École, handicap et francophonie.
Comment pallier les inégalités au sein d’un groupe minoritaire ?
Nathalie Bélanger
Université d’Ottawa
nbelange [at] uottawa [dot] ca
Mona Paré
Université d’Ottawa
Mona [dot] Pare [at] uottawa.ca
Marie-Eve Gagné
Membre du barreau du Québec
mgagn152 [at] uottawa [dot] ca
Résumé
Le cas de certains groupes d’élèves, en l’occurrence ceux en situation de handicap sévère ou à grands besoins et issus des communautés francophones en situation minoritaire (CFSM), apparaît préoccupant. Plusieurs droits qui interviennent dans ce cadre-ci sont rappelés : le droit linguistique des minorités, le droit à l’éducation des élèves en situation de handicap et le droit aux services de soins de santé dans les milieux scolaires. Les auteures privilégient un angle qui emprunte aux études sur les rapports de minorisation fondés sur divers attributs et aux approches de la complexité. D’abord, les cadres normatifs et les pratiques en matière d’offre et de planification de services en vigueur en Ontario, plus particulièrement à Ottawa, sont examinés puis comparés à d’autres que l’on trouve ailleurs au Canada et dans le monde, là où se trouvent des minorités nationales, linguistiques ou ethniques. Les résultats de l’analyse de la littérature sur le sujet montrent qu’une offre active permet d’atténuer les difficultés auxquelles les familles font face dans leur quête de services et de soins pour leurs enfants. Un autre thème récurrent dans la littérature concerne la participation des familles et des communautés aux soins et à l’éducation.
Mots-clés
- Francophonie
- handicap
- minorité linguistique
- éducation
- inégalités
Abstract
The case of certain groups of students, in this case those with severe disabilities or with great needs, and coming from Francophone minority communities, appears worrisome. A multitude of overlapping and intersecting rights are explored in this context: minority language rights, the right to education of pupils with disabilities and the right to health care services in schools. The authors draw on a perspective borrowed from studies of minorization based on diverse attributes and approaches of complexity. First, the normative frameworks and practical implementation and planning of services offered in Ontario, particularly in Ottawa, are examined and then compared with others found elsewhere in Canada and around the world, where national, linguistic or ethnic minorities are present. The results of the literature review show that an active offer helps to alleviate the difficulties families face in their quest for services and care for their children. Another recurring theme in the literature concerns the involvement of families and communities in care and education.
Keywords
- Francophonie
- Disability
- Linguistic minority
- Education
- Inequality
École, handicap et francophonie.
Comment pallier les inégalités au sein d’un groupe minoritaire ?
Nathalie Bélanger
Université d’Ottawa
nbelange [at] uottawa [dot] ca
Mona Paré
Université d’Ottawa
Mona [dot] Pare [at] uottawa.ca
Marie-Eve Gagné
Université d’Ottawa
mgagn152 [at] uottawa [dot] ca
Introduction
Une orientation en faveur de l’éducation inclusive semble dorénavant marquer les discours et inspirer les politiques publiques éducatives en Ontario. Le Ministère de l’Éducation de cette province (MÉO) la définit comme étant une « [é]ducation basée sur les principes d’acceptation et d’inclusion de tous les élèves [qui] veille à ce que tous […] se sentent représentés dans le curriculum et dans leur milieu immédiat de même que dans le milieu scolaire en général dans lequel la diversité est valorisée et toutes les personnes sont respectées » (MÉO, 2009). Tant les écoles de langue anglaise que celles de langue française en Ontario qui ont obtenu, en 1998, leur plein droit de gestion doivent mettre en œuvre cette politique. Pourtant, il est encore difficile de comprendre de quoi il en retourne dans le quotidien des écoles et des jeunes, ainsi que pour les familles.
On estime qu’environ 13 % des enfants âgés de 11 ans et moins en Ontario ont une condition chronique ou des problèmes d’apprentissage. Parmi ces enfants, 15 % ont un handicap modéré ou profond (Commission ontarienne des droits de la personne, non daté). Un accompagnement parfois médical est nécessaire durant leur scolarité.
Il y a lieu de s’interroger au sujet des programmes et des services spécialisés accessibles pour les jeunes issus des communautés francophones en situation minoritaire (CFSM) dans les écoles qu’ils fréquentent. Comment s’allient droits linguistiques, droits à l’éducation et droits aux services de soins de santé aux élèves ? Le cadre législatif en vigueur protège-t-il les intérêts des élèves en situation de grands besoins ? Que veut dire une éducation inclusive pour les élèves de la minorité linguistique ? Comment pallier les inégalités au sein d’un groupe minoritaire ? La littérature internationale présentant le cas d’autres minorités comparables peut-elle fournir des pistes et des recommandations ?
Ces questions sont fondamentales et appellent la mise en œuvre de méthodologies originales pouvant sonder le milieu et offrir une lecture juste des progrès réalisés et des défis en la matière. Le présent article tente de répondre à ces questions en privilégiant un angle qui emprunte aux études sur les rapports de minorisation fondés sur divers attributs et aux approches de la complexité. Le contexte général est d’abord présenté, suivent la méthodologie et le cadre théorique sur la diversité au sein des groupes minoritaires. Enfin, les situations ontarienne et ottavienne, le cadre juridique et les principaux résultats émanant de la revue de la littérature sont discutés.
Contexte
Des limites paraissent freiner l’orientation politique en faveur de l’inclusion. Si les écoles de langue française doivent en effet offrir des services comparables à celles du réseau majoritaire anglophone, cela semble parfois ardu, en raison, certes, de l’étendue géographique des conseils scolaires, mais aussi en raison d’une probable réticence à penser un groupe minoritaire, en l’occurrence ici, linguistique, dans toute sa diversité. Malgré cette orientation politique en faveur de l’éducation inclusive, la notion même d’inclusion demeure floue, étant parfois rattachée à l’intégration en salle de classe ordinaire des enfants à besoins éducatifs particuliers et d’autres fois à des services offerts hors de la classe elle-même. L’énoncé politique est parfois confus, renvoyant soit au strict secteur éducatif, soit à un modèle inclusif de la société appelée à s’adapter à tous. De plus, malgré la constitution d’associations de professionnels et de parents défenseurs des enfants et des jeunes, et des formations offertes aux enseignants, plusieurs parents vivent encore un véritable « parcours du combattant » quand il s’agit de la scolarisation de leur enfant (Bélanger, 2010). Tant pour les parents francophones que pour les anglophones, c’est l’image des luttes et des revendications qui retient l’attention. Il s’avère que pour la minorité francophone, le défi est d’autant plus considérable puisque les familles vivent une double minorisation (linguistique et sur la base du handicap de leur enfant). À ces défis s’ajoute une tendance à la judiciarisation qui, on le constatera, ne donne pas, la plupart du temps, satisfaction. Qui plus est, les cultures professionnelles, la division du travail de soin, d’éducation, de réadaptation, et la difficulté des professionnels à travailler ensemble freinent ce que peut vouloir dire une culture scolaire inclusive. L’histoire de l’enseignement destiné aux enfants en grande difficulté est sans conteste, comme le disent Chauvière et Plaisance, « une histoire de la séparation par rapport aux circuits réguliers de l’éducation » (2008 : 32). Pour ces auteurs, l’intégration des enfants relève donc avant tout de « l’intégration des compétences des adultes » (2008 : 43) à travailler ensemble au service des enfants. Par ailleurs, des auteurs montrent la grande disparité des services de santé et d’éducation selon les régions au Canada (Underwood, 2012 ; Forgues et al., 2009). D’autres évoquent, dans divers contextes étudiés, le fait que cette disparité de l’offre et de l’accès aux services relève d’un manque de sensibilité aux différences culturelles (Ali, 2013 ; Caton et al., 2007 ; Fazil et al., 2002 ; McKee, 2012 ; Yang et al., 2007 ; Yu et al., 2006). En outre, la libéralisation de l’éducation qui s’exprime notamment à travers des logiques concurrentielles entre les écoles d’un même secteur ne permet pas de pleinement mettre en œuvre l’orientation inclusive mentionnée ci-dessus. Si le choix de l’école semble présent chez une portion des parents, des segments de la population paraissent plus exclus, soit les familles ayant un enfant en situation de handicap et celles nouvellement arrivées sur le territoire ontarien. Cela apparaît d’autant plus paradoxal qu’une littérature portant sur le libre choix scolaire vante les avantages du choix de l’établissement spécifiquement pour ce dernier groupe d’élèves (Bélanger, Audet et Plante, 2014).
Ainsi, et bien que certains résultats soient néanmoins observables en matière d’inclusion des élèves en situation de handicap ou en difficulté, la situation des élèves en situation de handicap sévère (troubles importants des fonctions cognitives, multiples handicaps, besoins complexes) demeure très préoccupante (Bélanger et al., 2015), et c’est de ce groupe en particulier dont il s’agit ici.
Méthodologie
Les résultats discutés ci-dessous sont extraits d’un plus large projet qui vise, à travers une orientation pragmatique et constructiviste de la recherche, une mobilisation collective autour de la question des services aux élèves en situation de handicap sévère. Un premier rapport de recherche a été publié à ce sujet (Bélanger et al., 2015). Dans le cadre de cet article-ci, il s’agit de dresser un portrait de la situation qui prévaut dans la région d’Ottawa et de le comparer à ce qui ressort de la revue de la littérature plus générale et des pratiques identifiées ailleurs au Canada et dans le monde, dans l’espoir de proposer des pistes et des recommandations susceptibles de favoriser les CFSM. Cette étape a été réalisée grâce à l’interrogation de moteurs de recherche dans le domaine, et à la constitution de revues de la littérature. La majorité des sources écrites proviennent d’articles scientifiques évalués par les pairs, mais aussi de rapports commandés par des gouvernements ou d’autres organismes, permettant ainsi une représentation de la situation d’un point de vue à la fois scientifique, mais aussi pragmatique et conjectural.
Afin de faire l’inventaire des services existants, des informations officielles émanant des conseils scolaires, des ministères, des politiques en vigueur ont été colligées, et des entretiens avec des responsables de soins et de l’éducation (quatre intervenants) ont été menés.
Un premier domaine de recherche a trait à l’état actuel de l’offre de services destinés aux enfants en situation de handicap et appartenant à la population minoritaire francophone au Canada. Un autre domaine élargit la recherche au plan international et porte sur les services procurés aux enfants en situation de handicap et appartenant à une population minoritaire dans leur pays. Enfin, une recherche est effectuée, dans la documentation sur le handicap, sur les avantages et les limites que procure une approche communautaire, compte tenu de l’impact indéniable de l’environnement social, politique, et de la communauté sur l’expérience du handicap et l’accès aux services dans le contexte d’une population minoritaire.
L’analyse des données fait ressortir plusieurs thématiques discutées ci-dessous, mais d’abord précisons l’approche empruntée pour cette étude et le cadre juridique de la problématique.
La minorité dans la multiplicité
Tant dans le domaine des sciences sociales que de l’éducation, nombre de travaux récents abordent la question des minorités au sein même d’un groupe minoritaire en s’éloignant de la pensée dichotomique qui oppose trop souvent des groupes les uns aux autres, le « Nous » versus les « Autres », la majorité versus la minorité (Drolet, Garneau et Dubois, 2010).Ils présentent des rapports de minorisation fondés sur divers attributs, tels le genre, la classe sociale ou le handicap. Ces études promeuvent des approches de la complexité héritées, au Canada français, des premiers travaux de Juteau-Lee (1981) qui questionnent l’approche prétendument universelle et neutre de la sociologie de l’époque, qui occultait la présence de certains membres au sein du groupe, notamment les femmes et les membres de communautés culturelles. Ces études s’inscrivent dans la foulée de l’émergence des études féministes des années 1980, celles dites ethniques des années 1990 et des travaux sur l’intersectionnalité qui apparaissent au début des années 2000.
En sciences sociales, Garneau (2010) tente de comprendre pourquoi les études traitant de la complexité des identités et des inégalités sociales, des minorités au sein même de la minorité francophone canadienne ont tant tardé à émerger. Si pour Garneau l’un des éléments explicatifs est l’accroissement plus récent du flux migratoire au sein de la francophonie canadienne, l’auteure se tourne aussi vers deux autres types d’explication.
Premièrement, elle explore la Loi sur les langues officielles et la Politique sur le multiculturalisme, « lesquelles ont concouru à l’ethnicisation de l’identité canadienne-française, dans une logique concurrentielle avec d’autres groupes minoritaires qui ne favorise pas la prise en compte simultanée des identités » (2010 : 26). De ce cadre juridique, les francophones deviennent alors un groupe minoritaire parmi d’autres, et l’accent est mis sur l’identité laissant en plan la question des inégalités sociales et des rapports de pouvoir au sein même du groupe minoritaire. Toujours selon Garneau, il apparaît pourtant plus judicieux de « penser la simultanéité des processus pluriels de minorisation en déplaçant la polémique identitaire sur le terrain des inégalités sociales » (2010 : 26) et en évitant de tomber dans le piège de la catégorisation (2010 : 34). Ce faisant, il n’y aurait alors plus lieu d’opposer, selon Garneau, les francophonies minoritaires aux minorités ethniques ou autres. Pourtant, Garneau rappelle également que Thériault et Meunier(2008) condamnent ce genre d’études, qui ne feraient que s’insérer, selon eux, dans un « paradigme ethnique » et oblitérer le caractère nationalitaire de la francophonie.
Deuxièmement, Garneau élabore au sujet des études féministes et de l’intersectionnalité, dont la reconnaissance fut aussi relativement tardive au sein des études sur la francophonie, ne permettant pas de penser, là encore, la simultanéité des processus de minorisation. En s’inspirant de Crenshaw, on pourrait penser qu’il s’agit là d’un « silence entretenu sur les différences internes aux groupes [qui] contribue souvent à alimenter les tensions entre groupes » (2010 : 53) et à tenter de présenter le groupe de façon unifiée. Dès 1991, cette auteure montre, dans le contexte d’une étude au sujet de la violence faite aux femmes noires, les limites de « l’essentialisation de “l’être noir” par l’antiracisme et de “l’être femme” par le féminisme » (2010 : 79). Pour cette auteure, les identités se situent à l’intersection de dimensions multiples et les catégories sont tenues pour construites.
Des études montrant la francophonie dans toute sa diversité sont depuis lors menées. En éducation, et dès les années 1980, des chercheurs du Centre de recherche en éducation franco-ontarienne (CREFO) traitent de la francophonie en mettant de l’avant le caractère diversifié du groupe minoritaire et en examinant les thématiques des classes sociales, du genre et des mariages mixtes (voir, entre autres les travaux pionniers de Heller, 1999 et de Labrie et Lamoureux, 2004). Dalley et Begley (2008) se sont concentrés sur la fragmentation et la cohésion sociales des minorités francophones en éducation en milieu minoritaire. Farmer et Richards (2006) présentent un rapport de recherche sur l’école et la diversité. Le travail de recherche de l’une d’entre nous a porté sur cette question d’intersection entre une population d’élèves vulnérables, ayant des besoins spécifiques, et une offre scolaire en milieu linguistique minoritaire (Bélanger, 2007 ;2010 ; 2012). Deux grands courants de recherche influencent ces derniers travaux.
D’abord, au sujet du handicap, mentionnons la distinction que fait Oliver (1990) entre modèles médical et social du handicap dans son ouvrage, désormais incontournable, The Politics of Disablement. Il précise que le modèle médical définit habituellement les besoins des personnes selon leur handicap, tandis que le modèle social tente de le situer dans le contexte de la société dans laquelle les personnes vivent, suggérant que c’est la société qui handicape les personnes.
Ensuite, les études sur l’enfance et les droits permettent de mieux comprendre les situations vécues par les enfants et de se détacher de l’idée d’une enfance universelle pour penser la penser au pluriel dans des contextes variés. Woodhead (2005) interprète d’ailleurs ainsi la Convention relative aux droits de l’enfant et d’autres auteurs du champ de la sociologie de l’enfance ont également montré ce besoin de considérer la diversité de l’enfance (Freeman, 2000 ;Sirota, 2012).
Dans les sciences sociales et de la santé, au début des années 2000, un courant de recherche se consolide et considère l’attribut « francophone en situation linguistique minoritaire » au même titre que d’autres attributs, tels que l’âge ou le genre, en tant que déterminants de la santé (voir, entre autres, Bouchard et Desmeules, 2011).
Dans toutes ces recherches ici brièvement mentionnées, l’intersectionnalité permet de penser la langue, mais aussi le handicap, le genre, la classe sociale, etc., et vise à tenir compte des intersections entre ces attributs.
Le projet dont il est question ci-dessous découle des champs d’études structurants décrits ci-dessus qui ont permis de penser la problématique des inégalités dans le groupe minoritaire lui-même.
L’offre de services ottavienne
La ville d’Ottawa a servi de terrain d’étude. Même si la population francophone minoritaire y est importante, on observe encore un faible accès aux services en français pour les enfants handicapés et leur famille, notamment en raison de l’insuffisance de services, de listes d’attente plus longues que celles de la majorité et du peu de ressources et d’information disponibles en français (Ottawa Francophones with a Disality, 2006).
Pour les enfants en situation de handicap physique ou développemental sévère, il existe 20 centres de traitement (CTE) pour enfants en Ontario. Dans le cadre de cette recherche, il nous a été possible de visiter celui desservant la grande région de la capitale, qui gère six classes de cinq enfants chacune, dont l’une est francophone. Cette offre de services en français n’existe que depuis cinq ans et a été mise en place à la suite d’une plainte d’un parent. Ainsi, pour la première fois en 2010-2011, six élèves provenant des conseils scolaires de langue française de la région d’Ottawa et ayant des besoins multiples ont été admis dans un programme de ce centre, qui fournit un appui aux familles. Il importe de souligner la décision du personnel qui a opté pour la création d’un service durable sous l’égide de la Loi sur les services en français, communément appelée la Loi 8, au lieu de fournir un service ponctuel à la suite de la plainte.
Quand les enfants atteignent l’âge scolaire, ce sont les conseils scolaires qui en sont responsables et, notamment ceux de langue française, tenus de mettre en place ou d’acheter des services pour répondre aux besoins des élèves en grande difficulté, mais les ressources parfois limitées compliquent la donne. Ils peinent souvent à trouver suffisamment de services adéquats pour ces jeunes et offrant une programmation combinant à la fois une scolarisation et des soins spécialisés. En fin de compte, selon la responsable rencontrée au Centre de traitement pour enfants d’Ottawa, c’est grâce aux relations de collégialité entre professionnels que la constitution de liens et de partenariats s’établit entre le centre et les conseils scolaires. Le centre est en lien avec les conseils scolaires grâce à une enseignante « liaison francophone » qui va dans les écoles.
Le Centre Jules-Léger, quant à lui, sous la responsabilité du ministère de l’Éducation, comprend une école provinciale et une d’application. La première a pour but d’offrir des programmes de qualité aux élèves francophones sourds ou malentendants, aveugles ou sourds et aveugles. La deuxième, l’école d’application, offre un programme pour ceux ayant des troubles sévères d’apprentissage et pour qui l’on dit « avoir épuisé les ressources de l’école et du conseil scolaire ». Les cas d’élèves référés pour des troubles d’apprentissage sévères vont en augmentant. Un nombre maximum de 40 élèves (cinq groupes de huit élèves) est accueilli pendant une période de deux ans. Dans le cas de ce programme, la résidence représente une composante intégrale de l’Intervention. Le Centre Jules-Léger reçoit les élèves de niveau élémentaire, intermédiaire et supérieur. Le ministère de l’Éducation a aussi confié au Centre Jules-Léger le rôle d’appuyer les 12 conseils scolaires francophones qui intègrent dans leurs écoles des élèves sourds ou malentendants. En ce sens, le Centre Jules-Léger a vu sa mission largement transformée au cours des dernières années puisqu’il offre dorénavant des services consultatifs et que l’on tient aussi compte des stratégies de métacognition pour aider à apprendre et à faire en sorte que les enfants puissent retourner dans leur communauté.
Les enfants en âge scolaire peuvent aussi recevoir des soins par les Centres d’accès aux soins communautaires (CASC) avec lesquels les écoles et conseils scolaires sont en contact. Dans la région d’Ottawa, il s‘agit du Centre d’accès communautaire de Champlain, dont la mission est d’offrir les services auxiliaires de santé dans les écoles pour les enfants « à besoins complexes » sur un territoire couvrant une superficie de 18 000 km carrés. L’offre de services que coordonne et fournit ce centre relève d’un large éventail, allant de l’orthophonie à la nutrition, en passant par les soins infirmiers, le counseling ou encore l’ergothérapie. L’offre de services auxiliaires de santé en milieu scolaire est une réalité bien méconnue. Ces services et soins primordiaux au quotidien de nombreux élèves sont assumés de concert par le ministère de la Santé, le ministère des Services sociaux et communautaires et le ministère de l’Éducation de l’Ontario (Note politique 81). Sans ces soins en milieu scolaire, plusieurs ne pourraient être en mesure de fréquenter l’école.
Pourtant, une étude réalisée en 2010 sur la mise en œuvre des services auxiliaires de santé en milieu scolaire et communautaire révèle des inégalités dans l’accès à ceux-ci, notamment pour la minorité francophone. L’étude réalisée auprès d’intervenants du milieu démontre que le cadre législatif et réglementaire dans son ensemble est compris de façon variable à travers la province. Les intervenants interrogés, dans le cadre de l’étude, signalent que la note politique 81 est souvent interprétée de façon trop étroite, à défaut d’être vue comme un moyen de soutien global à la santé et aux besoins liés au développement des enfants. Elle n’a d’ailleurs fait l’objet d’aucune révision depuis 1984, et ce, malgré des recommandations en ce sens en 2010 (Deloitte, 2010).
Il va sans dire que les défis posés par l’inclusion des élèves en situation de handicap sévère sont nombreux et que cette collaboration ministérielle tripartite requiert une grande coordination pour être implémentée de façon efficace.
Le Groupe de travail sur une stratégie en matière d’éducation en français avait déjà ciblé, dès 2004, la difficulté de coordonner et d’intégrer les services communautaires en français compte tenu du nombre de municipalités et du grand territoire (GTSMEF, 2004).
En ce qui concerne les conseils scolaires et les intervenants avec lesquels nous avons pu nous entretenir, il apparaît évident que tous les cas sont singuliers et bien différents les uns des autres. Cela étant dit, et selon un interlocuteur interrogé, il y a, généralement, quatre types de placements des élèves sévèrement handicapés qui sont inscrits dans un conseil scolaire.
Il y a d’abord le Centre de traitement dont il a été question plus haut et où les places sont limitées. Il y a aussi des classes distinctes dans des écoles. Un troisième type s’avère possible au Centre Jules-Léger, décrit ci-dessus, et qui a ses propres critères d’admission. Enfin, toute une gamme de programmes et de services destinés aux élèves ayant un trouble du spectre autistique (TSA) est disponible depuis la mise en application de la NPP 140, et plus spécifiquement de l’adoption de l’analyse comportementale appliquée (ACA). Il y a des classes dites distinctes pour ce groupe d’élèves dans différentes écoles.
Ce qui semble intéressant ou digne d’être examiné avec grande attention est le fait que pour les enfants et les jeunes hors du grand Ottawa, les services sont moins présents, ce qui a pour conséquence que l’on y retrouve davantage d’élèves en situation de handicap sévère dans les classes et les écoles ordinaires assignées selon les zones de fréquentation. Cette offre de services en français est encadrée de diverses manières au plan juridique. Rappelons les principaux repères.
Un cadre juridique peu concluant
La Charte canadienne des droits et libertés, entrée en vigueur en 1982, stipule que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada. Au surplus, l’article 23 précise que les citoyens canadiens dont la première langue apprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident et qui ont reçu leur instruction primaire dans la langue de la minorité ont le droit de faire instruire leurs enfants dans cette langue (art. 23). Selon la Charte, la loi ne fait exception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à une protection égale et au même avantage de la loi, sans discrimination (art. 15). De plus, la Charte promeut la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais (art. 16,3).
La Cour Suprême a interprété l’article 23 de la Charte qui garantit le droit à l’enseignement dans la langue de la minorité dans la décision Mahé rendue en 1990. Le jugement stipule notamment que :
Toute garantie générale de droits linguistiques, surtout dans le domaine de l’éducation, est indissociable d’une préoccupation à l’égard de la culture véhiculée par la langue en question. Une langue est bien plus qu’un simple moyen de communication ; elle fait partie intégrante de l’identité et de la culture du peuple qui la parle (1990 : 362).
C’est aussi en vertu de ce jugement que sont créés les conseils scolaires de langue française dans plusieurs provinces canadiennes, notamment en Ontario, où on en dénombre douze (huit confessionnels et quatre publics) et pour lesquels, tel que précisé précédemment, la responsabilité de fournir des services aux élèves ayant de grands besoins à combler incombe.
Si en Ontario le français jouit du statut de langue officielle en matière de justice et d’éducation uniquement, plusieurs autres droits linguistiques sont néanmoins accordés à la minorité francophone dans d’autres secteurs. La Loi sur les services en français garantit par exemple l’accessibilité aux services de la part des organismes gouvernementaux dans 25 régions désignées, notamment en matière de santé et de services sociaux. Les intervenants dénoncent toutefois les limites de cette loi qui ne prévoit pas une offre active de services en français et qui complique parfois les démarches administratives des organismes qui offrent déjà des services en français (Cardinal, 2001). Dans une enquête réalisée au début des années 2000, Cardinal a mis en lumière que « la stratégie gouvernementale visant à rendre bilingues des organismes anglophones plutôt que de créer des services homogènes ou parallèles francophones ne représente pas une avancée, mais plutôt une limite au développement de services sociaux en français » (2001 : 69).
Les difficultés d’accès aux services de santé des minorités francophones ne datent pas d’hier en Ontario (Rapport Dubois, 1976 ; Cardinal, 2001). La décision Montfort (Lalonde c. Ontario, Cour d’Appel de l’Ontario, 2001, 56 O.R. [3d]577[C.A.]) s’impose comme symbole de la lutte pour la protection des droits linguistiques des minorités francophones.
Malgré ce constat, aucune décision judiciaire concernant spécifiquement l’accès des élèves francophones en situation de handicap sévère aux soins de santé en lien avec leur éducation n’a pu être répertoriée, ce qui justifie en soi que l’on s’attarde davantage à cette question.
Quelques cas pertinents permettent toutefois de clarifier les principes qui s’appliquent à l’accès aux services médicaux et scolaires pour les enfants en situation de handicap. D’abord, mentionnons l’affaire Eldridge, qui concerne l’interprétation gestuelle à l’hôpital et dans laquelle la Cour suprême du Canada détermine le droit à un accès égal aux services médicaux (Eldridge c. Colombie Britannique, [1997] 3 RCS 624). En se fondant sur l’article 15 de la Charte, la Cour statue que lorsque le gouvernement fournit un avantage à la population générale, il doit s’assurer que les membres désavantagés de la société puissent eux aussi en profiter pleinement. D’autres jugements, comme l’affaire Auton portant sur le refus de la province de financer une thérapie comportementale pour enfants autistes, viennent toutefois limiter cette obligation de l’État. La Cour suprême mentionne dans cette affaire que l’article 15 de la Charte ne signifie pas d’emblée le financement de tous les services, mais bien uniquement ceux considérés comme essentiels, alors que les parents demandaient l’accès à un avantage non conféré par la loi (Auton c. Colombie-Britannique, [2004] 3 RCS 657).
Toujours dans le contexte médico-scolaire et de services jugés essentiels, la Cour suprême statue, dans l’affaire Adler, que le gouvernement n’est pas tenu d’assurer des services de santé pour enfants d’âge scolaire destinés aux élèves handicapés inscrits dans les écoles privées (Adler c. Ontario, [1996] 3 RCS 609). Les juges de la majorité motivent leur décision en qualifiant les services de santé offerts en milieu scolaire de services d’enseignement, puisque ces services sont offerts dans des écoles et qu’ils visent à garantir que des enfants qui ont des besoins particuliers aient pleinement accès au régime d’école publique qui vise à offrir un enseignement à tous les membres de la collectivité.
La Cour d’appel de l’Ontario s’est aussi penchée sur la question des programmes de thérapie comportementale pour les enfants autistes dans l’affaire Wynberg. La thérapie exigée par les parents dans le cadre de l’éducation pour l’enfance en difficulté n’est pas, selon la Cour, le seul programme approprié pour les élèves autistes. De plus, cette thérapie, financée uniquement pour les enfants de moins de 6 ans, serait plus appropriée pour les personnes d’âge préscolaire (Wynberg v. Ontario, 82 OR [3d] 561). Le refus de financement du programme pour le niveau élémentaire ne portait donc pas atteinte à l’article 15 de la Charte.
Les parents peuvent se tourner vers les tribunaux lorsqu’ils contestent les services que reçoit leur enfant, mais leur cause est souvent déboutée étant donné la tendance des tribunaux à donner raison aux conseils scolaires (Paré et Bélanger, 2014). Le Tribunal de l’enfance en difficulté de l’Ontario est le recours principal offert aux parents dont les enfants sont inscrits au système financé par l’État. Peu de familles francophones s’en prévalent et ce recours ne concerne que l’identification et le placement de leur enfant et non la programmation ou les services qu’il reçoit. D’autres recours, comme le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, permettent d’invoquer une discrimination par rapport à l’accès aux services, mais ils sont encore moins utilisés à cause de la longueur des procédures et de la difficulté d’obtenir gain de cause (Paré et Bélanger 2014, Paré 2010). Certains parallèles effectués avec le traitement judiciaire des demandes d’accommodements religieux permettent d’ailleurs d’observer des différences dans l’analyse des tribunaux allant en ce sens (Gagné, 2015). L’importance de clarifier ce qui peut constituer une contrainte excessive pour les milieux scolaires apparaît au surplus nécessaire pour limiter l’incertitude à laquelle les familles font face au moment de présenter une demande devant les tribunaux (Gagné, 2015 ; Paré, 2012). Toutefois, même lorsque les demandeurs obtiennent finalement gain de cause, les délais judiciaires et l’absence de mesures de réparation adéquates rendent la victoire juridique illusoire pour l’élève et sa famille, comme l’illustre si bien le jugement de la Cour Suprême du Canada dans l’affaire Moore, où il avait fallu plus de dix ans aux parents d’un jeune garçon, qui n’a pas bénéficié de services spécialisés suffisants en milieu scolaire alors qu’il éprouvait de sérieuses difficultés d’apprentissage, pour qu’ils obtiennent gain de cause (Voir Paré, 2013).
Ces recours ne semblent donc pas favorables à une approche inclusive au service des jeunes et des familles issues des communautés francophones en situation minoritaire (Paré et Bélanger, 2014 ; Bélanger et al., 2015). Afin d’éviter des délais dommageables pour les enfants, et une trop grande judiciarisation de la société, il y a lieu de trouver des pistes de solutions et des modèles de gouvernance plus efficients et plus rapides, pour le bénéfice des enfants et des jeunes.
D’une offre active à la participation des familles : comment pallier les inégalités au sein d’un groupe minoritaire ?
Plusieurs conséquences négatives découlent d’une situation de rareté de services. En l’occurrence, les personnes en situation de handicap se retrouvent en situation de vulnérabilité face aux prestataires de soins de qui elles sont dépendantes. Des entrevues réalisées auprès d’intervenants du milieu révèlent que, devant cette rareté des services et par crainte d’être pénalisées dans les soins reçus, plusieurs familles décident de délaisser leur langue première pour accéder aux services (Bélanger et al, 2015 ; Pearce, 2003). Or, le fait de recevoir des soins dans une langue seconde peut engendrer d’importants problèmes de communication entre l’élève, sa famille et les intervenants responsables des soins et services (Söderström, 2014). Cette barrière linguistique, et parfois culturelle, peut sérieusement mettre en péril la relation thérapeutique, particulièrement chez les personnes souffrant de problèmes de santé mentale et de handicap sévère. Que ce soit en raison d’une mauvaise compréhension de l’information transmise, ou parce qu’il est difficile de bien se faire comprendre et de poser des questions, le consentement aux soins peut aussi être vicié. Comment pallier ces limites ?
Un premier élément de réponse à cette question renvoie au déploiement d’une offre active et au financement d’une telle offre. Un deuxième élément porte sur l’importance d’adopter une approche sensible aux cultures et aux langues des enfants et des familles afin d’atténuer les difficultés auxquelles ils font déjà face dans leur quête de services et de soins. Un troisième concerne le rôle de la recherche participative et collaborative avec les familles et la communauté pour remédier au manque de soutien que vivent les populations minoritaires.
Offre active
L’insuffisance de l’offre de services et le peu d’information disponible en français peuvent créer de l’insécurité chez les familles francophones dont un enfant se trouve en situation de handicap sévère. Ces familles risquent alors de se tourner vers les services anglophones pour éviter des délais préjudiciables au développement et à l’apprentissage de leur enfant. L’offre active apparaît comme une approche pouvant contrer cette insécurité et contribuer à faire en sorte que la minorité francophone dans toute sa diversité soit bien desservie. Le Consortium national de formation en santé (CNFS) favorise cette approche et en énonce les fondements ainsi : « l’offre active des services de santé en français aux populations francophones vivant en situation minoritaire au Canada est une question de qualité, de sécurité, de légitimité et, de ce fait, une question d’éthique » (2012). En 2012, le Commissaire aux services en français de l’Ontario souligne, dans un rapport portant alors sur l’accès à l’éducation post secondaire dans le centre sud-ouest ontarien, que le concept de l’offre devrait être en effet inversé lorsqu’on est en situation minoritaire. Alors qu’habituellement, dans un contexte majoritaire, la demande suscite l’offre, on constate qu’« il faut plutôt de l’offre pour qu’il y ait demande » dans un contexte minoritaire. Ainsi, il faut bien plus qu’un simple affichage anglais-français pour que l’usage du français en situation minoritaire soit une réalité légitime et efficace (voir aussi Cardinal et Sauvé, 2010). Il ne faut pas se contenter de l’existence d’un service en français, mais bien d’en assurer la qualité et la légitimité afin de créer un sentiment de sécurité chez les francophones minoritaires qui requièrent des services (Commissaire aux services en français de l’Ontario, 2010 ; Cardinal et Sauvé, 2010 ; CNFS, 2012). Dans une étude portant sur les services à fournir aux familles de minorités ethniques ayant un enfant en situation de handicap, Nawaz (2006) montre que la diffusion de l’information dans la langue de la minorité agit comme facteur de valorisation et de légitimité de la minorité linguistique.
Selon Söderström (2014), la communication entre les familles et les professionnels des soins constitue un défi majeur lorsqu’elles désirent accéder à des services publics dans le domaine de la santé. Pour cette auteure, les barrières linguistiques résultent d’un double problème : non seulement ces familles ont des difficultés à comprendre l’information qu’on leur transmet par l’intermédiaire des services de santé, mais aussi, à l’inverse, elles éprouvent de la difficulté à s’exprimer et à être bien comprises par ces mêmes entités. Si des traductions sont alors envisagées, bien que la réalité montre que les prestataires de services y recourent rarement et que, lorsqu’ils s’exécutent, une perte significative d’information informelle pour les parents s’ensuit, elles ne sont utilisées que lors des échanges d’informations spécifiques et formelles tenues souvent en fin de processus (Berg, 2010). C’est pourquoi le recours aux interprètes s’avère limité et peut même devenir une entrave à des rencontres plus spontanées entre les parents, les enfants et les membres du personnel du service (Pickl, 2011). Une autre recherche expose les conséquences de la barrière de la langue lorsque les parents accompagnés d’un enfant handicapé engagent des discussions avec des professionnels de soins de santé sur un pronostic et une planification de soins à long terme. Ce type de discussion, déjà difficile lorsque les choses se passent relativement bien, peut devenir déconcertant quand on considère la barrière linguistique, de même que le fait que l’enfant, habilité dans la langue de scolarisation, joue parfois le rôle de traducteur pour ses parents lors de discussion avec des professionnels (Lotsein et al., 2010).
En poussant plus avant cette exigence de communication, on note une volonté manifeste exprimée depuis quelques années d’entendre la voix et les choix des enfants eux-mêmes (James et Prout, 1990), y compris les enfants handicapés (Davis, Watson et Cunnigham-Burley, 2000). Or, les études font plutôt la démonstration, selon Franklin et Soper (2009), que peu d’efforts sont à ce jour accomplis en ce sens afin de trouver des méthodes alternatives de communication avec les enfants en situation de handicap sévère. Seule Picklr apporte qu’en Autriche, une attention particulière est accordée à l’utilisation de moyens de communication adaptés à la culture de l’enfant handicapé :
For children with severe disabilities and a home language that differs from the language spoken at school, successful communication intervention is facilitated by a classroom situation that allows for an intensive focus on the child by teachers who are open to other cultures and languages, interested in teamwork and Augmentative and Alternative Communication (ACC) (2011 : 242).
Au-delà de ces enjeux de communication bien réels, des approches collaboratives avec les familles et la communauté environnante à l’enfant peuvent contribuer à réduire les inégalités dans le groupe minoritaire.
Approche de collaboration entre les familles et la communauté
Si des parents peuvent parfois se sentir exclus des décisions, ce qui nourrit leur sentiment d’être en perpétuelle lutte pour faire entendre leur voix quant au meilleur intérêt de leurs enfants, des pratiques collaboratives peuvent pallier cette situation. À titre d’exemple, une étude sur les expériences vécues par des familles ayant immigré aux ÉtatsUnis et dont les enfants éprouvent des troubles du développement préconise une approche communautaire de nature participative qui comprend des groupes de discussion dans la langue première des participants. Dans ce cas, cette méthode est utile tant au renforcement de l’autonomie des parents et de la communauté qu’à la sensibilisation aux préoccupations et aux défis auxquels les familles sont confrontées (Baker et al., 2010).
Une approche des soins de santé et de services centrée sur la famille remédie aussi aux inégalités de services et de soins en promouvant un partenariat dynamique entre les patients, les familles et les professionnels, bien que Coker, Rodriguez et Flores (2010) montrent que des disparités persistent encore à ce titre entre les populations minoritaires et majoritaires aux États-Unis. Une telle démarche permet pourtant d’identifier les ressources et le système de soutien dont les familles ont besoin, tout en les considérant dans le processus décisionnel qui mène à une véritable collaboration (Olivos, Gallagher et Aguilar, 2010).
En outre, une approche communautaire vise à améliorer la qualité de vie des personnes concernées, soit de celles en situation de handicap et de leur famille dans le cas présent, en répondant à leurs besoins et en s’assurant de leur participation à un processus collectif élargi. C’est une approche recommandée par l’Organisation mondiale de la santé qui la désigne comme la réadaptation à base communautaire (RBC), et dont les principales composantes comprennent la santé, l’éducation, les moyens d’existence, l’aspect social et l’autonomisation. Elle vise à ce que les personnes handicapées deviennent des contributeurs actifs au sein du groupe et de la société, et que cette dernière élimine progressivement les barrières qui s’érigent face à elles(Organisation mondiale de la Santé, Organisation internationale du Travail, Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, 2004 :3). Sakellariou et Pollard (2006) décrivent la RBC comme une stratégie utilisant une communauté pour créer l’égalité des chances et l’inclusion sociale de toutes les personnes handicapées, ainsi que pour responsabiliser les collectivités. Ces auteurs mettent l’accent sur le fait qu’avec la RBC, les soins ne sont pas « offerts » aux personnes qui en demandent l’accès, mais qu’ils découlent plutôt d’un processus de collaboration dans lequel les personnes en situation de handicap et les communautés dans lesquelles elles évoluent participent activement au mécanisme décisionnel et d’émancipation citoyenne (Sakellariou et Pollard, 2006). De cette façon, le contexte socioculturel et politique dans lequel la mise en œuvre des soins pour les individus en situation de handicap se déploie est pris en compte (Sakellariou et Pollard, 2006). Autrement, les soins apparaissent dépourvus de contextualisation sociale et politique.
Quant à Thomas (1992), qui documente la réadaptation à base communautaire en Inde au moment où elle émerge, elle rappelle que cette approche est « ascendante » par nature et qu’elle nécessite la pleine participation des personnes handicapées, de leurs familles, ainsi que des communautés locales. De son côté, en comparant deux pays culturellement et politiquement très différents, l’Ouganda et la Suède, Persson (2014) montre que dans le premier, la RBC est implantée à partir d’une approche top-down, grâce à une initiative gouvernementale et celle d’une ONG, tandis que dans le deuxième, le modèle bottom-up engageant la communauté et les familles est privilégié. Si la situation socioéconomique des parents suédois ne semble pas influencer leur participation à la RBC, ce n’est pas le cas en Ouganda, où les parents ayant un capital économique moindre n’en bénéficient pas. L’auteure conclut donc que la situation socioéconomique et politique influence l’implantation d’une approche telle que la RBC.
Dans une même veine, et à partir d’une analyse des principes sous-jacents à la réadaptation à base communautaire et de la pratique des professionnels de la santé, dans les contextes globaux du Nord et du Sud, Lang (2011) aborde la question des normes au cœur de la relation parfois contestée entre les professionnels de soins et les personnes handicapées. Les types traditionnel et institutionnalisé de prestation de soins dans le cadre de l’approche de la RBC sont analysés (Lang, 2011). L’approche occidentale traditionnelle propose un rôle d’« expert » fondé sur le diagnostic, le traitement et l’offre de services, tandis que la conception de la RBC encourage plutôt le professionnel vers un rôle de « facilitateur » permettant aux personnes handicapées d’exercer leurs droits et de participer activement à la prestation de services pour satisfaire leurs propres besoins (Lang, 2011).
Cela étant dit, Robertson et al. (2012) étudient l’efficacité de la réadaptation à base communautaire dans un contexte de prestation de soins destinés à des enfants en situation de handicap intellectuel dans des pays au PIB plutôt faible. Ces auteurs concluent qu’il y a trop peu d’études spécifiques sur l’efficacité de cette approche chez ces enfants et qu’actuellement, il n’existe pas de preuve suffisante fiable pour pouvoir se forger un jugement valable sur l’intérêt, le bien-fondé et l’efficacité de la RBC pour cette population.
La consultation et la collaboration avec les familles apparaissent néanmoins essentielles pour développer une relation de partenariat entre les parents, les enfants et les professionnels (Rodriguez et Florez, 2010). Certains auteurs recommandent à cet effet d’offrir une personne ressource à la famille qui pourra les guider dans tous les différents types de services nécessaires à la santé et à l’éducation de leur enfant (Harris, 2008 ; Baker et al., 2010 ; Chapman et Tait, 2010 ; Fazil et al., 2002). De cette façon, la famille évite d’avoir à requérir les services et l’information auprès de différents prestataires et peut en tout temps se référer à une même personne ressource.
Plusieurs chercheurs notent l’importance de favoriser l’appartenance à des groupes de soutien dans les communautés culturelles minoritaires pour renforcer l’autonomie de la communauté. En effet, en plus de briser le sentiment d’isolement, l’appartenance à un groupe de soutien contribue à l’égalité des chances en créant notamment un plus grand sentiment de pouvoir et incitant ses membres à revendiquer leurs droits et à dénoncer les inégalités (Kramer-Roy, 2012 ; Fazil et al., 2002 ; Baker et al., 2010 ; Ngo et al., 2013 ; Nawaz, 2006 ; Harris, 2008 ; Bélanger et al., 2015).
Le financement
Au chapitre du financement, dans un rapport présenté au ministre de l’Éducation de l’Ontario en 2004, le GTSMEF souligne le besoin immédiat d’investissement supplémentaire pour « réduire l’écart entre la qualité de l’éducation en langue française et celle de l’éducation en langue anglaise ». Parmi les domaines ciblés, celui de l’éducation à l’enfance en difficulté, pour lequel il faut « reconnaître les coûts additionnels associés à l’offre de programmes et services pour l’enfance en difficulté en contexte minoritaire » (Leitch, 2006), apparaît prioritaire. Leitch souligne, au surplus, qu’il est nécessaire de reconnaître les coûts additionnels engendrés par l’achat de services externes puisque le sous-financement de multiples autres domaines peut forcer les conseils scolaires à consacrer moins de ressources aux programmes à l’enfance en difficulté (Leitch, 2006).
En raison des difficultés rencontrées par les conseils scolaires de certaines localités à recruter du personnel spécialisé et à mettre en place des services de soins de santé en français, il devrait même être justifié pour les écoles de minorités linguistiques, dans certaines circonstances particulières, de recevoir un montant supérieur par élève pour combler les besoins particuliers (Power et Foucher, 2004). Depuis lors, la situation semble encore précaire. Dans un rapport publié en 2012, l’Association des conseils scolaires catholiques de langue française recommandait au MÉO de procéder avec prudence dans sa réforme des modes de financement de l’enfance en difficulté puisque l’éducation en français est caractérisée par une faible concentration de population, donc un manque d’économies d’échelle, une pénurie de ressources spécialisées en français, de peu de services communautaires en langue française, et d’outils et de matériel pédagogique non existant ou coûteux à développer.
Clarification de la portée des obligations légales
Afin de clarifier les informations données aux familles, il faut néanmoins et autant que possible préciser les obligations de chaque prestataire de services afin qu’elles soient bien interprétées et comprises. Or, l’interrelation des différents domaines de droits et l’implication de plusieurs ministères complexifient le portrait global des rôles et responsabilités de chacun. Tel que susmentionné, certains intervenants ont signalé que la note politique 81 est par exemple souvent interprétée de façon variable et trop étroite. Pour assurer l’égalité des services offerts, il importe de clarifier la portée des obligations de chaque prestataire de services, de façon à garantir une mise en œuvre adéquate, ainsi qu’une information et une participation ad hoc des familles. Comme une étude l’a d’ailleurs suggéré en 2010, il serait certainement pertinent de revoir l’efficacité et la pertinence de la note politique 81 (Deloitte, 2010).
Conclusion
Bien que le français jouisse du statut de langue officielle en éducation, les services et soins de santé spécialisés sont encore difficilement accessibles aux jeunes issus des communautés francophones, même dans la région de la capitale nationale censée être dotée de plus de ressources en français étant donnée la concentration de francophones qui s’y trouve. Bien que le cadre normatif ontarien prévoie une politique d’orientation inclusive en éducation et un accès égal aux services de soins de santé pour les élèves francophones, la rencontre d’intervenants dans les écoles et la revue de la littérature sur le sujet démontrent que ces normes et politiques sont interprétées de façon variable. Ainsi, entre le droit linguistique des minorités, le droit à l’éducation des élèves en situation de handicap et le droit aux services de soins de santé en français, il semble que la mise en œuvre demeure partielle et le recours aux tribunaux peu concluant. La situation est d’autant plus préoccupante que ces soins et services sont essentiels à un réel accès à l’éducation pour de nombreux jeunes en situation de handicap sévère.
Pour changer la donne et permettre un véritable accès à des services de qualité dans des délais utiles à la frange francophone dans toute sa pluralité,il faut d’abord « briser le silence » encore trop souvent entretenu quant au groupe minoritaire vu comme unifié ou homogène. Il faut pouvoir parler de la minorité et de sa diversité intracommunautaire ainsi que de la simultanéité des processus de minorisation.
Seul un tel contexte de reconnaissance peut permettre l’implantation de moyens performants pour les jeunes et les familles. Par exemple, le système d’offre active comble des besoins, suscite la demande et rassure les familles. Il faut également prendre les moyens pour assurer un accès clair, simple et centralisé à l’information et aux services. Plusieurs exemples internationaux suggèrent de mettre davantage l’accent sur une collaboration avec les familles et la communauté environnante.
La minorité francophone dans toute sa diversité d’attributs pourrait ainsi accéder plus aisément aux mêmes services que la majorité, sans avoir le sentiment de devoir lutter continuellement pour être entendue.
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