affect et non par l’œil.

« Écoutez donc, il n’y a rien à voir[54] ».

Endnotes

  1. HAUSMANN Raoul, cité par RIOUT Denys, Portes closes et œuvres invisibles, éd. Gallimard, Paris, 2019, chap. 3 : « Autres sens » (Des œuvres à toucher, sentir, écouter), p. 152.
  2. Nous préférons les termes « personne malvoyante » et « personne non voyante » à celui de « personne aveugle » qui, selon nous, ne rend pas compte de la diversité des configurations des troubles de la fonction visuelle.
  3. Visite « adaptée » Écouter Voir du 22 mars 2023, au centre Pompidou, à Paris.
  4. RIOUT Denys, op. cit., p. 152.
  5. Loi n°2005-102 du 11 février 2005, dite « loi handicap », qui fixe l’accès à la culture pour tous dans un ancrage législatif. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000809647/
  6. Loi n°2002-5 du 4 janvier 2002. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000769536/
  7. Nous préférons l’expression « personne en situation de handicap » à « personne handicapée » car nous considérons que le handicap résulte de « l’interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales qui font obstacles à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres » (définition retenue par la Convention Internationale des Droits des Personnes Handicapées et ratifiée par la France le 18 février 2010) et doit, avant tout, être appréhendé par le biais de la situation telle qu’elle est perçue par les personnes concernées.
  8. Article 3 de la loi n°2016-925 du 7 juillet 2016. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000032854341/
  9. REICHHART Frédéric, LOMO Aggée Célestin, « L’offre culturelle française à l’épreuve de la cécité : étude de cas de l’accessibilité au musée », Canadian Journal of Disability Studies, 2019, vol. 8, n° 6, p. 6-23.
  10. LEBAT Cindy, « Les personnes en situation de handicap sensoriel dans les musées : réalités d’accueil, expériences de visite et trajectoires identitaires », Héritage culturel et muséologie, Université Sorbonne Paris Cité, 2018, p. 205.
  11. Étude menée au sein du Musée d’Orsay, du Musée du quai Branly, du musée du Louvre, du musée Jacquemart-André, de la Cité des sciences et de l’industrie, du Musée d’Art Moderne, du Musée de l’Orangerie, de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, du Palais de Tokyo et du Jeu de Paume à Paris, du musée des Beaux-Arts et du musée Confluence à Lyon, du musée des Beaux-Arts de Bordeaux et de nombreux autres musées en France analysés via le contenu proposé sur leurs portails électroniques.
  12. « Adapté », Trésor de la langue française. En ligne : https://www.cnrtl.fr/definition/adapt%C3%A9
  13. « Accessible », ibid. En ligne : https://www.cnrtl.fr/definition/accessible
  14. in REICHHART Frédéric, LOMO Aggée, op. cit, p. 15.
  15. KASTRUP Virginia, GUERREIRO Raquel, « Les œuvres d’art et l’accessibilité esthétique pour les personnes aveugles : quelques stratégies inventives », Canadian Journal of Disability Studies, vol. 8, n°6, 2019, p. 24-43.
  16. FOUGEYROLLAS Patrick, FISET David, DUMONT Israel, GRENIER Yan, BOUCHER Normand, GAMACHE Stéphanie, « Réflexion critique sur la notion d’accessibilité universelle et articulation conceptuelle pour le développement d’environnements inclusif », Développement Humain, Handicap et Changement Social / Human Development, Disability, and Social Change, vol. 25, n°1, 2019, p. 164.
  17. FOUGEYROLLAS Patrick et ses collègues, ibid.
  18. « Musée », ICOM, conseil international des musées, 2007. En ligne : https://icom.museum/fr/.
  19. ERKILIC Mualla, “Conceptual Challenges Between Universal Design and Disability in Relation to the Body, Impairment, and Environment / Where Does the Issue of Disability Stand in the Philosophy of UD?”, METU Journal of the Faculty of Architecture, vol. 28, n° 2, 2012, p. 181-203.
  20. Audiodescription de l’œuvre Le Christ mort sur les genoux de la Vierge de Francesco Botticini.
  21. Centré sur la vue.
  22. Création par le ministère de la Culture, en 2008, d’une charte de l’audiodescription visant à constituer un « cadre de référence pour les professionnels, avec des règles très complètes de qualité et de déontologie, des règles nécessaires pour garantir une bonne audiodescription, qui satisfasse, à la fois, les créateurs et les utilisateurs ». En ligne sur le site du Conseil
    Supérieur de l’audiovisuel : https://www.csa.fr/Media/Files/Espace-Juridique/Chartes/Charte-de-l-audiodescription
  23. BRAUDO Serge, article « Médiation », in BAUMANN Alexis, BRAUDO Serge, Dictionnaire du droit privé français, 1996-2004. En ligne : https://www.dictionnaire-juridique.com/definition/mediation.php
  24. GELLEREAU Michèle, « Pratiques culturelles et médiation », in Sciences de l’information et de la communication : objets, savoirs, discipline, éd. Stéphane Olivesi, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2006, (« La communication en plus »), p. 28.
  25. LEBAT Cindy, op. cit., p. 162.
  26. CHOTTIN Marion, THOMPSON Hannah, “Blindness Gain as World-Making: Creative Audiodescription as a new "partage du sensible"”, L’esprit créateur, Disability’s Worldmaking: Pasts and Futures, vol. 61, n° 4, 2021, p. 32-44.
  27. C’est le cas, par exemple, de l’œuvre de Paul Signac Femmes au puits, de celle d’Henri de Toulouse-Lautrec La Goulue ou encore de celle d’Auguste Renoir, Le Bal du Moulin de la Galette.
  28. Exposition Fabrice Hyber, « La vallée », du 8 décembre 2022 au 30 avril 2023 à la Fondation Cartier pour l’art contemporain.
  29. « Le déversement soudain de cette grande étendue d’eau symbolise l’arrêt cardiaque de son compagnon Pierre Giquel » : description réalisée par le médiateur en charge de la salle contenant Les paysages biographiques de Fabrice Hyber.
  30. CHOTTIN Marion, THOMPSON Hannah, op. cit., p. 36-37.
  31. Exposition Fabrice Hyber, ibid.
  32. Le musée du Louvre, avec sa remarquable Galerie tactile, a axé davantage sa médiation pour les personnes malvoyantes et non voyantes sur le toucher que sur l’ouïe.
  33. RIOUT Denys, op. cit., p. 162.
  34. Le dispositif est conçu autant pour un visiteur voyant que malvoyant ou non voyant.
  35. SNYDER Joel, “Audio description: The visual made verbal”, International Congress Series, vol. 1282, 2005, p. 935-939.
  36. RIOUT Denys, op. cit., p. 157.
  37. PETITMENGIN Claire, “Towards the Source of Thoughts, The Gestural and Transmodal Dimension of Lived Experience”, Journal of Consciousness Studies, vol. 14, n°3, 2007, p. 54-82.
  38. in KASTRUP Virginia, GUERREIRO Raquel, op. cit., p. 34.
  39. Expression créée par STERN Daniel, citée in KASTRUP Virginia, GUERREIRO Raquel, op. cit., p. 34.
  40. PERCEVOIR est une association française qui propose « des activités pour tous faisant appel à nos différents sens de perception (le toucher, l’ouï, l’odorat et le goût) ou faisant abstraction de l’un pour mieux ressentir les autres ».
  41. Audiodescription de l’œuvre Rangga (DJAWA Tom, 1963) exposée au musée du Quai Branly. En ligne : https://www.quaibranly.fr/fileadmin/user_upload/1-Edito/1-Informations-pratiques/6-Outils-de-visite/Audio/2_Description_gr-Hannah.mp3
  42. S’est tenue le 30/09/2023 à Océanopolis (Brest).
  43. Filets de pêche abandonnés en mer, échoués et recyclés par des artistes qui l’utilisent ensuite comme matériau de création.
  44. MERLEAU-PONTY Maurice, Sens et Non-sens, [1948], 5e édition, Paris, Éditions Nagel, 1966, p. 88.
  45. Site officiel du centre de développement chorégraphique national, Toulouse-Occitanie : https://laplacedeladanse.com/le-descriptif-comme-outil-effet-du-reel-recit-choregraphique
  46. Site du musée de la danse, Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne : http://www.museedeladanse.org/fr/articles/workshop-sur-l-audiodescription-avec-valerie-castan.html
  47. HOWES David Howes, MARCOUX Jean-Sébastien, « Introduction à la culture sensible », Anthropologie et Sociétés, vol. 30, n° 3, 2006, p. 7.
  48. LEBAT Cindy, op. cit., p. 371.
  49. in LEBAT Cindy, op. cit., p. 401.
  50. BRANCUSI Constantin, Sculpture pour aveugles exposée aux « Indépendants » de New-York en 1917 in RIOUT Denys, op. cit., p. 152
  51. “A cultural genre in its own right”, traduction réalisée par nos soins in KLEEGE Georgina, More Than Meets the Eye: What Blindness Brings to Art, Oxford University Press, 2018, p. 12.
  52. C’est ainsi qu’elle se définit.
  53. RIOUT Denys, op. cit., p. 162.
  54. RIOUT Denys, op. cit., p. 191.

Bibliographie

Sitographie