Georgia Vrakas (version française)

Psychologue et psychoéducatrice

Professeure agrégé

Département de psychoeducation

Université du Québec à Trois-Rivières | Campus de Québec

georgia [dot] vrakas [at] uqtr [dot] ca

Bonjour, je m’appelle Georgia Vrakas, je suis psychologue, professeure et une personne vivant avec une maladie mentale. Je voulais tout d’abord vous remercier de m’avoir invité à témoigner dans le cadre du Comité mixte spécial sur l'aide médicale à mourir.

Deuxièmement, je veux clairement me positionner contre l’inclusion de la maladie mentale comme seule condition médicale pour l’aide médicale à mourir (AMM). Cela m’interpelle beaucoup comme professionnelle en santé mentale et comme personne vivant avec une maladie mentale depuis que j’ai 23 ans.

Pendant plus de 20 ans, je pensais vivre avec un trouble dépressif majeur. J’ai eu plusieurs épisodes engendrant beaucoup de souffrance et des arrêts de travail. Et des pensées suicidaires. Au mois de mars 2021, j’ai eu ma plus récente rechute. J’étais découragée, voire désillusionnée ayant suivi tous les traitements recommandés : médicaments, psychiatrie, psychothérapie, groupes d’autogestion. Cependant, le problème était que je n’avais pas le bon diagnostic.

J’ai finalement été diagnostiquée le 3 mai 2021 avec un trouble bipolaire II, un trouble mental grave et persistant. Les mois précédents le diagnostic ont été particulièrement souffrants. J’ai pensé sérieusement au suicide. J’avais un plan que j’avais commencé à mettre à exécution. Je me suis finalement rendue à l’urgence.

J’ai aussi parlé à une intervenante du Centre de prévention du suicide: elle m’a aidé à me raccrocher à la vie. Je ne voulais pas mourir, je voulais arrêter de souffrir. C’est pour cela qu’on a ce type de services. Pour nous aider à retrouver de l’espoir. Avec un traitement médicamenteux prometteur, j’ai confiance. Même après 20+ années et plusieurs rechutes, je suis encore debout. Non seulement je suis en vie, mais je compte le rester.

C’est mon histoire personnelle, mais c’est celle de plusieurs autres personnes au Canada. Près de 20 % de la population souffrira d’une maladie mentale au cours de sa vie.[1] Je ne suis pas unique. Selon la littérature scientifique, 90% des personnes qui décèdent par suicide avaient un trouble mental.[2] La maladie mentale ainsi que le suicide sont des problèmes de santé publique qui nécessitent une réponse de santé publique.

L’inclusion de la maladie mentale comme seul motif dans la Loi canadienne sur l’aide médicale à mourir est une réponse politique à un problème de santé publique. Cette loi individualise (JE suis malade, JE veux arrêter de souffrir, etc.) un problème sociétal, celui où la maladie mentale est encore taboue, où l’accès aux services en santé mentale est très difficile, où la recherche en psychiatrie est sous financée, où le financement des programmes de promotion et de prévention continue à diminuer.

Nos gouvernements ont choisi de ne pas investir dans ce qu’il nous faut pour améliorer notre santé mentale en amont ni dans ce qu’il nous faut pour nous rétablir quand on est déjà malade. On est rendu aujourd’hui à vouloir inclure des personnes atteintes de maladies mentales à l’AMM pour supposément nous aider à mieux mourir quand on n’a même pas accès aux services minimaux pour nous aider à mieux vivre. Vivre. Pas survivre. Dans ce contexte, en donnant le OK à l’AMM pour seul motif la maladie mentale, on donne aux gens comme moi un signal clair de désengagement face à la maladie mentale, qu’il n’y pas d’espoir. Que nous sommes des êtres jetables.

Et pourtant, on investit dans la prévention du suicide. On sait que ce n’est pas la mort, mais la fin de la souffrance que cherchent les personnes suicidaires. On dit et on le répète, le suicide n’est pas une option. Comment réconcilier l’AMM avec cela en sachant que 90% des personnes qui décèdent par suicide ont une maladie mentale? Comment différencier ce « désir de mourir » par l’AMM du « désir de se donner la mort »?

On nous dit qu’on ne peut pas exclure la maladie mentale comme seul motif de l’AMM pour ne pas discriminer contre les personnes vivant avec une maladie mentale. Pourtant nous sommes quotidiennement discriminés dans la vie : accès au logement, au travail, à un revenu décent, aux assurances invalidités! Pour moi, l’argument de la discrimination face à la mort ne peut être considéré légitime alors qu’il y a une discrimination face à la vie.

L’AMM pour seul motif la maladie mentale dans le contexte actuel est une solution « facile » pour régler un problème complexe. La solution passe par :

Les vingt dernières années n’ont pas été faciles pour moi côté santé mentale. L’an dernier a été des plus difficiles. Pourtant, je suis encore en vie. Je sais que le chemin vers mon rétablissement sera parsemé d’embûches, mais j’apprends tranquillement à me reconstruire. Le rétablissement ne signifie pas l’élimination de tous nos symptômes, ni un retour à la vie pré-diagnostic. C’est un processus de reconstruction de soi qui inclut la maladie mentale mais qui n’est pas limitée à celle-ci.

Nous sommes plusieurs actuellement à passer par ce chemin cahoteux. Plutôt que de nous arrêter à mi-chemin de notre parcours, donnez-nous une chance, aidez-nous à avancer dans notre processus de rétablissement et à vivre dans la dignité. Le gouvernement du Québec nous a clairement entendu en excluant la maladie mentale de l’AMM. La question maintenant est : est-ce que vous nous entendrez?

Endnotes

1. CMHA (2021). https://cmha.ca/brochure/fast-facts-about-mental-illness/.

2. Mishara, B., & Chagnon, F. (2011). In O’Connor, et al. (Eds), International Handbook of Suicide Prevention: Research, Policy and Practice. UK: John Wiley & Sons, Ltd.