Comment les parents autistes vivent la parentalité? Une étude qualitative des avantages et des défis rencontrés par des parents autistes au Québec

How Autistic Parents Experience Parenting: A Qualitative Study of the Advantages and Challenges Faced by Autistic Parents in Quebec

Marjorie Désormeaux-Moreau
Professeur·e agrégé·e, École de réadaptation
Université de Sherbrooke

marjorie [dot] desormeaux-moreau [at] usherbrooke [dot] ca

Marie-Hélène Poulin
Professeure titulaire, École de psychoéducation
Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

marie-helene [dot] poulin2 [at] uqat [dot] ca

Mélanie Couture
Professeure titulaire, École de réadaptation,
Université de Sherbrooke

Melanie [dot] m [dot] couture [at] usherbrooke [dot] ca

Résumé

Les recherches sur la parentalité et l’autisme se sont principalement attachées à l’expérience de parents présumés allistes d’enfants autistes. Or, les parents autistes peuvent avoir des expériences différentes, influencées par leur fonctionnement neurocognitif. Les inégalités sociales qu’ils rencontrent et les attentes neuronormatives d’être parent peuvent complexifier leur expérience et augmenter leurs défis. S’inscrivant dans une étude descriptive transversale sur la participation sociale des adultes autistes au Québec (Canada), cette étude explore l’expérience parentale d’adultes autistes en documentant les avantages et les difficultés perçues à être parent autiste. Recueillies par le biais d’un questionnaire en ligne, les données ont été soumises à une analyse de contenu inductive. Les avantages d’être parent autiste sont principalement liés à des caractéristiques individuelles souvent associées à l’autisme, tandis que les défis sont principalement liés à des obstacles environnementaux. Être le parent autiste d’un enfant autiste comporte également des avantages et des défis spécifiques, principalement liés à la réalité partagée et à l’(in)compatibilité des besoins entre le parent et l’enfant. Les constats issus de cette étude mettent en évidence la nécessité de reconnaître et de valoriser la diversité des expériences parentales, de même que de remettre en question les attentes neuronormatives concernant la parentalité. Ils soulignent également l’urgence de rompre avec l’impératif de neuronormativité qui invalide et infériorise les parents autistes pour promouvoir des perspectives neuroinclusives et neuroaffirmatives.

Abstract

Most studies on parenting and autism have focused on the experience or perspective of presumably non-autistic parents of autistic children. However, autistic parents may have different experiences and perspectives that are influenced by their neurocognitive functioning. In fact, the social inequalities they encounter and the typical expectations of being a parent can make their experience more difficult and increase the challenges and hurdles they face in their role as parents. This study is part of a larger cross-sectional descriptive study on the social participation of autistic adults in Quebec, Canada. It explored the parental experience of autistic adults by documenting the perceived benefits and difficulties of being an autistic parent. Data were collected through an online questionnaire and analyzed using inductive content analysis. The results show that the advantages of being an autistic parent are mainly related to individual characteristics often associated with autism, while the challenges are mostly related to environmental barriers. Being an autistic parent of an autistic child also entails specific advantages and challenges, mostly related to the shared reality and the (in)compatibility of needs between the parent and the child. Conclusion: The study highlights the need to recognize and value the diversity of parental experiences and to question neuronormative expectation regarding parenting. It also emphasizes the pressing need to move away from the mandate of neuronormativity, which undermines and marginalizes autistic parents, in favour of advocating for neuroinclusive and neuroaffirmative perspectives.

Mots-clés : Parentalité autiste; Expérience parentale; Savoir expérientiel; Neuronormativité


Keywords: Autistic parenting; Parental experience; Experiential knowledge; Neuronormativity



Introduction

La majorité des études sur la parentalité et l’autisme se sont attachées à l’expérience et à la perspective de parents vraisemblablement allistes (c’est-à-dire non autistes) d’enfants autistes. Il est probable que plusieurs des difficultés rapportées par ces parents (par exemple culpabilité de la mère « blâmée » pour avoir transmis l’autisme; conciliation travail-famille; difficultés financières; gestion de comportements dits « destructeurs »; défi de ne pas surprotéger; place laissée à la fratrie [des Rivières-Pigeon, 2014]) soient également vécues par les parents autistes.[1] Néanmoins, les inégalités sociales auxquelles ces derniers sont confrontés, ainsi que les attentes normatives de la parentalité sont susceptibles de complexifier leur expérience et d’augmenter les obstacles à l’exercice de leur rôle parental. Les Autistes, dont les façons de percevoir le monde, de penser, de communiquer, d’agir et d’interagir diffèrent de la majorité, sont fréquemment soumis à des jugements défavorables concernant leurs compétences parentales et leurs stratégies éducatives (Benson, 2023; Murphy, 2021). Leurs compétences et leur style parental tendent à être mal interprétés par les prestataires de services sociaux, qui s’appuient principalement sur une compréhension biomédicale, pathologisante et individualisante de l’autisme (Benson, 2023; Hwang & Heslop, 2023). En effet, la vaste majorité des savoirs scientifiques et professionnels relatifs à la parentalité des Autistes sont issus d’études visant à documenter de prétendus « déficits » ou encore ce qui est perçu comme « manquant » par rapport à la norme. Formulés et articulés par et dans des groupes de personnes chercheuses, cliniciennes ou praticiennes de santé allistes, ces savoirs – dits sur l’autisme (Bertilsdotter Rosqvist et al., 2023) – prennent leur source dans ce qu’on appelle la neuronormativité.

La neuronormativité fait référence à un ensemble de normes, d’attentes et de pratiques qui valorisent un mode de pensée et un fonctionnement neurocognitif perçus comme « normaux », « standards » ou « typiques » (Catala, 2023). Ces normes et pratiques englobent notamment ce qui est jugé approprié en termes de contact visuel, d’expression faciale, de communication, de façons d’agir et de réagir. En raison des variations naturelles qui caractérisent leur fonctionnement neurocognitif, ces normes et ces attentes peuvent être difficiles à comprendre, à percevoir ou à appliquer pour les Autistes (Catala, 2023). À ces pratiques neuronormatives, s’ajoute une compréhension biaisée de l’expérience ainsi que des besoins des parents et des enfants autistes, laquelle s’enracine dans une conception historiquement pathologisante, déficitaire et individualisante de l’autisme. Cette façon de concevoir l’autisme, qui émane d’une tentative d’explication de certains comportements perçus et compris de l’extérieur par des « autorités » œuvrant principalement dans les milieux médicaux et cliniques (Chapman, 2019; Evans, 2013), maintient et perpétue les jugements préjudiciables à l’égard de ce qui ne correspond pas aux normes. Or, l’évaluation des façons d’être et d’agir par rapport à des normes capacitistes – et plus spécifiquement de normes neurocapacitistes dans le cas des Autistes – conduit inévitablement à une différenciation ainsi qu’à une hiérarchisation qui dévaluent les individus dont les capacités (par exemple affectives, psychologiques, intellectuelles ou physiques) ne sont pas conformes aux attentes sociales (Baril, 2013; Masson, 2013). Nombre de personnes autistes sont ainsi stigmatisées, se sentent incomprises dans leurs expériences comme mères et ne reçoivent pas le soutien qu’elles demandent (Pocock, 2022; Pohl et al., 2020) et dont elles, mais également leur famille pourraient bénéficier.

L’essentiel des savoirs disponibles quant à l’expérience de la parentalité des Autistes ne reposent ni sur une perspective expérientielle qui apporterait un éclairage épistémologiquement pertinent ni sur une perspective écologique qui tiendrait compte de la nature multifactorielle et multidimensionnelle de l’expérience parentale. Conséquemment, apprendre des parents autistes est urgent pour mieux accompagner les futurs parents autistes (Murphy, 2021), puisqu’on en sait pour le moment très peu quant à l’expérience de la parentalité des Autistes, qu’il s’agisse du contexte dans lequel celle-ci s’inscrit, les rôles qui s’y rattachent ou encore de la subjectivité qui la caractérise. Très peu d’études se sont attachées à la réalité des parents autistes, et encore moins se sont intéressées à leur expérience de la parentalité (Pohl et al., 2020). Parmi les quelques études à l’avoir fait, certaines s’attardaient à la maternité, en particulier la grossesse et l’accouchement (Donovan, 2020; Gardner et al., 2016); à la satisfaction liée avec la parentalité (Lau & Peterson, 2011); à l’efficacité parentale (Lau et al., 2016); à l’expérience d’élever des enfants (Pohl et al., 2020); au risque accru des mères autistes d’être exposées à des interventions sociales non désirées et aux conséquences de l’interprétation d’indicateurs de neurodivergence sur la base de savoirs neurodominants (Benson, 2023), ou encore aux avantages et inconvénients d’être parent et Autiste, tels que perçus et vécus par des Autistes (Murphy, 2021). Il en résulte que la compréhension des expériences positives de la parentalité des adultes autistes est actuellement fort limitée, tout comme celle des défis rencontrés en lien avec le rôle de parents. À notre connaissance, aucune étude ne s’était attardée à l’expérience de la parentalité d’adultes autistes du Québec (Canada).

Méthode

Cette étude s’inscrit dans une enquête plus vaste, réalisée en suivant une stratégie mixte simultanée, laquelle portait sur la participation sociale d’adultes autistes québécois (Couture et al., 2020). Le présent article se porte exclusivement sur les résultats relatifs aux avantages ainsi qu’aux défis perçus comme liés au fait d’être parent autiste.

Population à l’étude et recrutement

Pour prendre part à l’étude, les personnes participantes devaient être Autistes, résider au Québec, avoir plus de 18 ans et pouvoir communiquer à l’écrit, en français ou en anglais. La perspective recherchée était plus spécifiquement celle d’adultes autistes pouvant porter un regard introspectif sur leur expérience de la parentalité.

La recherche portait sur un sous-groupe de la population autiste, à savoir les personnes ayant été formellement identifiées autistes au terme d’une évaluation professionnelle menée par une personne habilitée à le faire

Reposant sur une stratégie d’échantillonnage volontaire et par réseau, des invitations à participer ont été :

  1. Publiées sur divers réseaux sociaux ;
  2. Relayées par des organisations qui œuvrent au Québec, auprès des personnes autistes;
  3. Transmises aux personnes ayant participé à nos projets antérieurs et ayant accepté d’être resollicitées.

Considérations éthiques

Une certification a été obtenue du comité d’éthique de la recherche avec des êtres humains du Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (#MP-31-2017-1290).

Collecte de données

Les données ont été recueillies au moyen d’un questionnaire électronique. Une enquête en ligne a été privilégiée compte tenu des préférences des personnes autistes pour les formes écrites de communication (Howard & Sedgewick, 2021).

Composé de questions sociodémographiques à choix multiples et de questions à développement court, ce questionnaire a été élaboré aux fins de la recherche. Celui-ci a été soumis à un test de fonctionnalité auprès de deux Autistes, pour en assurer la clarté et la compréhensibilité, de même que pour estimer la durée de sa complétion (≈ 40 min).

Les personnes qui rapportaient être parents étaient invitées à répondre à deux questions qui portaient respectivement sur les avantages de même qu’aux défis perçus comme liés au fait d’être parent et autiste. Parmi ces personnes, celles qui rapportaient être le parent d’au moins un enfant autiste étaient invitées à répondre à deux questions supplémentaires sur les avantages et les défis spécifiques à cette expérience. Les résultats rapportés dans le présent article se rapportent spécifiquement et uniquement aux quatre questions suivantes :

Analyses

Les données recueillies ont fait l’objet d’une analyse de contenu inductive (Paillé et Mucchielli, 2006). L’ensemble des réponses transmises par les personnes participantes ont été codées de façon indépendante par trois personnes, dont l’une (MDM) s’identifie comme mère Autiste. Les données ont été organisées en catégories, puis subdivisées en sous-catégories qui se sont raffinées à mesure que l’analyse progressait. Tous les désaccords ont été résolus par consensus.

Résultats

Description des personnes participantes

Au total, 47 personnes autistes ont participé à l’étude. La majorité était des mères (n=42; 89,4%) âgées de plus de 31 ans (n=42; 89,4%). Un peu moins du trois quarts (n=33; 70,2%) avaient rapporté vivre en couple; près du tiers avait, au moment de l’étude, un (n= 14; 29,8%) ou deux enfants (n= 16; 34,0%); et plus de la moitié (n=30; 63,8%) était parent d’au moins un enfant autiste. Enfin, deux personnes ont fourni des réponses en anglais et 45 personnes des réponses en français. Le Tableau 1 présente les caractéristiques sociodémographiques des personnes participantes.

Tableau 1

Caractéristiques sociodémographiques des personnes participantes (n=47)
Caractéristiques n (%)
Âge
21 - 25 1 (2,1)
26-30 4 (8,51)
31-40 20 (42,6)
41 et plus 22 (46,8)
État civil
Célibataire 5 (10,6)
En couple 33 (70,2)
Séparé·e ou divorcé·e 8 (17,0)
Veuf·ve 1 (2,1)
Nombre d’enfants
1 14 (29,8)
2 16 (34,0)
3 11 (23,4)
4 ou plus 6 (12,8)
Parent d’au moins un enfant autiste
Oui 30 (63,8)
Non 17 (36,2)
Âge à laquelle a eu lieu l’évaluation professionnelle qui a conclu au fait que la personne est autiste
Entre 16 et 20 ans 2 (4,3)
Entre 21 et 25 ans 4 (8,5)
Entre 26 et 30 ans 4 (8,5)
Entre 31 et 40 ans 20 (42,6)
41 ans et plus 16 (34,0)
Donnée manquante 1 (2,1)

Avantages et défis d’être parent autiste

D’abord, l’analyse des données recueillies fait ressortir que les avantages ainsi que les défis perçus à être parent et Autiste diffèrent quant à leur nature. Alors que ces avantages sont attribués à des caractéristiques individuelles souvent associées à l’autisme, la vaste majorité des défis rapportés relèvent de facteurs externes, et plus spécifiquement de barrières environnementales. Enfin, tant les avantages que les défis perçus à être parent autiste d’un enfant autiste se rattachent à l’interaction, voire à l’(in)adéquation perçue entre les réalités et les besoins de l’enfant et du parent.

Avantages d’être parent autiste : lorsque des caractéristiques attribuées à l’autisme agissent comme levier pour soutenir le développement de l’enfant

Bien que toutes les personnes participantes aient répondu à la question concernant les avantages perçus à être parent autiste (n=47), certaines réponses n’ont pu être analysées, puisqu’elles ne faisaient pas explicitement référence à l’expérience de la parentalité, au rôle de parents ou encore au fait d’avoir des enfants (par exemple « J’adore mon côté fébrile des émotions et mon côté artistique, je me sens moi même quand je prends des photos et que j’écris les histoires qu’il y a dans ma tête » - personne participante #452). Au final, les réponses fournies par 33 personnes ont été analysées.

Deux des mères participantes ont rapporté ne pas percevoir d’avantages à être parent autiste, tandis que deux autres personnes participantes, une mère et un père, ont rapporté ne pas en percevoir pour le moment. Parmi les 29 autres personnes participantes, plusieurs ont fait référence aux caractéristiques qui, souvent attribuées aux autistes, représentent selon elles une force pour l’éducation d’un enfant. Plusieurs ont mentionné la cohérence, la prévisibilité et la constance de leur approche et de leurs interventions ou encore leur sens de l’organisation, ce que résume bien les extraits suivants :

« Je suis cohérente, prévisible et constante dans mes interventions auprès de mon enfant. Je lui procure un horaire stable. » (personne participante #213 – mère célibataire d’un enfant)

« Mon bon sens de l’organisation aide lorsque je dois aider plus d’un enfant à faire ses devoirs. » (personne participante#879 – père en couple de trois enfants)

D’autres ont évoqué l’adoption de pratiques informées et le fait d’être en mesure de « prendre des décisions éclairées concernant mes enfants, car je m’informe absolument sur tout » (personne participante # 115 – mère en couple de 2 enfants, dont au moins un est autiste). Sur ce point, une mère en couple d’un enfant a rapporté avoir une « capacité accrue à mettre en application et à maintenir les recommandations [qui seraient données] par des professionnels de la santé ou [trouvées dans] des écrits. Comparativement aux autres parents, je n’abandonne pas par facilité, c’est-à-dire que lorsque je sais ce qui est bien, je le mets réellement en place. » (personne participante #1339). Elle a par ailleurs rapporté qu’être parent autiste lui confère l’avantage de pouvoir « favoriser chez mon enfant le développement d’une pensée critique; par opposition au conformisme que j’observe chez d’autres parents » (personne participante #1339), rejoignant ainsi le propos d’une autre qui a exprimé être « moins rigide sur certaines choses [que les parents allistes] » (personne participante #528 – mère en couple de deux enfants). Enfin, certains parents participants ont évoqué leur compassion et leur hypersensibilité affective, lesquelles aident à « bien saisir les besoins de mon enfant », alors qu’une mère mentionne très simplement, mais très clairement « [avoir] beaucoup d’amour à donner [et être] maternelle. » (personne participante #612 – mère célibataire d’un enfant).

Les avantages d’une réalité partagée, ou l’expérience d’être parent autiste d’un enfant autiste

Parmi les 30 personnes qui ont rapporté avoir au moins un enfant autiste, 26 personnes ont répondu à la question sur les avantages que confèrent cette réalité spécifique. Si deux des mères participantes ont exprimé ne pas y percevoir d’avantage, les autres ont largement évoqué le partage d’une réalité commune, à savoir l’expérience de l’autisme. Une mère séparée de quatre enfants traduit d’ailleurs très clairement cette idée : « je comprends mieux ma fille que le reste de mon entourage. Probablement parce que je suis moi-même autiste. » (personne participante #188).

Globalement, les données recueillies traduisent le fait que la plupart des parents participants considèrent leur capacité à mieux comprendre, à verbaliser, de même qu’à expliquer à autrui les besoins et le vécu de leur enfant autiste comme un avantage, ce qu’une mère en couple de deux enfants attribue à son propre savoir expérientiel : « […] its just that I understand how they feel in a personal way, not just intellectual ideas. » (« c’est juste que je comprends ce que me enfants ressentent d’une manière personnelle, pas juste intellectuelle » - traduction libre; personne participante #4025). L’expérience vécue et le savoir expérientiel des parents participants leur permettent d’« avoir une bonne connaissance, compréhension et lecture des défis et difficultés de mes enfants. De pouvoir les comprendre et les accepter comme ils sont […] » (personne participante #1332 – mère veuve de deux enfants). Une telle compréhension est perçue comme un avantage qui permet de porter un éclairage sur les façons d’être et d’agir de l’enfant, comme l’illustre l’extrait suivant : « Il est également plus facile de ne pas sentir de "rejet" quand nos enfants ne nous regardent pas dans les yeux ou ne veulent pas donner de câlin » (personne participante #1330 – mère en couple de deux enfants). Cette compréhension s’avère également un atout pour soutenir, chez leur enfant, le développement de certaines stratégies alignées à des besoins attribuables à l’autisme, qu’il s’agisse d’adaptation de l’environnement, de la gestion des stimuli sensoriels ou de gestion d’énergie:

« Je suis […] proactive [pour mettre] en place un environnement plus calme et adapté à leur hypersensibilité au bruit et à la lumière. » (personne participante #777 – mère en couple de trois enfants)

« […] je suis bien placée pour la comprendre et l’éduquer pour qu’elle gère sa propre énergie. » (personne participante #720 – mère séparée de 2 enfants)

« Mon conjoint et moi sommes capables de verbaliser ce que nos enfants vivent de manière plus tangible pour les autres adultes étant donné que nous avons, nous aussi, dû passer par là. » (personne participante #1330 – mère en couple de deux enfants)

Enfin, certains parents participants évoquent que cette réalité partagée leur permet de légitimer les besoins et les façons d’être ou de faire de leur enfant sur la base de leur expérience personnelle, qu’il s’agisse de « valider les demandes de mon fils » ou encore d’ «expliqu[er] à mes enfants que j’étais comme eux, on est pas différents! » (personne participante #1316 – mère en couple de deux enfants). Une mère célibataire de quatre enfants y voit d’ailleurs un avantage sur le plan affectif et relationnel, expliquant avoir « un lien très fort avec [ses enfants], car ils se savent compris » (personne participante #709). D’autres estiment qu’être Autiste leur permet de contribuer à la formation d’une image de soi et d’une identité positive chez leur enfant. Alors que quelques personnes évoquent que le fait d’être un parent autiste représente un avantage dans l’acceptation de l’individualité de leur enfant, certaines ont mentionné qu’avoir un enfant autiste leur offre une clé d’interprétation de leur propre réalité : « […] l’observer et la comprendre, c’est aussi me comprendre moi. J’ai tellement grandi à son contact. » (personne participante #1345 – mère en couple de deux enfants). Dans certains cas, un enfant autiste permet de s’émanciper d’un passé culpabilisant (« [mon enfant] m’aide à comprendre ma propre enfance et [à] me pardonner mes erreurs. » - personne participante #690 – mère séparée de trois enfants) ou encore d’être mieux compris par l’autre parent de l’enfant « Permet à mon conjoint de mieux me comprendre » (personne participante #551 – mère en couple de trois enfants).

Défis inhérents au fait d’être parent autiste : lorsque l’environnement représente un obstacle à l’actualisation du rôle parental

Bien que toutes les personnes participantes aient répondu à la question concernant les défis rencontrés (n=47), certaines réponses n’ont pu être incluses, du fait de leur caractère générique qu’on ne pouvait rattacher à la parentalité (par exemple « Je ne devine pas ce que les gens pensent ou ne disent pas. » (personne participante #452) ou encore « trouver un travail que je vais aimer et garder »- personne participante #517). Ce sont donc les réponses de 32 personnes qui ont été analysées.

Certains des défis rapportés par les parents participants sont « les mêmes que tous les parents: éduquer, s’inquiéter et être moins disponibles pour soi et les autres » (personne participante #1314 – mère en couple de deux enfants, dont au moins un est autiste). Quelques parents participants ont fait référence à la gestion du quotidien familial, à « gérer le temps avec le travail, souper, bain, devoirs, etc… » (personne participante #690 – mère séparée de trois enfants, dont au moins un est Autiste) ainsi qu’à la charge mentale de « devoir penser à tout; tout le temps […] » (personne participante #720 – mère séparée de deux enfants, dont au moins un est autiste). Les défis d’une « conciliation travail-emploi presque impossible » (personne participante#152 – père en couple d’un enfant) ont également été évoqués.

L’analyse des données a parallèlement permis d’associer les défis perçus à être un parent autiste à diverses barrières environnementales. Le « manque de soutien adapté » (personne participante #188 – mère séparée de quatre enfants, dont au moins un est Autiste) est rapporté, référant tantôt à l’absence de soutien, tantôt au fait de « se faire donner des milliers de "trucs" par des gens NT [neurotypiques[2]] qui ne comprennent rien à notre dynamique familiale neuroatypique et qui par conséquent ne peuvent pas être appliqués. » (personne participante #1330 – mère en couple de deux enfants, dont au moins un est autiste). Plusieurs ont évoqué les jugements négatifs d’autrui à l’égard de leurs habiletés parentales, certaines personnes participantes rapportant même avoir fait l’objet d’allégations – non avérées, d’incompétence parentale. Un parent participant a mentionné que « À la naissance de ma fille, on a douté de mes compétences parentales. Et on ne me faisait tellement pas confiance qu’ils ont fait un signalement à la DPJ [direction de la protection de la jeunesse]. Finalement, j’ai pu prouver ce que j’étais capable d’accomplir. Je suis une super maman. » (personne participante #612 – mère célibataire d’un enfant). De façon similaire, une autre a exprimé que « Le pire ce sont les rencontres avec les professionnels pour les enfants, médecins, psychoéducateur ou professeur dans le passé. Je ne m’exprime pas adéquatement et cela m’a apporté des déboires avec la DPJ dans le passé. Chaque fois le dossier a été fermé. » (personne participante #777 – mère en couple de trois enfants, dont au moins un est Autiste). « [Faire face au] jugement des acteurs [et prestataires de service] de la petite enfance/enfance » (personne participante #1339 – mère en couple d’un enfant) s’avère un défi qui revient fréquemment dans le discours des personnes participantes, l’une d’elles traduisant bien la crainte engendrée : « J’ai caché mon autisme dans plusieurs situations au fil des ans pour éviter la discrimination. » (personne participante #551 – mère en couple de trois enfants, dont au moins un est autiste). La peur des jugements préjudiciables et de la remise en question des compétences parentales en amènent certaines à éviter de solliciter du soutien: « Ne sachant pas que j’étais autiste, je croyais que mes surcharges sensorielles étaient des faiblesses, donc je me poussais à faire les choses seule, sans demander d’aide, en croyant que mes demandes seraient interprétées par de l’incompétence parentale. » (personne participante #356 – mère en couple d’un enfant).

Aussi, certains parents participants ont exprimé que comprendre et répondre aux besoins de leurs enfants représente l’un des défis d’être parent autiste. Une mère en couple de trois enfants, dont au moins un est Autiste, a évoqué qu’il lui est difficile de « gérer les émotions des enfants. Je peux sembler ne pas m’y intéresser, alors que je ne les comprends juste pas. » (personne participante #777 – mère en couple de trois enfants dont au moins un est Autiste). Une autre mère célibataire de quatre enfants, dont certains sont Autistes et d’autres allistes à quant à elle mentionné qu’un défi, pour elle, est de « bien communiquer avec eux [de r]éussir à comprendre ceux qui sont neurotypiques. » (personne participante #709). D’autres parents participants ont fait mention de l’interaction entre l’expérience de la parentalité et certaines des caractéristiques associées à l’autisme, notamment la perception et gestion des stimuli sensoriels, fatigabilité et les modes d’entrée en relation :

« Il y a eu des défis sensoriels lors de la grossesse et lorsque mon enfant était bébé, mais j’ai réussi à composer avec. » (personne participante #347 – mère en couple d’un enfant)

« Avec les enfants des autres, ça allait, mais avec les miens c’est carrément épuisant. Tout devient une question de [gestion] d’énergie. » (personne participante #720 – mère séparée de deux enfants, dont au moins un est Autiste)

« La sociabilité qu’amène la parentalité (autres parents, profs etc.) » (personne participante #1162 – mère en couple de deux enfants)

« Je ne tolère pas les accolades surprises. Je préfère les accolades de face. Jamais quand je mange. La fille de ma conjointe croyait que je ne l’aimais pas, car je ne veux pas me faire toucher lors des repas. C’est elle qui est assise le plus près de moi et je lui demande régulièrement de me laisser plus d’espace à la table. » (personne participante #879 – père en couple de trois enfants)

« Les interactions, sans arrêt, toute la journée. » (personne participante #1345 – mère en couple de trois enfants, dont au moins un est autiste)

Concilier des besoins qui entrent en compétition, ou l’expérience d’être parent autiste d’un enfant autiste

Sur les 30 personnes qui ont rapporté avoir au moins un enfant autiste, 27 ont mentionné des défis spécifiques à cette réalité. Parmi celles-ci, certaines ont évoqué l’écart entre leur mode de fonctionnement ou leurs besoins et ceux de leur enfant, faisant notamment référence à des « besoins [qui] peuvent être conflictuels » (personne participante#551 – mère en couple de trois enfants). L’une d’elles a expliqué qu’avoir « plusieurs enfants qui ont des besoins particuliers, alors que j’ai, moi aussi, des défis en lien avec mon autisme » complexifie la parentalité (personne participante#1237 – mère divorcée de quatre enfants). Une autre a répondu qu’« être présente pour [mon enfant autiste], lorsque je suis saturée » (personne participante #115 – mère en couple de deux enfants) représente un défi inhérent à sa réalité parentale, alors qu’une autre a mentionné « [Ma fille autiste] a des comportements différents [des miens] et ça me déstructure. » (personne participante #1139 – mère en couple de trois enfants).

Comme pour les défis attribués au fait d’être un parent autiste, plusieurs défis inhérents à l’expérience d’être le parent autiste d’un enfant autiste relèvent de barrières environnementales. « Le manque de compréhension des autres. Leurs jugements, car les gens sont loin d’être aussi ouverts qu’ils le prétendent. » (personne participante #777) ont été évoqués par une mère en couple de trois enfants. La nécessité pour certaines des personnes participantes d’avoir à « défendre [leur enfant] » (personne participante #121 – mère divorcée d’un enfant) a été rapportée, tout comme l’ampleur des démarches à entreprendre pour faire valoir les droits de leurs enfants. À cet effet, une mère veuve de deux enfants a rapporté devoir investir beaucoup de ressources, que ce soit en temps ou en argent, pour « […] protéger mes enfants du système de santé et des services sociaux et obtenir les services scolaires qu’ils ont droit [alors que je me fais] cibler pour étant responsable des difficultés de mes enfants […] » (personne participante #1332). Une autre évoque sa « méfiance [à l’égard] des institutions scolaires et médicales qui [la] rendent réticente à aller chercher des services » et fait référence au « racisme et sexisme dans la vision de l’autisme par les professionnels et la société en général » (personne participante #551 – mère en couple de trois enfants). Un autre parent a souligné le défi posé par le dilemme entre sa compréhension des difficultés de son enfant eu égard aux normes et attentes de la société et son souci de ne pas surprotéger son enfant, tout en soulignant son devoir de protection : « Je sais que c’est difficile pour lui d’entrer dans la société. Je dois résister à la tentation de trop le couver. Je dois aussi le protéger des intervenants incompréhensifs. » (personne participante #734 – mère en couple de deux enfants, dont au moins un est Autiste). S’appuyant sur un constat similaire, une mère divorcée d’un enfant a répondu qu’un des défis d’être parent autiste d’un enfant autiste est que « malgré qu’il y a de l’exclusion et de l’injustice […], outiller [au] mieux mon fils pour le préparer à son avenir, à défendre ses droits, à s’accepter comme il est, à [maintenir son] estime de soi […], à détecter ses forces et ce qui lui fait du bien. » (personne participante #1350).

Enfin, quelques personnes participantes ont évoqué des défis qu’elles attribuent à leur expérience de la parentalité d’un enfant autiste, sans qu’il soit toutefois clairement possible de les mettre en relation avec le fait qu’elles soient elles-mêmes autistes. À titre d’exemple, l’une a fait référence à certains des comportements de son enfant (« Beaucoup de comportements destructifs dans la maison » - personne participante #551 – mère en couple de trois enfants), une autre la stimulation de la motivation scolaire (« Motiver mon enfant pour l’école » - personne participante#1405 – père en couple de trois enfants), alors qu’une autre a mentionné leurs implications sur les activités familiales (« Difficulté à aller dans des endroits publics. Difficulté à avoir des nuits acceptables. » - personne participante #165 – mère en couple de deux enfants). Alternativement, plusieurs ont évoqué le manque ou encore les difficultés d’accès aux services et ressources dont leur enfant aurait besoin (par exemple « accessibilité aux ressources et aux diagnostics, difficulté de ressources scolaires » - (personne participante #1064 – mère en couple d’un enfant), ce que résume bien l’extrait suivant : « Le principal défi c’est de combler tous les besoins avec le manque de services du public. Ce n’est pas toujours possible. » (personne participante #1314 – mère en couple de deux enfants).

Avantages de la parentalité et regard rétrospectif sur l’expérience d’être parent autiste

En terminant, il est possible de dégager, dans les réponses fournies, certains éléments qui, sans être directement rattachés aux avantages d’être parent autiste, se rapportent néanmoins à l’expérience de la parentalité. À titre d’exemple, il a été rapporté qu’avoir des enfants « donne une structure à ma vie […], empêche de rester catatonique toute la journée » et que « Les enfants sont un "buffer" qui facilitent certaines interactions et rendent socialement acceptables certains comportements ou intérêts » (personne participante #551 – mère en couple de trois enfants, dont au moins un est autiste). Un père en couple de deux enfants mentionne quant à lui que la parentalité lui offre des opportunités de rencontres et de socialisation (« cela m’a permis de rencontrer des gens, au parc, par exemple » - personne participante#774). Enfin, une mère en couple d’un enfant a pour sa part indiqué son contentement, voire sa fierté de pouvoir, avec le recul « […] constater que j’ai eu, malgré l’autisme inconnu à ce moment [j’ai] toutes les forces et les capacités d’élever et pourvoir aux besoins d’un enfant, en lui enseignant de nobles valeurs et tous les outils nécessaires à l’autonomie et l’indépendance » (personne participante #356).

Discussion

Deux importants constats ressortent de cette étude qui s’est attachée à documenter les avantages et les défis d’être parents autistes. Le premier concerne les défis perçus, dont la plupart sont liés à des barrières environnementales ainsi qu’à des attentes et des pratiques neuronormatives. Le second se rapporte aux avantages perçus et aux liens que ces parents établissent entre les forces que leur confère l’autisme et l’exercice de leur rôle parental. Les paragraphes qui suivent discutent de ces constats et les mettent en perspective avec les écrits, pour ensuite décrire les forces et les limites de l’étude.

Des défis qui prennent leur source dans une compréhension limitée, voire erronée, ainsi que dans des attentes et des pratiques neuronormatives

Le propos des parents qui ont participé à cette étude illustre bien comment ceux-ci, du fait qu’ils sont Autistes, doivent conjuguer avec les jugements négatifs, ainsi qu’avec des environnements et structures sociales et politiques qui les placent trop souvent en situation de vulnérabilité, les marginalisent et les stigmatisent. Plus encore, le stigmate qui émane de l’intersection avec d’autres facettes minorisées de l’identité de certaines personnes (par exemple le genre, la race, le statut socioéconomique) s’ajoute à la stigmatisation personnelle et collective inhérente à l’autisme, démultipliant leur vulnérabilité. Ce constat fait tristement écho aux constats d’autres études (Benson, 2023; Dugdale et al., 2021; Hampton et al., 2022; Murphy, 2021).

Les multiples conséquences d’une compréhension limitée, voire erronée de l’expérience des parents Autistes

Les parents autistes sont souvent jugés de manière injuste, en raison d’une compréhension limitée de leur expérience de la parentalité et d’un manque de soutien pertinent (Murphy, 2021). Nos résultats mettent en évidence l’absence ou l’inadéquation du soutien offert en regard à la réalité ainsi qu’aux besoins réels des parents autistes, illustrant du coup la tendance à offrir des services qui, comme l’explique Benson (2023), reposent sur des savoirs et des standards neuronormatifs. Déterminés par les personnes désignées comme « normales » (Benson, 2023), c’est-à-dire par un sous-groupe dominant de personnes allistes, ces standards tendent à désavantager les parents et, plus largement, les Autistes. Les personnes qui ont participé à l’étude ont d’ailleurs signalé rencontrer des difficultés dans leurs interactions avec les prestataires de services dont la compréhension de l’autisme est généralement déficitaire et individualisante, un constat également rapporté par Benson (2023), Dugdale et ses collègues (2021) ainsi que Murphy (2021). Sur la base d’une telle conception de l’autisme, ces difficultés sont généralement attribuées aux parents autistes. Or, nous sommes plutôt d’avis que celles-ci prennent leur source à l’intersection de l’impératif de neuronormativité (Benson, 2023) et du double problème de l’empathie (Milton, 2012; Milton et al., 2022), voire le triple problème de l’empathie (Shaw et al., 2023).

Introduit par Damian Milton (20212), un chercheur britannique autiste, le double problème de l’empathie (en anglais, « double empathy problem ») est un concept qui permet de rompre avec l’interprétation dominante qui situe les enjeux de communication qui surviennent entre personnes autistes et allistes dans la cognition ainsi que dans les « déficits » des Autistes. Le double problème de l’empathie met en évidence que les incompréhensions entre personnes autistes et allistes résultent d’un problème mutuel et interpersonnel, soulignant ainsi la nature socialement située de la communication et de la réciprocité sociale. L’explication que propose le double problème de l’empathie est soutenue par un nombre croissant d’études qui documentent en quoi et comment les personnes allistes tendent à interpréter de façon erronée et défavorable les façons d’être, d’agir et de communiquer des Autistes (consulter Mitchell et al. [2021] pour une revue critique).

De manière analogue, le triple problème de l’empathie (en anglais « triple empathy problem ») met en lumière les obstacles auxquels sont confrontées les personnes autistes lorsqu’elles accèdent à des services de santé, sociaux ou éducatifs. Il révèle le décalage de communication, le doute et la remise en question de soi, de même que la méfiance des Autistes envers les prestataires de services, généralement allistes. En conséquence, certaines personnes autistes évitent ces services en raison des difficultés qu’elles rencontrent, ce que nos résultats mettent d’ailleurs en lumière. Le manque de compréhension de l’autisme, en particulier de la part des personnes qui œuvrent dans les milieux de l’éducation, de la santé et des services sociaux, expose les parents autistes au risque d’être injustement jugés incompétents, parfois avec des conséquences graves. Bien que la protection et le bien-être des enfants soient primordiaux, il semble que trop souvent, les comportements et les façons de faire qui dévient des normes établies et valorisées sont jugés à tort comme abusifs ou négligents (Benson, 2023). Cette comparaison entre la parentalité des Autistes à celle des allistes s’avère préjudiciable non seulement pour les parents autistes (Murphy, 2021), mais aussi pour leur famille. La stigmatisation des comportements de l’enfant par les prestataires de services éclabousse leur parent autiste qui tend à être blâmé pour les difficultés de l’enfant. Encore une fois, et comme le suggère Benson (2023), il nous semble que ce soit d’abord et avant tout l’impératif de neuronormativité qui contribue à la marginalisation tant cognitive que sociale des parents Autistes et de leur famille. Pour les parents autistes d’enfants autistes qui ont participé à notre étude, l’accompagnement de leur enfant dans un monde alliste s’ajoute aux défis ainsi qu’à leurs propres difficultés à naviguer dans des environnements neuronormatifs – une réalité également soulevée Murphy (2021).

Des attentes et des pratiques neuronormatives aux implications significatives

Les parents Autistes font souvent l’objet de doute quant à leur aptitude à être parents – des questionnement qui s’entremêlent aux présupposés sur la parentalité, perçue comme une responsabilité individuelle. Ces présupposés concernant la capacité à individuellement réaliser les tâches et les occupations inhérentes aux rôles de parent – et qui plus est, selon des standards neuronormatifs, ont des implications significatives pour les parents autistes. Il est d’ailleurs facile de penser que les parents Autistes qui travaillent à temps plein (52 % de notre échantillon) ou qui sont aux études (17 % de notre échantillon) font également face à des exigences neuronormatives dans ces rôles auxquels ils doivent faire face et s’adapter. Qu’elles soient intellectualisées ou pas, les Autistes ont recours à diverses stratégies pour se conformer aux attentes neuronormatives, un processus connu sous le nom de camouflage social (Miller et al, 2021; Pearson et Rose, 2021). Pour les parents autistes, le camouflage social[3] augmente la charge quotidienne, tant sur les plans émotionnel et cognitif que sur le plan de la gestion de l’énergie, affectant potentiellement leur rôle parental et leur participation aux activités familiales. Ainsi, même les défis qui pourraient être perçus comme inhérents à la personne (par exemple stratégies d’organisation au quotidien, compréhension des besoins des enfants, gestion des stimuli sensoriels) gagneraient à être reconsidérés dans une perspective non seulement neuroinclusive, mais également collectiviste.

À cet égard, l’éclairage apporté par des travaux féministes sur le handicap qui remettent en question les présupposés centrés sur l’autonomie individuelle des mères, stipulant que celles-ci devraient être en mesure de s’occuper seules de leurs enfants, en les amenant à développer leur propre indépendance et leur propre autonomie (Clímaco, 2020) nous parait fort pertinent. Les réflexions relativement à ce que signifie l’indépendance dans le contexte de la réalisation d’occupations humaines – incluant celles inhérentes au rôle de parent – sont également importantes, puisqu’elles remettent en question l’idée dominante selon laquelle l’indépendance devrait être interprétée comme la capacité à accomplir des tâches par soi-même, sans interaction ni aide (humain ou non humaine), par opposition une interprétation sous l’angle de l’autonomie et des choix dans la façon dont les occupations sont réalisées, voire dans le choix des occupations à réaliser (Collins, 2017; Reindal, 1999). De fait, l’indépendance des parents autistes, ne saurait se mesurer à l’aune de la neuronormativité, mais plutôt par la liberté de choisir et d’agir selon des modalités qui respectent leur identité et leur fonctionnement neurocognitif. Ainsi, une approche collectiviste de la parentalité permettrait de passer d’une logique déficitaire où l’on cherche à pallier les déficits individuels pour habileter les Autistes à exercer leur rôle parental de façon individuelle et conforme aux attentes sociales à une approche qui mise sur l’entraide pour potentialiser sur une diversité de forces et soutenir l’éducation des enfants. L’adage ne dit-il d’ailleurs pas qu’il faut un village pour élever un enfant?

Reconnaître et potentialiser sur des forces associées à l’autisme pour exercer son rôle parental

Le second constat qui émane de nos résultats concerne les avantages perçus à être parent autiste. Il concerne plus spécifiquement le lien entre les forces rapportées par les parents autistes qui ont participé à l’étude et l’exercice de leur rôle parental, ajoutant ainsi aux arguments invitant à reconsidérer la façon de penser et comprendre l’autisme. En effet, alors que la plupart des défis évoqués se rattachaient clairement à l’environnement, la totalité des forces abordées relève des caractéristiques individuelles, dont plusieurs peuvent être liées à des attributs fréquemment associés à l’autisme (par exemple constance, stabilité et prévisibilité; pratiques parentales critiques et informées; compensation). Un tel résultat est important, surtout lorsqu’il est contrasté avec le fait que ce n’est pas le cas pour ce qui est des défis perçus, et ce, en dépit de la représentation déficitaire de l’autisme qui prévaut encore aujourd’hui dans la société québécoise. Ce constat ne nous semble pas sans lien avec le fait que les Autistes sont plus enclins à soutenir des modèles d’acceptation de l’autisme (comme la neurodiversité) que les allistes (Kapp et al., 2013). À cet égard, il est intéressant d’observer que les parents autistes sont en mesure de passer outre la rhétorique historiquement déshumanisante qui les concerne pour reconnaître leurs forces. Sachant que toute personne cherche à avoir une identité et une estime de soi positive (Amer et Howart, 2016), il est possible d’interpréter le contraste avantageux fait par certaines des personnes qui ont participé à l’étude entre leur propre style parental et celui de parents allistes comme une stratégie pour assurer une construction et une protection positive de leur identité en tant que parent Autiste. Enfin, rappelons que nos résultats soulignent les bénéfices de partager un fonctionnement autistique pour mieux comprendre les besoins de l’enfant et l’accompagner. Couplée à une compréhension des obstacles que pose notre société neuronormative, cette connaissance de ses forces individuelles ainsi que des attributs positifs de l’autisme est également une façon pour les parents autistes de contribuer à la formation d’une identité positive chez leurs enfants autistes.

Comprendre les avantages et les défis d’être parent autiste pour transformer les normes et les pratiques actuelles

Les résultats de cette étude mettent en évidence en quoi les services sociaux et plus largement la société, semblent faillir dans leur rôle de soutien aux parents autistes, et ce, compte tenu d’attentes et de pratiques neuronormatives. S’attarder aux avantages ainsi qu’aux défis perçus et vécus par des Autistes dans l’exercice de leur rôle parental invite à reconsidérer la façon dont ces parents sont perçus et le type de soutien qui leur est offert. En effet, les constats issus de cette étude permettent de mieux comprendre l’expérience de parents autistes québécois et suggèrent des pistes de réflexion. Concrètement, il convient de déconstruire les idées pathologisantes, déficitaires et stéréotypées véhiculées à l’égard des parents autistes, en augmentant les connaissances des prestataires de services professionnels sur la réalité des Autistes (Hwang & Heslop, 2023). Il est essentiel de mieux comprendre la réalité des parents autistes et de brosser un portrait juste et pertinent de leurs compétences, en utilisant une approche basée sur les forces. Pour ce faire, il faut rompre avec l’impératif de neuronormativité qui ne contribue qu’à l’invalidation de même qu’à l’infériorisation des Autistes – et plus largement de toutes personnes neurominorisées, pour promouvoir des perspectives et des approches neuroinclusives et neuroaffirmatives. Plus encore, les personnes qui ont la responsabilité d’évaluer les compétences parentales doivent non seulement être bien informées des caractéristiques inhérentes à l’autisme pour éviter de créer du stress plutôt que d’aider (Murphy, 2021), mais aussi développer des compétences culturelles informées par les réalités ainsi que les vécus autistiques et plus largement neurominorisés. Surtout, il est important que ces personnes prennent conscience qu’il y a plusieurs bonnes façons d’être parent et que si les parents autistes peuvent avoir des pratiques qui diffèrent de celles des parents allistes (Hill, 2017; Smit & Hopper, 2023) celles-ci ne sont pas pour autant moins adéquates (Murphy, 2021).

Forces et limites de l’étude

Bien qu’un nombre croissant d’études s’attardent à la réalité d’adultes autistes, aucune n’avait à notre connaissance porté sur la perception d’Autistes du Québec quant aux avantages ainsi qu’aux défis d’être parent. Le fait que l’analyse des données ait été réalisée par trois personnes blanches qui sont nées et ont été formées au Québec représente une limite, notre interprétation des résultats étant évidemment située et limitée par nos points de vue respectifs. Le fait que les analyses aient été menées sous le leadership d’une mère Autiste (Désormeaux-Moreau) est quant à lui une force qui contribue à la validité épistémologique des constats issus de l’étude. Enfin, si l’utilisation d’un questionnaire ouvert a pu contribuer à rendre l’étude accessible à des personnes non-oralisantes, ce choix a pu limiter la participation d’autres personnes en raison de leur maîtrise du français ou de l’anglais écrit.

Conclusion

En décrivant les avantages et les défis perçus par les parents autistes, cet article pourrait contribuer à changer les attitudes et les perceptions à l’égard des Autistes, qui sont trop souvent entachées d’idées préconçues négatives et de préjugés. En effet, il ressort clairement des résultats que les avantages d’être un parent autiste sont basés sur des caractéristiques individuelles, tandis que les défis perçus sont non seulement liés à des caractéristiques individuelles, mais aussi, et surtout liés à la société.

La portée de la contribution de ces résultats est importante, étant donné que très peu de ressources sont disponibles pour soutenir les Autistes dans leur rôle de parent et que celles qui existent sont essentiellement des approches centrées sur le développement des capacités et des compétences - inspirées d’une compréhension déficitaire. Or, les résultats de cette étude appellent plutôt à des actions au niveau des politiques et structures sociales, visant à déconstruire les perceptions erronées ainsi qu’à aplanir les obstacles systémiques que rencontrent les Autistes qui sont parents.

Sans ignorer les défis auxquels sont confrontés les parents autistes, ces résultats sont susceptibles de rassembler les personnes concernées autour d’une expérience positive commune, contribuant ainsi à la valorisation des atouts que l’autisme confère à l’exercice de leur rôle parental.

Endnotes

  1. Dans cet article, et à l’instar de (Désormeaux-Moreau et Courcy, sous presse), nous utilisons alternativement les termes « Autiste » et « personne autiste ». Cette alternance se veut le reflet de la diversité des préférences terminologiques et des revendications identitaires observées dans les communautés autistes. En effet, certaines personnes se décrivent autistes (avec un « a » minuscule), considérant qu’il s’agit d’un état, d’une condition ou d’une façon d’être. D’autres s’identifient Autistes (avec un « a » majuscule), estimant qu’il s’agit d’une partie intégrante de leur identité et de leur culture. Par ailleurs, nous utilisons le terme « alliste », sans majuscule, pour désigner les personnes qui ne sont pas Autistes, l’usage que nous en faisons ne faisant ici pas référence à une culture ou à une histoire partagée.
  2. Le terme « neurotypique » fait référence aux profils de fonctionnement neurocognitifs normalisés (Catala, 2023). Cela étant, et bien que cet usage soit erroné, il est parfois utilisé pour faire référence aux allistes – c’est-à-dire aux personnes non autistes. Le terme « neuroatypique » fait référence aux profils de fonctionnements neurocognitifs qui, ne correspondant pas aux attentes et aux normes sociales dominantes, sont dits « anormaux », « atypiques », « divergents ».
  3. Le camouflage social a de nombreux effets néfastes : fatigue et épuisement; stress et anxiété; confusion et perte d’identité; isolement ou auto-exclusion. Le camouflage social est également corrélé avec un bien-être réduit, un taux de dépression plus élevé, ainsi qu’avec la suicidalité (Chapman et Botha, 2023).

References