Décoloniser le handicap : enseignements de Tx̱eemsim et voix des terres de la nation Nisg̱a’a[1]

Decolonizing disability: Teachings from Tx̱eemsim and voices from the lands of the Nisg̱a’a Nation

Rheanna E. Robinson, Ph. D.
Professeure agrégée en études des Premières Nations
Université du nord de la Colombie-Britannique

rheanna [dot] Robinson [at] unbc [dot] ca

Résumé

Les perspectives autochtones concernant le handicap sont sous-représentées dans la littérature scientifique. Cet article présente les perspectives traditionnelles et les expériences contemporaines concernant le handicap à travers des témoignages de personnes venant des terres de la nation Nisga’a. Influencée par la théorie autochtone, cette étude de cas est basée sur des entretiens semi-structurés avec six leaders de la communauté autochtone, dont Simgigat (chef·fes héréditaires) et Sigidim Haanaḵ’ (matriarches). Quatre thèmes ont émergé de ces discussions : (1) les lois et protocoles culturels autochtones édictent des principes d’équité et d’inclusion; (2) la langue, le lien familial élargi et la culture éclairent les perspectives autochtones concernant le handicap; (3) le don du handicap est célébré par le biais de récits; et (4) la colonisation a eu un impact négatif sur le handicap au sein des peuples autochtones. De plus, cette étude démontre le besoin d’approfondir les recherches sur la politique contemporaine et historique en matière de handicap dans la Loi sur les Indiens ainsi que sur les handicaps dans le contexte des pensionnats pour Autochtones. La présente étude examine l’imposition des identités occidentales du handicap, construites de manière coloniale, tout en démontrant que les connaissances, les traditions et les pratiques autochtones sont essentielles à la décolonisation des conceptions du handicap au Canada et dans le monde.

Mots-clés : Handicap autochtone; décolonisation; savoirs autochtones; recherche communautaire

Abstract

Indigenous perspectives regarding disability are underrepresented in scholarly literature. This article profiles traditional perspectives and contemporary experiences regarding disability through voices from the lands of the Nisg̱a’a Nation. Influenced by Indigenous theory, this case study is based on semi-structured interviews with six diverse Indigenous community leaders including Simgigat (Hereditary Chiefs) and Sigidim Haanaḵ’ (Matriarchs). Four themes emerged: (1) Indigenous laws and cultural protocols enact principles of equity and inclusion; (2) language, kinship, and culture inform Indigenous perspectives regarding disability; (3) the gift of disability is celebrated through storytelling; and (4) colonization has negatively impacted disability for Indigenous Peoples. In addition, this study demonstrates that further research is needed on contemporary and historical disability policy in the Indian Act and disabilities in the context of Indian Residential Schools. This research considers the imposition of Western and colonially constructed disability identities while demonstrating that Indigenous knowledges, traditions, and practices are crucial to decolonizing understandings of disability in Canada and around the world.

Keywords: Indigenous disability; decolonization; Indigenous knowledges; community-based research



Tx̱eemsim, également connu sous le nom de Trickster, Raven ou Être surnaturel des peuples Nisg̱a’a, a été amené aux Nisg̱a’a par K’am Ligii Hahlhaahl (le chef des cieux) et est vénéré comme un héros (Conseil tribal des Nisga'as, 1993). Ses actions, ses pensées et ses comportements enseignent aux Nisga’a leur relation avec la terre, entre pairs et avec le monde. W̓ahlin Sim’oogit Ax̱dii Wil-Luug̱ooda (Bert McKay) en fait cette description : « les actes et les méfaits de Tx̱eemsim montrent que chaque créature dans l’univers et chaque personne a un rôle légitime et significatif à jouer dans la société… » (Conseil tribal des Nisga'as, 1993, p. 15) L’histoire de Tx̱eemsim partagée ici par la matriarche et cheffe héréditaire Sigidim-nak’ Hagwil ́ook’am Saxwhl Giis (Irene Squires) offre un enseignement important sur le handicap dans la tradition orale des Nisg̱a’a :

L’histoire de Tx̱eemsim commence dès sa naissance. Fils d’un être spirituel et d’une mère terrestre… il est possiblement le seul héros ou sauveur à avoir connu un début de vie aussi problématique et laborieux. Ce garçon est l’ultime survivant. Il survit en suçant les intestins de sa mère décédée et en mangeant la résine des arbres. Un jour, Tx̱eemsim est capturé. Lorsqu’il est capturé pour la première fois, il montre qu’il peut survivre sans nourriture. Il est fasciné par les flèches et ne semble pas s’intéresser aux garçons, et il les fuit. Il a survécu isolé comme un enfant sauvage venant des arbres. Il ne peut même pas toucher les autres à cause de ses griffes acérées. Il doit être enveloppé dans des vêtements faits de peaux d’animaux. Seuls les enfants et leurs paroles calmeront suffisamment ce garçon étrange et spécial pour qu’il puisse interagir avec les autres.

. . .

Cette manière de traiter Tx̱eemsim devient une métaphore pour l’apprentissage. Quelle est la bonne façon d’interagir avec un enfant différent dans la communauté? L’enfant doit être traité avec gentillesse. La communauté doit lui parler doucement et lui donner ce qu’il veut manger. Les enfants peuvent être et sont particulièrement différents les uns des autres, et lorsque même l’enfant le plus atypique est prêt à se transformer, il laisse son enveloppe derrière lui et rejoint la communauté. Par extension, n’importe lequel d’entre nous peut être dans une situation similaire, et grâce à la gentillesse, à la tolérance et à la persévérance de la famille et de la communauté, même le plus complexe d’entre nous peut éventuellement devenir entier. Tout ce qui existe a sa place dans la création. Si le garçon se porte bien avec son régime à base de résine, la communauté, sage et équilibrée, l’aidera à s’épanouir. Il est particulièrement important que les chef·fes et toute la communauté soient très attentifs aux besoins de l’enfant.

C’est ainsi avec toutes les personnes ayant des habiletés différentes. Elles sont spéciales et possèdent des dons particuliers. Les histoires de Tx̱eemsim peuvent servir de guide alors que nous essayons de vivre en communauté et de comprendre la réalité. Comme Tx̱eemsim, nous devons faire face à des problèmes et y répondre à l’aide d’approches stratégiques et appropriées. Mais au-delà de cela, nous avons le devoir de chercher la lumière du jour plutôt que l’obscurité de la nuit [et de passer] à un désir conscient d’entreprendre la quête spirituelle. Nous croyons que nous sommes fondamentalement des êtres spirituels.

—- Sigidim-nak’ Hagwil ́ook’am Saxwhl Giis (Irene Squires)[2]

Je commence cet article avec un récit autochtone pour que le texte prenne racine dans une représentation décoloniale du handicap et pour honorer les paroles de Sigidim-nak’ Hagwil ́ook’am Saxwhl Giis (Irene Squires). Leanne Betasamosake Simpson [Michi Saagiig Nishnaabeg] (2011, p. 33, traduction d’Anne-Marie Regimbald) nous rappelle que « [l]'acte de conter est au cœur de la décolonisation parce que ce processus permet de se souvenir, d’imaginer et de créer une réalité […] où il est possible de mettre en place des modèles et des miroirs là où aucun n’existait, et de faire l’expérience de la liberté et de la justice.[3] » . Les réflexions autochtones sur le handicap présentées ici offrent une contribution unique et décolonisatrice au domaine des études autochtones sur le handicap, pour le Canada et le monde.

À propos de l’autrice

Je m’appelle Rheanna Robinson. Je suis membre de la Fédération des Métis du Manitoba et professeure agrégée au Département d’études des Premières Nations de l’Université du Nord de la Colombie-Britannique. Mes enfants et moi sommes également membres du Pdeeḵ (clan) de Laxsgiik (aigle) dans la Wilp (maison) de Gwiix Maaw ̀ puisque mon ex-mari est Nisg̱a’a et qu’il est de coutume d’être adopté par l’une des tribus Nisg̱a’a si quelqu’un épouse une personne Nisg̱a’a (www.nisgaanation.ca/enrolment-citizenship)[4]. En tant qu’universitaire dont la perspective vis-à-vis du handicap a évolué en raison d’un diagnostic de sclérose en plaques il y a près de 30 ans, l’étude des perspectives autochtones du handicap est devenue un objectif principal de mes activités universitaires. Ma familiarité avec des personnes qui connaissent bien les lois, les coutumes et les traditions Nisg̱a’a m’a incitée à collaborer avec la nation Nisg̱a’a pour cette recherche.

Introduction : handicap et peuples autochtones

La prévalence du handicap est plus élevée chez les personnes autochtones vivant sur le territoire qu’on appelle aujourd’hui le Canada que chez les Canadiennes et Canadiens non Autochtones (British Columbia Aboriginal Network Disability Society, s.d.)[5]. À la suite d’une enquête sur les peuples autochtones réalisée en 2017, Hahmann et coll. décrivent qu’« environ un membre des Premières Nations vivant hors réserve et un Métis sur trois avaient un ou plusieurs handicaps, tandis que parmi les Inuits et les non-Autochtones, la proportion était d’environ un sur cinq » (s.d., 2019). Cette disparité globale entre les taux d’invalidité chez les Autochtones et les non-Autochtones doit être reconnue. Comme l’explique Lynn Gehl [Algonquine Anishinaabe-kwe] : « Les peuples autochtones ont un taux de handicap plus élevé, et c’est une manifestation de la colonisation et du génocide… Ce n’est pas parce que nos corps sont inférieurs. La colonisation et le génocide ont inscrit la maladie et le handicap sur notre territoire, sur et dans notre corps et notre esprit » (Live Work Well Research Centre, s.d.). De plus, bien que les peuples autochtones soient surreprésentés parmi les personnes ayant un handicap, ses composantes sont confrontées à des défis supplémentaires en raison d’identités croisées. Les peuples autochtones sont souvent victimes de discrimination raciale de la part des prestataires de soins de santé (Monchalin [Nation Métis de l’Ontario] et coll., 2020), et les personnes handicapées ont un accès limité aux spécialistes, aux technologies d’assistance, aux services de soutien et font face au sous-financement généralisé des programmes dans les réserves (Vives et Sinha, 2019). Il est donc important de comprendre le lien entre la colonisation et le handicap chez les peuples autochtones pour élaborer des politiques, des mesures de soutien et des services appropriés en matière de handicap.

Comme le décrit Steinstra (2020), « le handicap fait référence aux expériences de rencontre d’obstacles ou d’exclusion résultant du fait de vivre avec certains corps ou différences corporelles » (p. 6) et cela peut inclure des variations physiques, sensorielles, psychiatriques, cognitives, neurologiques ou intellectuelles. Au Canada, les modèles de handicap les plus reconnus qui orientent les politiques, les programmes et les mesures de soutien liés au handicap comprennent les modèles médicaux et sociaux. Le modèle médical considère le handicap comme un échec personnel qui empêche les individus de participer pleinement à la société (Haegele et Hodge, 2016). Dans ce modèle, l’accent est mis sur le traitement ou la correction de la déficience, ce qui implique souvent la nécessité pour l’individu de devenir « normal » (Haegele & Hodge, 2016). En revanche, le modèle social soutient que c’est la société qui handicape les personnes, et non leurs déficiences (Haegele et Hodge, 2016). Ce sont les préjugés, les attitudes négatives et l’exclusion systémique, tant physique que sociale, qui empêchent les personnes d’atteindre leur plein potentiel (Haegele et Hodge, 2016). Ce modèle propose que la responsabilité de créer des solutions incombe à la société, et non à la personne handicapée (Haegele et Hodge, 2016). Cependant, les deux modèles ont des limites et sont fondés sur une conception du handicap d’origine occidentale qui peut ne pas être adapté aux peuples autochtones. Par exemple, Hickey [Maori] et Wilson [Ngāti Tahinga (Tainui)] (2017, p. 82) expliquent que

Le modèle médical et le modèle social sont les approches prédominantes dans l’hémisphère Nord pour travailler avec les personnes handicapées. Ces modèles considèrent le handicap d’une manière individualisée qui n’est pas pertinente pour de nombreuses personnes autochtones qui vivent avec un handicap dont la vision du monde est de nature holistique, relationnelle et collective.

Les modèles de handicap enracinés dans le colonialisme omettent considérablement la voix, l’expérience et les valeurs autochtones.

Dans une vision du monde qui met l’accent sur l’inclusion et qui est fondée sur les relations et la communauté, un paradigme autochtone du handicap respecte les dons uniques que l’on peut incarner à travers des expériences vécues (Hickey [Māori] et Wilson [Ngāti Tahinga (Tainui)], 2017). La recherche sur le handicap qui enrichit les connaissances autochtones ancrées dans les perspectives et les expériences liées au handicap offre l’occasion de prendre en compte les lacunes dans les diverses conceptions du handicap tout en respectant les traditions autochtones. Il est important de réfléchir à la manière dont la construction coloniale du handicap est en contradiction avec les descriptions universitaires des perspectives autochtones traditionnelles de la différence.

Perspectives autochtones sur le handicap perturbées : colonialisme, capacitisme et logique capacitiste des colons

Les études sur le handicap chez les Autochtones commencent à devenir un domaine de recherche important, mais elles ont toujours été sous-représentées (Ward [Métis et Première Nation non inscrite], 2024). Par conséquent, les recherches liées aux perspectives autochtones traditionnelles sur le handicap demeurent limitées. La plupart des peuples autochtones n’ont pas de mot dans leurs langues traditionnelles qui se traduit par « handicap » (Lovern, 2017) ou un mot qui implique qu’une personne a un déficit dû à une différence corporelle. Il est donc important de reconnaitre les contrediscours autochtones sur le handicap et les impacts du colonialisme, du capacitisme et de la logique capacitiste des colons.

Les systèmes de connaissances autochtones traditionnelles mettent en œuvre de manière inhérente des principes d’équité à travers des concepts de « démocratie naturelle » (Lovern, 2017) et soutiennent la croyance que chacun a quelque chose à offrir à la famille, à la communauté et au monde (Yellow Old Woman-Healy [Blackfoot / Oji-Cree] et Running Rabbit, 2021). Les peuples autochtones considèrent traditionnellement les diverses capacités comme une partie importante de la création (Heath, 2017; Hirji-Khalfan, 2009; Velarde, 2018) et en réponse à l’absence de systèmes de connaissances autochtones sur le handicap, les chercheurs et chercheuses autochtones et non autochtones du monde entier offrent des perspectives importantes sur le handicap à partir de diverses perspectives culturelles.

Par exemple, les écrivains aborigènes australiens comme Dew et coll. (2019), Gilroy [Yuin] et coll. [Chercheurs samis, métis et autochtones non inscrits] (2021), Hollinsworth (2013) et King et coll. (2014) critiquent la vision occidentale du handicap pour démontrer la colonialité des identités de handicap et la manière dont les représentations culturelles autochtones du handicap ont été ignorées. Cette omission contribue à l’oppression et à l’invalidation des peuples autochtones. Des chercheurs et chercheuses telles que Bevan-Brown [Māori] (2013) et Hickey [Māori] & Wilson [Ngāti Tahinga (Tainui)] (2017) montrent comment les perspectives communautaires et relationnelles des Maoris sur le handicap en Nouvelle-Zélande sont contraires aux constructions occidentales du handicap, qui décrivent le handicap comme étant de nature individuelle. D’autres chercheurs et chercheuses internationales comme Meekosha (2011), Velarde (2018) et Shakespeare (2013, 2014) remettent en question les impositions du handicap socialement construites pour exposer les impacts néfastes que les identités de handicap ont eus sur les individus, les familles et les communautés. Au Canada, Durst (2006), Durst et Coburn (2015), Ineese-Nash [Anishinaabe (Oji-Cree)] (2020) et Norris (2014) invitent les lecteurs et lectrices à considérer les impacts uniques et interdépendants de la marginalisation lorsqu’on est une personne autochtone et handicapée au Canada. Enfin, aux États-Unis, Burch (2021), Lovern (2017) et Weaver et Yuen (2017) mettent en évidence les perspectives autochtones du handicap dans leurs recherches tandis que Larkin-Gilmore et coll. (2021) utilisent l’histoire, la réflexion et le souvenir pour partager différentes représentations du handicap afin de montrer comment les principes du lien familial élargi, de lieu et de création de connaissances se combinent pour démontrer comment les terres, les vies et les identités des peuples autochtones sont devenues invalides par les forces coloniales et capacitistes.

En effet, en tant que phénomènes systémiques violents et puissants, le colonialisme et le capacitisme ont eu un impact direct sur les représentations traditionnelles et contemporaines du handicap chez les peuples autochtones. Le colonialisme, tel que défini par Cote-Meek (2020, p. 18), « concerne la terre, nécessite une structure idéologique spécifique pour se dérouler, il est violent et il est continu ». Le capacitisme, plus connu sous le nom de discrimination envers les personnes ayant un handicap, a également été utilisé pour rationaliser la discrimination fondée sur la race et le sexe ainsi que les hiérarchies de pouvoir entre les groupes sociaux et envers les personnes qui n’ont pas de handicap (Wolbring, 2008). Ici, « le capacitisme et le colonialisme de peuplement se renforcent mutuellement » (Anesi [Sāmoan] 2021, p. 3) pour reproduire une idéologie dominante de suprématie blanche (Hutcheon et Lashewicz, 2020) qui continue d’avoir un impact sur les perspectives traditionnelles du handicap et l’inclusion des personnes ayant des capacités diverses dans les communautés autochtones.

Il est important de mettre en évidence les représentations historiques qui entremêlent les motivations coloniales et capacitistes envers les peuples autochtones. Par exemple, Burch (2021) décrit les impacts du tristement célèbre (et unique) asile « d’aliénés » pour les peuples autochtones aux États-Unis : l’asile de Canton. Créé par le gouvernement étatsunien dans l’État du Dakota du Sud en 1903, l’asile de Canton a hébergé plus de 350 patient·es, dont au moins 121 personnes qui ont péri dans des conditions de vie déplorables avant que l’asile ne ferme ses portes en 1934 (Burch 2021, p. 3). Non seulement le livre de Burch offre un exemple d’espace d’institutionnalisation forcée basé sur la culture et lié à la santé, mais ses recherches révèlent comment une pathologie du « capacitisme » et de la « normalité » a interrompu les identités autodéterminées d’inclusion et d’appartenance au sein des communautés autochtones pendant des générations.

Dans un balado de la Disability History Association avec Kelsey Henry et Caroline Lieffers (2021), Burch propose ce qui suit lorsqu’elle examine les idéologies capacitistes :

Je pense aux différentes manières dont le capacitisme ne se résume pas à une discrimination à l’égard des personnes handicapées. Cet aspect est l’une des façons dont il a été exprimé et qui a le mérite d’avoir contribué à attirer notre attention sur la discrimination fondée sur le handicap. Mais… je pense que, dans la vie réelle, il ne s’agit pas seulement de ce que nous appelons le handicap, mais de la manière dont les sociétés et les autorités dominantes de ces sociétés ont biologisé la différence sociale et justifié la poursuite des inégalités et de la violence au nom du progrès, de la compétence, de l’excellence et de l’indépendance. Ici, Burch s’appuie sur les travaux de Cowing (2020, pp. 9-10) pour réfléchir à la conceptualisation du « capacitisme des colons » et à la manière dont « en imposant des formes de médecine et des pratiques de connaissance propres aux colons, le capacitisme des colons a activement recherché et reflété des principes et des aspirations coloniales plus larges ». De telles considérations révèlent comment le handicap est une identité coloniale et socialement construite qui a été mobilisée par des politiques et des pratiques capacitistes des colons avec des répercussions de grande portée pour les peuples autochtones et leurs communautés.

Au Canada, il existe des représentations historiques et contemporaines du capacitisme des colons et de la discrimination fondée sur le handicap envers les peuples autochtones. Par exemple, l’article 10 de la version de 1927 de la Loi sur les Indiens stipule que

enfant indien âgé de sept à quinze ans et physiquement apte doit fréquenter l’école de jour, l’école industrielle ou le pensionnat désigné par le surintendant général, pendant toute la durée des périodes d’ouverture de ces écoles chaque année.

Étant donné que la notion de « physiquement apte » n’est pas clairement définie, on peut supposer que cela signifie que les enfants autochtones ayant un handicap physique ne fréquentaient pas un pensionnat autochtone. Cela incite à en savoir plus sur ce qui est arrivé aux enfants autochtones ayant un handicap qui n’ont pas fréquenté le pensionnat à une époque de contrôle intense sur la vie des peuples autochtones (Milloy, 2017). La Loi sur les Indiens continue d’inclure un langage colonial discriminatoire qui dénote un contrôle de l’État (c’est-à-dire du ministre des Relations Couronne-Autochtones) sur les personnes handicapées. L’article 51(1) de la Loi sur les Indiens (1985) stipule : « Sous réserve des autres dispositions du présent article, la compétence à l’égard des biens des Indiens mentalement incapables est attribuée exclusivement au ministre » (s.l.). Aux fins de la Loi sur les Indiens (1985, s.l.), « incapacité mentale » désigne :

Indien qui, conformément aux lois de la province où il réside, a été déclaré mentalement déficient ou incapable pour l’application de toute loi de cette province régissant l’administration des biens de personnes mentalement déficientes ou incapables.

Bien que le langage relatif à « l’incompétence mentale » inclus dans la Loi sur les Indiens soit actuellement révisé par le gouvernement du Canada (s.d.a, s.d.b.) par l’intermédiaire du projet de loi C-38 pour inclure plutôt la « personne dépendante », il est important de reconnaitre comment l’attribution de l’incompétence mentale a également été utilisée pour contrôler les peuples autochtones au Canada par la stérilisation forcée des femmes autochtones (Stote, 2012) comme représentation démonstrative de la logique et de la pratique capacitistes des colons. La logique coloniale et capacitiste continue d’avoir un effet profond sur la façon dont les perspectives autochtones sur le handicap sont comprises. Il est impératif que les voix, les connaissances et les traditions autochtones soient représentées dans le discours dominant sur le handicap.

Depuis des temps immémoriaux, les Nisga’a résident sur leur territoire traditionnel dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique. Situés entre les montagnes et les voies navigables qui mènent à l’océan Pacifique, les Nisg̱a’a sont des K’alii-Aksim Lisims, le peuple de la rivière Nass (Robinson [Nisg̱a’a], 2009). D’après mon expérience vécue, j’ai appris que la langue Nisg̱a’a est le Sim’algax et que, comme les autres Premières Nations de la côte nord-ouest, les Nisg̱a’a suivent un système de parenté matrilinéaire. Tous les membres de la Nation appartiennent à un Pdeeḵ (clan) et à un Wilp (maison). Les Nisg̱a’a Pdeeḵ comprennent G̱anada (Corbeau), Gisḵ’aaskt (Épaulard), Laxgibuu (Loup) et Laxsgiik (Aigle) et chaque Pdeek possède des Huwilp (Maisons) qui sont dirigées par un Sim’oogit (chef héréditaire). Les membres de chaque Wilp ont une responsabilité distincte envers différentes zones des terres Nisg̱a’a, des Adaawaḵ (traditions orales) et de l’histoire (y compris la langue, les chansons et les histoires).

Les Nisga’a croient que tous les êtres humains ont une âme et que « si l’âme de quelqu’un était déplacée ou manquante, un ou plusieurs Halayt étaient appelés. Les Halayt étaient des gens ayant reçu une formation pour être à la fois médecins et prêtres… » (Boston et al, p. 153, s.d.) Des attrape-âmes, des hochets en forme de corbeau et des charmes en os étaient utilisés dans le cadre de pratiques traditionnelles de guérison et de santé (Boston et coll., s.d.). Bien que toutes les traditions ne soient plus pratiquées en raison des impacts de la colonisation, les Nisga’a suivent toujours un modèle traditionnel de gouvernance à travers le Yukw, également connu sous le nom de Système de fête ou de potlatch (Robinson, 2009). Actuellement, il existe jusqu’à 50 Huwilp (maisons) qui incluent 40 Ango’oskw (territoires familiaux) (Hoffman et Robinson [Robinson Nisg̱a’a], 2010). Les quatre villages de la nation Nisg̱a’a sur les terres Nisg̱a’a sont Ging̱olx (Kincolith), Lax̱galts’ap (Greenville), Gitwinksihlkw (Canyon City) et Gitlax̱t’amiks (New Aiyansh).

En tant que premier groupe autochtone au Canada à négocier un traité moderne, en 1998, la nation Nisga’a s’est battue pendant plus de 130 ans pour récupérer son droit à l’autonomie gouvernementale et à la propriété foncière (Gosnell, 1998; Calder, 1973). L’Accord définitif Nisg̱a’a, entré en vigueur en 2000, commémore l’insistance inlassable de la nation sur la propriété légitime d’une partie de son territoire et son droit d’exercer des pratiques d’autonomie gouvernementale pour les Nisg̱a’a et les communautés. Alors que la pratique des traditions, des croyances, des coutumes et des langues Nisg̱a’a s’est poursuivie parallèlement à l’assaut des perturbations coloniales, les connaissances associées au handicap provenant des terres Nisg̱a’a peuvent apporter beaucoup aux études sur le handicap.

Perspectives autochtones concernant le handicap : une étude de cas

Influencée par le métissage, un positionnement théorique autochtone qui permet d’honorer diverses voix et réalités vécues (Burke [Nation métisse de la Colombie-Britannique] et Robinson [Fédération métisse du Manitoba], 2018; Donald [amiskwaciwiyiniwak (Cris de Beaver Hills)], 2011) et afin de comprendre les perspectives autochtones concernant le handicap qui incluent les voix des terres de la nation Nisg̱a’a, cette étude inclut la narration (Archibald [Première Nation Sto:lo], 2008) et une représentation des systèmes de connaissances autochtones (Kovach [Nêhiyaw et Saulteaux], 2021). Les fondements théoriques du métissage et de la narration se réunissent pour honorer les voix des participant·es aux entretiens et célébrer les savoirs autochtones. Grâce à une étude de cas qualitative (Yin, 2012), la recherche représentée ici apporte une contribution importante à la décolonisation du handicap.

Le recrutement des participant·es a été lancé après l’approbation éthique de l’UNBC et le soutien du Wilp Wilx̱o’oskwhl Nisg̱a’a Institute (WWNI), un établissement postsecondaire autochtone de la vallée du Nass, dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique, qui supervise les approbations des recherches menées sur les terres Nisg̱a’a. En raison de mes relations antérieures avec quelques participant·es à l’étude, je les ai directement invité·es à prendre part à l’étude. Sur la base de recommandations, j’ai invité d’autres personnes à l’étude une fois qu’elle était déjà en cours. Toustes les participant·es ont reçu une lettre d’information et un formulaire de consentement avant la planification des entretiens.

J’ai mené des entretiens semi-structurés avec six participant·es, dont des Simgigat (chef·fes héréditaires), des Sigidim Haanaḵ’ (matriarches) et des dirigeant·es communautaires[6]. Cinq personnes participant aux entretiens sont Nisg̱a’a, et une est Tsimshian et membre de la nation Nisg̱a’a par mariage. Toustes les participant·es résident sur les terres des Nisg̱a’a, ont vécu une expérience et ont des connaissances sur les perspectives et les expériences autochtones traditionnelles et contemporaines en matière de handicap. En tant que chef·fes héréditaires, matriarches et dirigeant·es communautaires, les personnes participantes ont suivi les Ayuuḵ (lois traditionnelles) de la nation Nisg̱a’a et ont partagé des connaissances et des histoires importantes pour cette étude.

Au cours des entretiens, j’ai demandé aux personnes participantes de parler des points suivants : (1) si la langue Nisg̱a’a inclut ou non des mots pour « handicap »; (2) comment les Simgigat (chef·fes) ou un·e Sim’oogit (chef·fe) s’assurent que les personnes handicapées conservent leur identité ancestrale liée à la Nation et qu’elles soient incluses dans les processus de gouvernance traditionnels (c.-à-d. la Fête ou le Potlatch); (3) comment les perspectives non-Nisg̱a’a du handicap diffèrent des perspectives Nisg̱a’a traditionnelles; et (4) les histoires sur les membres handicapés de la Nation.

J’ai reçu le consentement écrit ou verbal de toutes les personnes participantes. Trois entretiens ont été réalisés par téléphone et trois par vidéoconférence Zoom. Chaque entretien a duré de 30 à 60 minutes environ. Après l’entretien, l’enregistrement a été transcrit et transmis à la personne participante pour examen et approbation. Finalement, les entretiens ont été légèrement modifiés pour les rendre plus clairs. La version finale de cet article a été révisée par la Direction de la langue et de la culture du gouvernement Nisg̱a’a Lisims afin de garantir l’exactitude de l’orthographe des mots Nisg̱a’a et de la représentation des histoires et de la culture.

L’anonymat n’a pu être garanti en raison de la petite taille des communautés Nisga’a, et parce que toutes les personnes participantes ont choisi d’utiliser leur vrai nom. Elles ont reçu une note de remerciement et un petit cadeau de gratitude pour leur implication dans la recherche. Une fois les données collectées et vérifiées par les membres, j’ai codé par couleur les réponses similaires pour identifier les thèmes clés. Des citations clés et d’autres références académiques soutiennent les catégorisations thématiques issues de l’analyse des données.

Les entretiens permettent aux participant·es, en tant que spécialistes, de façonner les connaissances produites. Les Adaawaḵ (traditions orales) des Nisg̱a’a demeurent une partie intégrante et importante de leurs systèmes de connaissances. Les perspectives autochtones sur le handicap apportent une contribution inestimable aux études sur le handicap et aux politiques en la matière. L’inclusion des voix des personnes participantes impliquées dans cette étude garantit que les perspectives autochtones sur le handicap sont représentées. Leurs propos renforcent la rigueur et la validité de ce travail (Leech, 2002).

Résultats : perspectives autochtones sur le handicap

Quatre thèmes ont émergé des entretiens inclus dans cette étude de cas qui encourage la décolonisation du handicap grâce à l’inclusion d’histoires diverses provenant des terres de la nation Nisga’a : (1) les lois et les protocoles culturels autochtones édictent des principes d’équité et d’inclusion; (2) la langue, le lien familial élargi et la culture éclairent les perspectives des Nisga’a concernant le handicap; (3) le handicap est célébré à travers la narration; et (4) le colonialisme a eu un impact négatif sur le handicap dans les communautés autochtones. Il est également apparu, au cours des entretiens, que des recherches supplémentaires doivent être entreprises pour en savoir plus sur la politique relative au handicap intégrée dans la Loi sur les Indiens et dans le contexte des pensionnats.

Les lois autochtones favorisent l’équité et l’inclusion Dès le début du processus d’entretien, il est devenu évident que, du point de vue du handicap, le droit, la culture et les visions du monde autochtones énoncent des principes d’équité et d’inclusion. La Nisg̱a’a Ayuuḵ (loi) reflète cette notion et la croyance selon laquelle tous les peuples sont « d’un seul cœur, d’un seul chemin, d’une seule nation » (Robinson [Nisg̱a’a], 2009), ce qui suit le principe directeur Nisg̱a’a du lip wilaa loom ́ (le mode de vie Nisg̱a’a).

Plusieurs personnes participantes ont remarqué que les traditions et les cultures autochtones suivent le principe d’égalité entre les peuples, quelles que soient les différences de leurs capacités. Selon Sim’oogit Sorrow (William Moore),

Nous devons nous référer au Nisg̱a’a Ayuuḵ et à la façon dont nous vivons culturellement. Nous croyons que tout le monde est égal et que [l’égalité] donne à notre famille élargie, notre Wilp (Maison), force et pouvoir. Reconnaitre ou se concentrer uniquement sur un aspect d’une personne [comme la présence d’un handicap] serait contraire à cette idée. Cela créerait des divisions et serait déresponsabilisant. Nous ne divisons pas les gens en fonction de leurs handicaps perçus ou de leurs capacités différentes. Tout le monde est considéré comme membre de notre société qui peut apporter sa contribution… Il n’existe pas de classifications ni de termes dégradants pour décrire une personne… À la naissance, on vous enseigne la culture et on vous apprend à connaitre votre rôle dans la société Nisg̱a’a. [Les personnes handicapées] ne sont pas ostracisées ou mal vues parce qu’elles sont différentes.

De même, Sim’oogit Ni’isýuus (Willard Martin) a expliqué que

Dans notre société, les personnes handicapées ne sont pas isolées, tout comme n’importe qui d’autre. Elles ne sont pas traitées différemment. Je pense que, pour la plupart, beaucoup de gens les considèrent comme ayant des capacités différentes… Les Simgigat (chef·fes héréditaires) honorent et incluent celleux qui sont différent·es… Il n’y a pas de distinction en raison de handicaps visibles. Ielles sont reçu·es sur un pied d’égalité et sont placé·es en conséquence dans la salle des fêtes.

La compréhension riche et approfondie des Ayuuḵ offerte par Sim’oogit Duuk’ (William Moore) et Sim’oogit Ni’isýuus (Willard Martin) reconnait l’importance et l’interdépendance des Nisg̱a’a Ayuuḵ (lois) au sein de leur langue, de leur parenté et de leur culture et chaque personne est incluse dans la communauté. Ayuuḵ informe sur la façon dont les Nisg̱a’a perçoivent le handicap et sur la façon dont ils interagissent avec et envers les personnes handicapées au sein de leur famille, de leur communauté, de leur Wilp et de leur Nation.

La langue, le lien familial élargi et la culture continuent d’éclairer les connaissances des Nisga’a sur le vocabulaire relié aux personnes handicap

La langue peut façonner la perception que l’on a de la signification d’un mot (Yellow Old Woman-Healy [Blackfoot / Oji-Cree] et Running Rabbit, 2021), ce qui souligne l’importance et la nécessité de mieux comprendre comment les langues autochtones, et la langue Nisg̱a’a en particulier, décrivent le handicap.

Les personnes participantes ont partagé des mots Nisg̱a’a qui sont profondément ancrés dans leur culture et qui ne sont pas facilement traduisibles en anglais. Par exemple, le terme « handicap », utilisé au singulier, n’est pas facilement traduit, car la langue Nisg̱a’a possède de nombreuses représentations corporelles différentes. Sigidim-nak’ Diiks (Elsie Campbell) a expliqué :

Il y a quelques mots que vous pouvez dire comme sipsiipkwhl hliphlaniy̓. Cela signifie « mon corps me fait mal » ou « mes articulations me font mal ». Ou vous pouvez dire siipkwhl t’imgesiy̓, ce qui signifie « j’ai mal à la tête »… Ou nous dirions ahl ax̱yeetkw, ce qui signifie « avoir du mal à marcher ». Or txaa-siipkwhl hliphlaniý signifie « tout mon corps me fait mal et je ne peux pas vraiment marcher »… Il y a tellement de choses qui ne peuvent pas être dites, car il y a tellement de mots qui sont inclus dans « handicap » parce qu’il n’existe pas un seul mot pour « handicap ».

Sim’ogit Ni’isyuus (Willard Martin) a également décrit :

Nous avons un mot en langue Nisga’a [à considérer] pour les personnes handicapées. Le mot haxhaaxgwit nous incite [dans notre langue et notre culture] à faire référence au réseau social et de sécurité qui existe au sein de notre culture [et fait référence aux personnes que la communauté soutient parce qu’elles peuvent être en détresse]. Nous avons vraiment du mal à traduire notre langue en anglais. Parfois, nous ne trouvons pas les mots pour décrire correctement la traduction et montrer correctement le sens dans notre langue. Des termes traditionnels très importants qui formulent davantage la réaction aux handicaps, comme kwhlix̱oosa’anskw, qui signifie « respect » et ḵ’e’em-goot, qui signifie « compassion ».

Les Nisga’a ont toujours eu leurs propres conceptions et mots pour désigner le « handicap ». Le terme « handicap » est en effet une imposition coloniale qui force une expérience incarnée contraire à la culture et aux Ayuuḵ (lois) des Nisg̱a’a.

Le lien familial élargi

La parenté fait partie intégrante de la culture et du mode de vie des Nisga’a. Les personnes participantes ont décrit les obligations de parenté et la manière dont elles étaient remplies à travers des pratiques culturelles où les individus ayant des capacités diverses sont toujours inclus dans la communauté. Sigidim-nak' Hagwil ´ook'am Saxwhl Giis (Irène Squires) a expliqué :

En tant que Sim’oogit (chef·fe), vous avez besoin d’endurance parce que vous dirigez… C’est comme un grand orchestre devant vous lorsque vous êtes chef·fe d’un festin… J’ai vu un Sim’oogit (chef) qui était atteint d’un cancer et qui avait besoin d’une chaise spéciale. Il conduisit [son clan] aussi loin qu’il le pouvait, puis, lors d’une des fêtes, il a dit : « Je confie maintenant cette partie de ma responsabilité à mon neveu. Il assumera désormais cette responsabilité pour le reste de sa vie ». C’était un moment très émouvant quand il a dit ça. Les personnes handicapées sont nombreuses à la Fête, et pas seulement celles qui ont des handicaps physiques, mais aussi des personnes ayant une déficience intellectuelle… La seule fois où une personne serait exclue, ce serait si elle pouvait se faire du mal ou faire du mal aux autres, et elle aurait alors toutes les chances de faire absolument tout ce qu’elle peut… Dans la salle des fêtes, les gens ont une place assise spéciale, et cela n’a pas d’importance [si vous avez ou non un handicap]. Simgigat (chef·fes), Sigidim Haanaḵ’ (matriarches), jeunes femmes, jeunes hommes, enfants, femmes avec enfants. Tout le monde est traité de la même manière.

Elle a poursuivi : « Je ne sais pas comment sont les autres communautés, mais dans celle-ci, nous sommes tous fondamentalement une seule et même famille ». Les relations de famille élargie et familiales telles que définies par les traditions, les coutumes et les Ayuuḵ (lois) Nisg̱a’a garantissent la connectivité communautaire et la prise en charge des personnes différentes.

Culture

Lorsqu’il s’agit de garantir la responsabilité de la communauté envers les personnes handicapées, le rôle de la culture Nisga’a est profond. Sim’oogit Ni’isýuus (Willard Martin) a reconnu que les rôles de soignant·es étaient traditionnellement associés à la culture : « Les besoins mentaux [liés au handicap] relèvent de la responsabilité maternelle, et pour celleux qui ont des besoins physiques, c’est généralement la responsabilité du parent paternel ». Dorcas Annie Stewart a décrit comment, dans la salle des fêtes, [tout le monde, Nisg̱a’a et non-Nisg̱a’a] est accueilli à la porte… Il y a la table d’honneur du Chef, la table d’honneur de la Matriarche et ceux qui ne jouent pas ces rôles. Environ quatre ou cinq personnes pouvaient s’assoir là où s’asseyaient les Simgigat (chef·fes) et les Sigidim Haanaḵ' (matriarches). Si ces rangées sont remplies au maximum, il y a alors une autre rangée de tables où iels pourront s’assoir. [Tout le monde] est reconnu… [Si les gens viennent d’une autre communauté], nous les accueillons dans notre Wilp (Maison). Si ielle vient à la porte et s’assoit, iels diront la même chose : ga’ahl dim wil t’aat… « Trouve un siège où ielle puisse s’assoir. »

Dorcas Annie Stewart explique plus en détail

Quand j’étais jeune, beaucoup de nos gens étaient handicapés, mais iels étaient toujours reconnu·es. Aujourd’hui, ce que nous faisons si un ou une ainée ne peut pas se rendre dans une salle de fête, c’est de rassembler un sac de nourriture de la fête et de le lui apporter. Nous lui disons à qui appartient la Fête et de quelle Wilp (Maison) elle vient et lui faisons sentir qu’iel n’a pas été exclu·e. Habituellement, même s’il s’agit d’un bol de notre soupe Nisga’a et d’un petit pain, nous lui apporterons cela ainsi que le colis de réconfort qui a été distribué dans la salle de fête. Peu importe qui iels sont, s’iels ont ou non un handicap, c’est ce que nous faisons. [Au début de la fête, il y a] des hommes à la porte qui parlent haut et fort pour assoir les gens, puis nous demandons aux plus jeunes membres du clan d’aider les gens à assoir. S’il y a un ou une ainée à la porte qui a besoin d’aide pour s’assoir, alors les jeunes hommes et les jeunes femmes viendront. Iels se tiennent à la porte en attendant de voir qui a besoin d’aide. S’il s’agit d’un·e Sim’oogit (chef·fe), alors iels le placent à l’avant [afin qu’iels puissent s’assoir immédiatement et ne pas attendre], et si c’est une Sigidim-nak’ (matriarche), iels font la même chose. Le ou la cheffe a son propre siège, et laSigidim-nak’ (matriarche) a la même chose. S’iels ont besoin de tirer une chaise, par exemple si elle ou il est en fauteuil roulant, iels tireront une chaise de la table et la feront s’assoir à sa place, là où elle [est] censée s’assoir avec les Sigidim Haanaḵ’ (Matriarches) ou avec les Simgigat (Chef·fes).

Sim’ogit Ni’isýus (Willard Martin) raconte que

il existe des besoins particuliers selon le handicap. Savoir comment en prendre soin est une considération sérieuse. Nous avions ici un individu qui, depuis son enfance, était dans une institution et qui voulait rentrer chez lui, donc toute la communauté a dû l’accueillir et lui fournir les soins dont il avait besoin… C’est un bon exemple de la façon dont la Nation est réceptive… Ses proches aidants, ses parents paternels, étaient toujours incités à remplir leur rôle, bien qu’il y ait aussi des assistant·es rémunéré·es [qui soutenaient ses soins]… J’ai fait partie de l’équipe qui a négocié son retour et qui a révélé que certain·es de ses soignant·es et les représentant·es du gouvernement ne pensaient pas que nous avions la capacité de prendre soin de lui. Nous avons dû le prouver et avons passé beaucoup de temps à les convaincre du fait que nous pouvions lui fournir les soins particuliers dont il avait besoin. Quelqu’un était avec lui 24 heures sur 24… Les gens sont conscients de leur responsabilité. [Traditionnellement] le handicap mental [est une] responsabilité maternelle. Les besoins physiques sont généralement la responsabilité du parent paternel.

Les responsabilités culturelles et de parenté sont primordiales pour les Nisga’a. Cela implique de veiller à ce que les membres de la communauté puissent assumer leurs rôles propres à la Nation afin que les responsabilités de parenté, mais aussi les culturelles puissent être assumées. L’ensemble des membres des Nations jouent un rôle égal et essentiel pour garantir la pérennité des systèmes culturels traditionnels.

La narration célèbre le handicap

Archibald ([Sto:lo] 2008, p. 85) décrit comment les histoires peuvent jouer un rôle important « dans l’enseignement, l’apprentissage et la guérison… La puissance d’une histoire se manifeste à travers les histoires sur cette histoire ». Lorsqu’il s’agit de mieux comprendre le handicap dans les communautés autochtones, les histoires contribuent de manière essentielle à l’échange et à la transmission des connaissances. Les histoires partagées ici représentent des perspectives importantes sur l’inclusion et l’appartenance des peuples autochtones. Par exemple, Sigidim-nak’ Hagwil ́ook’am Saxwhl Giis (Irene Squires) a expliqué que

Avant le contact, nous n’avions pas d’échecs. Nous croyons que l’apprentissage commence dans l’utérus… dès le moment où une femme tombe enceinte et parle au bébé dans l’utérus pour découvrir quels sont ses dons. Dès qu’un bébé naissait, les anciens pouvaient parfois dire que [l’enfant] commençait à être formé pour quelque chose… Si tout ce que vous aviez à faire était de ramasser du bois, c’était tout aussi important qu’un chasseur. Donc, un·e enfant était éduqué·e dès qu’iel était petit·e, [et] peu importe si [il ou elle avait un handicap]… Iel était considéré comme un don spécial du Créateur et on lui confiait généralement des tâches spéciales qui l’accompagnaient… Il se pourrait donc que l’une de nos astrologues surveille les cieux pour prédire quand les choses vont se produire. Chacun·e a un rôle important à jouer dans la communauté, et cela continue aujourd’hui.

Sigidim-nak’ K’yaks Sgiihl Anluuhl P’sday (Dre Deanna Nyce) approfondit ce point lorsqu’elle décrit qu’

Il existe un dicton qui dit que tout le monde nait avec un don et que nous devons reconnaitre et accepter ce don, quel qu’il soit, et s’il s’agit d’un don de handicap, c’est aussi un don… Les enfants et les adultes de mon monde que j’ai vus… n’ont pas été traités différemment, sauf que nous les avons aidés lorsqu’ils en avaient besoin. [Les personnes en situation de handicap] faisaient partie de la famille… pas seulement une famille nucléaire, mais la famille entière. Et quand nous avions des fêtes dans notre maison et dans ma maison de naissance, [tout le monde y participait].

Sim’oogit Ni’isýuus (Willard Martin) a expliqué comment les histoires décrivent les personnes handicapées comme faisant partie intégrante de la communauté :

J’avais un cousin germain qui était sourd et, en tant qu’exemple de la société Nisga’a, la Nation lui a permis d’être qui il était et a encouragé ses capacités. Il a grandi pour devenir pêcheur et gagner sa vie en travaillant pour lui-même. Il était indépendant. Il n’a pas appris grand-chose à l’école, mais il est devenu un bon charpentier et il était capable de travailler autour des moteurs. Il avait son propre langage des signes… et il pouvait lire sur les lèvres, surtout dans notre langue. Il n’a pas été traité différemment; il était comme chacun d’entre nous… Quand j’étais jeune, il y avait des gens qui utilisaient une canne, mais personne ne les regardait uniquement de cette manière. Iels ne se concentraient pas sur ce qu’était leur handicap perçu. Iels étaient des membres de la communauté à laquelle iels contribuaient. En manquant de respect à quiconque, votre Wilp (Maison) le considèrerait comme un manque de respect envers toute la communauté. L’un de nos Ayuuḵ c’est d’être respectueux. Être respectueux·se envers toustes.

Elgar (1995, p. 75) revient sur une histoire racontée par Iris Heavyrunner, qui explique comment un ainé de sa nation portait des bracelets en cuir pour symboliser sa surdité puisque, « dans la culture aborigène, les personnes sourdes étaient très respectées parce qu’on croyait que leur surdité leur donnait une triple sensibilité à leurs autres sens ». À travers l’histoire, le handicap est caractérisé d’une manière qui honore la différence et les contributions uniques que les individus apportent au monde.

Le colonialisme a eu un impact négatif sur le handicap

Lorsqu’on leur a demandé en quoi les points de vue des non-Nisg̱a’a sur le handicap diffèrent des points de vue des Nisg̱a’a, les personnes participantes ont révélé comment les perspectives et les attitudes ont changé au fil du temps. Sim’oogit Duuk’ (William Moore) explique que

les points de vue non-Nisga’a ont tendance à cataloguer tout le monde. Nous ne voyons pas cela dans notre culture… Il est interdit de qualifier quelqu’un d’handicapé. Je n’aime pas vraiment le terme « handicapé ». Dans notre culture, une personne handicapée désigne quelqu’un qui n’a « aucune capacité » [et nous ne croyons pas cela]. Les personnes sont reconnues pour leur contribution à leur Wilp (maison), à leur famille élargie et à la Nation dans son ensemble.

Sigidim-nak’ K’yaks Sgiihl Anluuhl P’sday (Dr Deanna Nyce) a commenté plus en détail la distinction entre les cultures :

Je pense que nous ne prenons pas le temps de comprendre autant que nous le pouvons… et dans notre hâte, nous oublions, surtout si nous n’avons pas quelqu’un dans notre entourage qui vit avec un handicap ou un problème de ce genre. L’accessibilité pour toustes devrait être obligatoire… Nous avons la chance de travailler avec des personnes handicapées… Rappelez-vous que de notre point de vue c’est une bénédiction… Peu importe la complication.

Sigidim-nak’ Diiks (Elsie Campbell) a commenté le fait que certaines personnes ridiculisent les personnes handicapées :

Je me souviens que ma mère disait que mon père avait dit : « Ne dis jamais rien de mal par rapport à ce qu’ils te disent. Cela leur reviendra un jour ou l’autre »…Il y a tellement de ridicule dans ce monde… Je pense qu’à l’époque, il n’y avait pas d’intimidation! Lorsque les écoles ont commencé [pour les enfants Nisga’a], il y avait de l’intimidation, mais je ne pense pas que cela se produisait à l’époque de mes parents et de mes grands-parents. Lorsqu’un enseignant est revenu du pensionnat indien, j’ai même été attachée, et mon père m’a protégée. Autrefois, les coutumes tribales étaient bien réelles et très ouvertes. Les jeunes étaient plus impliqué·es. Maintenant, iels [font attention à leurs appareils]. Si les [Euro-canadien·nes] n’avaient pas changé les choses, il en serait autrement. Il n’y aurait pas de maladie. Quand je pense à la maladie et aux pilules…ça me dérange vraiment.

Sim'oogit Ni'isýuus (Willard Martin) a noté que

L’un des effets du contact avec les non-Nisga’a est très visible : il y a une augmentation des [troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale] en raison de l’accessibilité à l’alcool et aux drogues, et il y a un réel besoin de meilleurs soins pour les personnes ayant une déficience intellectuelle. C’est un besoin important qui doit être satisfait.

Il a ajouté que

dans la société non-Nisga’a, les [personnes handicapées] sont isolées ou mises à l’écart, et il y a une tendance à cela parce qu’il s’agit probablement de handicaps visibles, qu’ils soient [physiques] ou mentaux… Dans notre société, cela n’arrive pas aussi facilement. Iels sont accepté·es au même titre que n’importe qui d’autre.

Le colonialisme a clairement eu un impact sur la perception du handicap et sur les types de handicaps que les communautés tentent de soutenir. Irene Squires a commenté

Nous ne sommes pas toujours aussi attentionnés… Nous devenons de plus en plus nucléaires, et c’est triste parce que si quelqu’un avait des difficultés c’était une responsabilité communautaire. Nous sommes toujours géniales et géniaux quand il s’agit de décès, de mariages et de ces grandes choses. Mais les petites choses, je ne sais pas

En effet, ces réflexions montrent que la colonisation a interrompu les perspectives et les présentations traditionnelles du handicap sur les terres Nisg̱a’a.

Politique sur le handicap dans la Loi sur les Indiens et les pensionnats indiens

La contribution d’une personne participante révèle l’importance de réfléchir à la façon dont la Loi sur les Indiens traitait les personnes handicapées. Au cours de la dernière partie de mon entretien avec Sigidim-nak’ Hagwil ́ook’am Saxwhl Giis (Irene Squires), elle a déclaré que sa mère

marchait toujours en boitant. Elle avait toujours mal, et sa mère avait été aussi comme ça, et j’avais quelques tantes qui étaient comme ça. Même si je ne sais pas pourquoi deux générations de femmes de ma famille issues du clan Laxgibuu (Loup) ont eu des problèmes de hanches, je sais que ces femmes n’ont pas eu besoin d’aller au pensionnat et ont pu rester dans la communauté pour apprendre notre langue et notre culture. En parler me donne envie de pleurer quand je pense à la douleur que ma mère et ma grand-mère ont endurée à cause de leurs hanches. Mais comme ma mère vivait avec un handicap, elle n’est pas allée au pensionnat… Des recherches supplémentaires doivent être menées sur les enfants handicapés qui sont resté·es à la maison à cause du SRA.

Même au sein des communautés qui subissent les conséquences dévastatrices des pensionnats autochtones et qui savent que les parents ont caché leurs enfants en guise de résistance contre le système des pensionnats (Grant, 1996; Hanrahan, 2008), la discrimination fondée sur le handicap s’est glissée dans la vie des peuples autochtones et de leurs communautés. Il est important de se demander comment la discrimination fondée sur le handicap liée aux pensionnats a pu façonner la manière dont les communautés percevaient les enfants handicapés et comment cela a eu un impact sur les perspectives autochtones traditionnelles du handicap. Des recherches supplémentaires sur les expériences des enfants autochtones handicapés à l’époque des pensionnats sont nécessaires. Cela apportera non seulement une contribution importante à d’autres études sur les pensionnats menées par des chercheurs et chercheuses comme Flisfeder (2010), Grant (1996), Haig-Brown (1988), Miller (1996). Milloy (2017) et la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015), mais cela amplifiera les tendances capacitistes inhérentes aux colons des puissances coloniales canadiennes.

Discussion

Cet article propose des recherches convaincantes sur les perspectives autochtones en matière de handicap de la part de dirigeant·es autochtones qui résident sur les terres de la Nation Nisg̱a’a et qui connaissent la langue, les Ayuuḵ (lois) et les traditions de cette Première Nation de la côte nord-ouest du Canada. Des entretiens semi-structurés avec les participant·es à la recherche ont permis de dégager des thèmes liés à l’équité et à l’inclusion, à la langue, à la parenté et à la culture, à la pertinence des récits et à la colonisation, à la discrimination fondée sur le capacitisme et à l’impact de la discrimination fondée sur le capacitisme des colons. Cette étude révèle également que des recherches supplémentaires sont nécessaires concernant la politique relative au handicap dans la Loi sur les Indiens et les pensionnats.

Il est important de reconnaitre que cette recherche confirme les Adaawaḵ (traditions orales) et les Ayuuḵ (lois) des Nisg̱a’a, tout en présentant de fortes synergies avec la littérature préexistante. Par exemple, à l’instar des croyances Nisga’a en matière d’interdépendance, d’équité et d’appartenance de tous les peuples, Yellow Old Woman-Healy et Running Rabbit (2021, p. 1) expliquent comment « [un] cercle est un symbole puissant… [et] est une représentation de la plénitude et de l’interdépendance, les individus étant considérés comme égaux, qu’ils aient un handicap ou non ». De même, Bevan-Brown ([Māori] 2013, p. 573) décrit comment « il existe des preuves solides pour soutenir l’inclusion totale des personnes ayant une déficience intellectuelle dans la société traditionnelle [Whan ̅au]. Les Whan ̅au étaient socialement et moralement obligés de prendre soin de leurs membres ». En effet, les importantes représentations d’équité et d’inclusion proposées ici démontrent un fil conducteur puissant au sein des connaissances et des valeurs autochtones.

En ce qui concerne la langue, la famille élargie et la culture, les personnes participantes des territoires Nisg̱a’a ont insisté sur le fait que le mot « handicap » ne se traduit pas facilement dans la langue Nisg̱a’a, en particulier si l’on considère le cadre déficitaire associé au handicap d’un point de vue occidental et les impacts que cela peut avoir sur les relations traditionnelles et les responsabilités communautaires. Lorsque Sim’oogit Ni’isýuus (Willard Martin) explique que certains mots Nisg̱a’a associés à la réaction au handicap incluent kwhlix̱oosa’anskw, qui signifie « respect » et ḵ’e’em-goot, qui signifie « compassion », cela nous rappelle l’esprit d’inclusion de tous les membres de la communauté, quelles que soient leurs capacités. Gilroy [Yuin] et coll. [Les chercheur·es samis, métis et autochtones non inscrit·es] (2021, p. 2080) expliquent que « [b]ien qu’il n’existe aucun mot comparable à la définition anglaise de handicap dans aucune communauté autochtone traditionnelle à l’échelle mondiale, ces communautés connaissent les différences de capacités » et ces différences font partie intégrante des systèmes de parenté qui établissent des relations et des pratiques culturelles essentielles pour les peuples autochtones (Larkin-Gilmore, et coll., 2021). Le handicap, en tant que construction coloniale (Ineese-Nash [Anishinaabe (Oji-Cree)], 2020), a eu des conséquences néfastes sur les représentations traditionnelles du handicap pour les peuples autochtones et a perturbé la représentation traditionnelle du « handicap » sur les terres Nisg̱a’a.

La narration joue un rôle essentiel dans la culture Nisg̱a’a, et les histoires partagées dans le cadre de cette recherche résument les points de vue des Nisg̱a’a sur le handicap en tant que don et partie importante de la création. Comme nous le rappelle Sigidim-nak’ Hagwil ́ook’am Saxwhl Giis (Irene Squires) avec l’histoire du métamorphe Tx̱eemsim, même les êtres divins puissants comme Tx̱eemsim ont un handicap. À travers l’histoire, cette figure de la culture des Nisg̱a’a communique des leçons puissantes et importantes que chacun doit suivre. Ineese-Nash [Anishinaabe (Oji-Cree)] (2020) propose une représentation similaire à travers le partage d’une histoire Anishinaabe (p. 38) comme représentation de l’importance de la transmission et de la traduction des connaissances intergénérationnelles. Les histoires partagées par les Nisga’a et d’autres peuples autochtones sont une forte représentation de la résistance coloniale (Simpson, 2011) et contribuent puissamment à la décolonisation du discours sur le handicap.

La colonisation, le capacitisme et les préjugés des colons ont eu un impact sur les perspectives des Nisga’a en matière de handicap. Les personnes participantes ont discuté de l’influence que les cultures, les médecines et les systèmes de croyances des colons ont eue sur les perceptions du handicap chez les Nisga’a, puisque les croyances coloniales et capacitistes ainsi que les attentes capacitistes des colons supposent que, par la pathologisation des peuples autochtones, les déficiences intellectuelles, morales et physiques doivent être surmontées (Burch 2021; Cowing, 2021). Une représentation audacieuse et flagrante de ce phénomène est évidente dans la façon dont la Loi sur les Indiens a établi des hiérarchies et des divisions en fonction des capacités et des handicaps à l’époque des pensionnats et continue de le faire en ce qui concerne le contrôle de l’État sur les biens des personnes qui ont une « incompétence mentale ». Il est émouvant de découvrir dans cette étude la représentation de la discrimination fondée sur le handicap dans des réalités législatives profondes telles que la Loi sur les Indiens.

Cette étude offre une représentation unique des voix des Premières Nations du nord-ouest de la Colombie-Britannique tout en renforçant la nécessité d’un changement de paradigme pour représenter les visions du monde et les connaissances autochtones. Lynn Gehl (Live Work Well Research Centre, s.d.) explique que

Dans le monde occidental, nous sommes des individus; dans le monde autochtone, nous sommes des individus au sein de relations. Bien que certaines personnes s’appuient sur un faux raisonnement dichotomique en disant : « C’est une question d’individus contre relations », ce n’est pas tout à fait exact. C’est une opposition entre « individus » et « individus dans des relations ». Dans la vision du monde autochtone, nous nourrissons l’individu et ses dons intérieurs, mais nous nourrissons également qui iel est dans les relations… Dans la culture occidentale, nous sommes traité·es uniquement comme des individus.

Pour atteindre les objectifs de réconciliation et valider les visions du monde et les histoires autochtones, les politiques et programmes relatifs au handicap doivent reconnaitre et positionner les voix autochtones comme faisant partie intégrante de la transmission et de l’échange des connaissances. Comme le déclare Sigidim-nak’ K’yaks Sgiihl Anluuhl P’sday (Dre Deanna Nyce) :

Ce que nous devons faire en tant que société, c’est accepter que le handicap fasse partie de notre réalité… Nous devrions créer des occasions pour que davantage d’histoires soient racontées et permettre aux personnes autochtones handicapées de raconter leur histoire afin que les autres puissent la comprendre.

Des recherches plus poussées sur le handicap autochtone sont importantes pour les études sur le handicap et pour une meilleure compréhension de la santé et du bienêtre des Autochtones dans notre monde contemporain.

Conclusion

Cette étude est née dans le cadre de mon parcours visant à comprendre comment le fait de vivre avec les identités d’Autochtone et de personne handicapée se manifeste dans ma vie de manière coloniale et socialement construite.

La manière dont les peuples autochtones observent et traitent traditionnellement le handicap est un domaine de recherche peu étudié qui a le potentiel de redéfinir et de recadrer la façon dont le handicap est perçu. Les enseignements du Tx̱eemsim et les histoires de diverses nations à travers le Canada doivent être respectées et incluses dans le cadre de ce processus. Reconnaitre, comprendre et mettre en œuvre les perspectives autochtones sur le handicap constituent la première étape vers la décolonisation. Guidée par la sagesse des ainé·es et d’autres dirigeant·es autochtones, je m’engage à mobiliser des espaces où les perspectives autochtones sur le handicap soient entendues. Davantage d’études sur les visions du monde autochtones concernant le handicap sont nécessaires pour parvenir à un monde plus inclusif et plus juste.

Remerciements

Sincères remerciements aux personnes qui ont participé à l’entretien : Sigidim-Nak’ Dieks (Elsie Campbell), Sim’oogit Ni’isýuus (Willard Martin), Sim’oogit’s Duuk’ (William Moore), Sigidim-Nak’s K’yaks Sgiihl Anluuhl P’sday (Dr Deanna Nyce), Sigidim-Nak’s’ Dowhnerca’ Ságwis Sagwis Stewart.

De plus, je tiens à remercier les assistantes de recherche suivantes pour leur engagement dans ce document : Spring Coltraine (Nation métisse de la Colombie-Britannique); Briana Greer (Nation métisse de la Colombie-Britannique); et Ashley Wilkinson, candidate au doctorat à l’École des sciences de la santé de l’UNBC.

Endnotes

  1. Cet article a été traduit vers le français par Lucie Mayer. Les révisions ont été réalisées par Marie-Eve Veilleux et Maria Fernanda Arentsen. Nous avons aussi traduit toutes les citations qui figurent dans le texte.
  2. Les titres et noms autochtones héréditaires de chaque participant et participante sont inclus tout au long de l’article. Ils sont suivis des noms d’ascendance européenne entre parenthèses.
  3. Un effort a été fait pour reconnaitre l’identité autochtone des auteurs et autrices citées dans cet article. Par conséquent, si l’identité autochtone était connue, elle est indiquée entre parenthèses immédiatement après le nom de l’auteurice, à l’intérieur ou à l’extérieur des parenthèses.
  4. Le terme « Pdeek » peut désigner une « tribu » ou un « clan » et ces deux termes sont utilisés de manière interchangeable par le peuple Nisg̱a’a.
  5. La terminologie utilisée pour nommer les peuples autochtones au Canada a changé au fil du temps. Le terme « autochtone » est couramment utilisé dans les contextes universitaires, juridiques et politiques. Toutefois, lorsque je cite d’autres sources, il est possible que j’utilise les termes « Premières Nations », « Amérindiens » et « Indien ». Dans ces cas, leur utilisation est liée au contexte sociohistorique. De plus, la Nation Nisga’a et/ou la Nation Tsimshian (en tant que Premières Nations distinctes) sont reconnues tout au long du présent document.
  6. Sim’oogit (chef) est le terme singulier pour Simgigat (chef·fes héréditaires). Sigidim-nak’ (Matriarche) est le terme singulier pour Sigidim Haanaḵ’ (Matriarches).

Références