Promouvoir l’accessibilité à l’aide de la loi : un appel à une réforme législative au Québec

Mélanie Bénard

Co-fondatrice de Québec accessible

melanie [dot] benard [at] gmail.com

Résumé

Cet article traite de l’évolution des lois à l’égard des personnes handicapées au Québec. Il démontre les lacunes importantes du cadre législatif actuel, illustrant ainsi la nécessité d’une réforme législative pour assurer le droit à l’égalité des personnes handicapées. En 1978, l’Assemblée nationale adopta la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées, loi fort avant-gardiste pour l’époque. Cette loi créa l’Office des personnes handicapées du Québec (l’OPHQ) et comprenait plusieurs dispositions visant l’amélioration de l’accessibilité des services et des lieux publiques. La loi de 1978 fut amendée en 2004 pour modifier les obligations du secteur public et pour redéfinir le rôle de l’OPHQ. Malgré ses amendements, la loi québécoise manque du mordant. Contrairement aux cadres législatifs dans d’autres juridictions, la loi québécoise s’applique seulement au secteur public et elle ne contient aucune mesure efficace de mise en œuvre. En conséquence, d’innombrables obstacles continuent à limiter l’inclusion et la participation sociale des personnes handicapées au Québec.

Mots-clés

Abstract

This article traces the evolution of Quebec’s disability legislation. Pointing out important gaps in the current legal framework, it demonstrates the need for legislative reform to ensure the full inclusion of people with disabilities in Quebec society. In 1978, the National Assembly adopted the Act to secure handicapped persons in the exercise of their rights. This cutting-edge law contained several measures aimed at improving the accessibility of public services and spaces. It also created a government Disability Office, the Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ). This law was amended in 2004 to redefine the role of the OPHQ and to modify the obligations of the public sector. Despite these amendments, Quebec’s disability legislation lacks teeth. Unlike laws in other jurisdictions, Quebec’s disability law only applies to the public sector and it lacks strong enforcement mechanisms. As a result, Quebecers with disabilities continue to face countless barriers in exercising their right to equality.

Key Words

Promouvoir l’accessibilité à l’aide de la loi : un appel à une réforme législative au Québec

Mélanie Bénard[1]

Co-fondatrice de Québec accessible

melanie [dot] benard [at] gmail.com

Introduction

Le droit à l’égalité des personnes handicapées est protégé par les Chartes canadienne et québécoise des droits et libertés. En 1978, le gouvernement québécois a adopté la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées (Loi QC 1978). Cette loi fut modifiée de manière significative en 2004[2] (Loi QC 2004). Malgré ces amendements, on constate que la loi manque de mordant : elle s’applique seulement au secteur public et elle ne prévoit aucun mécanisme efficace de mise en œuvre. Par conséquent, les obligations minimales qu’elle impose sont souvent contournées. La discrimination fait donc encore partie du quotidien pour plus de 600 000 personnes handicapées au Québec. D’innombrables obstacles limitent leur participation sociale et l’exercice réel de leur droit à l’égalité.

L’objectif de cet article est de tracer l’évolution de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées. Tout d’abord, je dresserai un portrait statistique des personnes handicapées au Québec, ainsi qu’un historique du mouvement de défense de leurs droits. Puis, j’analyserai les obligations prévues par la loi québécoise et l’inefficacité de leur mise en œuvre. Finalement, je démontrerai les conséquences graves des lacunes dans la loi au moyen d’une étude de cas du réseau de transport en commun à Montréal. Cette analyse mettra en évidence le besoin urgent d’une réforme législative au Québec pour promouvoir la pleine participation sociale des personnes handicapées.

Un portrait statistique des personnes handicapées au Québec 

Sur la base des plus récentes données disponibles, environ 10 % des adultes québécois ont un handicap, ce qui représente plus de 615 000 personnes[3] (Statistique Canada, 2013). Sans surprise, les taux de handicap augmentent avec l’âge. Ainsi, environ 3 % des personnes entre quinze et vingt-quatre ans ont un handicap, tandis que c’est le cas pour plus de 23 % des personnes âgées de soixante-cinq ans et plus. Les femmes y sont plus susceptibles que les hommes (10,4 % versus 8,7 %). Les cinq types de handicap les plus courants au Québec sont ceux liés à la douleur, à la mobilité, à la flexibilité, à la dextérité et à la santé mentale (Statistique Canada, 2013).

Les Québécois handicapés ont un niveau de scolarité considérablement moins élevé que les Québécois sans handicap. Seulement 58 % des personnes handicapées ont un diplôme d’études secondaires, comparativement à 78 % pour celles sans handicap. De même, seulement une personne handicapée sur dix détient un diplôme d’études universitaire, comparativement à une sur cinq sans handicap (ISQ[4], 2010 : 97).

Malheureusement, ces écarts se reflètent aussi au niveau de l’emploi. En 2012, environ 40 % des personnes handicapées étaient salariées, tandis que le taux était d’environ 73 % pour celles sans handicap (Statistique Canada, 2013). Entre 2001 et 2006, plus du quart des personnes handicapées sur le marché du travail au Québec ont subi de la discrimination en emploi. Cette discrimination s’est manifestée, entre autres, par un refus d’entrevue, d’embauche, de promotion ou d’accommodement, ainsi que par une rémunération inférieure pour des tâches similaires (ISQ, 2010 : 226). Il n’est donc pas surprenant que les Québécois handicapés aient un revenu moins élevé que la population sans handicap. Près du quart des personnes handicapées sont membres d’un ménage à faible revenu et plus de la moitié des femmes handicapées ont un revenu personnel inférieur à 15 000 $ (2010 : 100 et 102).

En outre, près des deux tiers des Québécois handicapés rencontrent des obstacles dans leur participation aux activités de loisirs. Ces obstacles incluent notamment l’inaccessibilité des installations, de l’équipement, des programmes et du transport (2010 : 239). Environ 14 % des Québécois handicapés croient avoir été victimes de discrimination ou traités injustement à cause de leur handicap (2010 : 247 ; 249). Malheureusement, la majorité des personnes handicapées n’ont pas observé d’amélioration dans les attitudes à leur égard au cours des cinq dernières années (2010 : 250). Pourtant, selon un sondage commandé par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) en 2015, 91,6 % des Québécois ont rapporté avoir une opinion positive vis-à-vis les personnes handicapées (Noreau et al., 2015 : 11).

Dans le cadre juridique québécois actuel, un des seuls recours pour contrer la discrimination fondée sur le handicap est de porter plainte auprès de la CDPDJ. Les victimes peuvent demander une ordonnance pour faire cesser l’acte discriminatoire, ainsi qu’une compensation pour leurs dommages (Charte québécoise : art. 49). Au fil des années, le handicap est demeuré le motif de discrimination le plus souvent invoqué devant la CDPDJ. En 2014-2015, 36 % des dossiers ouverts par la CDPDJ traitaient de discrimination fondée sur le handicap, soit environ trois cents des presque huit cents dossiers ouverts. À titre de comparaison, la race et l’origine ethnique, l’autre motif le plus fréquemment invoqué, représentait seulement 23 % des dossiers ouverts (CDPDJ[5], 2015 : 51).

La moitié des dossiers à la CDPDJ en lien avec le handicap concernait la discrimination en emploi. En outre, un grand nombre de plaintes traitait de la discrimination dans l’accès aux biens et aux services (71 plaintes), au transport et aux lieux publics (45 plaintes), ainsi qu’au logement (25 plaintes) (2015 : 51). Étonnamment, en 2012, une personne handicapée a porté plainte contre les gestionnaires de l’immeuble où siège la CDPDJ en raison du manque d’accessibilité de l’édifice (RAPLIQ[6], 2012). Le fait que les bureaux de la CDPDJ — l’instance mandatée pour assurer le respect du droit à l’égalité — ne soient pas entièrement accessibles aux personnes handicapées démontre la gravité du défi au Québec.

Puisque le rapport annuel de la CDPDJ n’inclut pas de données relatives à la conclusion des dossiers traités séparées par motif de discrimination, il est difficile de déterminer le nombre de plaintes en lien avec le handicap qui ont été rejetées, enquêtées, réglées en médiation ou portées devant le Tribunal.

Le processus de traitement de plaintes à la CDPDJ entraîne des délais importants. En 2014-2015, le délai moyen de traitement de dossier était de 398 jours, ce qui représente une augmentation de vingt-deux jours par rapport à l’année précédente (CDPDJ, 2015 : 57). Ces délais sont particulièrement troublants considérant la nature fondamentale des droits qui sont en jeu. Comme nous le rappelle le vieil adage : justice différée est justice refusée.

Le mouvement québécois de défense des droits des personnes handicapées

Au Québec, comme ailleurs, le mouvement de défense des droits des personnes handicapées a émergé dans les années soixante et soixante-dix. Jusqu’alors, les personnes handicapées étaient rarement vues en public. La Révolution tranquille et le mouvement de désinstitutionnalisation ont contribué à leur politisation. Après des décennies d’isolement et d’abus dans les institutions, les personnes handicapées sont graduellement retournées dans leurs communautés.

Toutefois, elles ont rapidement constaté que la société québécoise n’était pas prête à les recevoir ni à les inclure. L’environnement physique leur était inaccessible et les services de base tels que les systèmes de transport et de soins de santé n’étaient pas adaptés à leurs besoins. En outre, les préjugés et les attitudes négatives à l’égard du handicap ont créé des obstacles majeurs à leur inclusion sociale. Face à cette réalité, de nouveaux organismes par et pour les personnes handicapées se sont formés pour promouvoir l’égalité et l’accès aux services. À l’époque, le mouvement de défense des droits était plutôt fragmenté, les organismes centrés sur différents types de handicap travaillant indépendamment les uns des autres (Boucher et al., 2003 : 169-171 ; Fougeyrollas, 2010 : 91).

Durant la même période, le gouvernement québécois a commencé à prendre des mesures visant l’analyse et l’amélioration des conditions de vie des personnes handicapées. En 1962, la Commission Bédard publia un rapport décriant les conditions déplorables dans les hôpitaux psychiatriques au Québec[7] (Bédard et al., 1962). En 1967, la Commission Castonguay-Nepveu publia un rapport d’enquête sur la santé et les services sociaux qui révéla, entre autres, l’extrême marginalisation des personnes handicapées (Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social, 1967). En 1968, l’adoption de la Loi de la Régie de l’assurance-maladie du Québec assura la gratuité des soins de santé à toute la population (RLRQ, c R-5). La même année, l’Assemblée nationale adopta la Loi sur la canne blanche, restreignant l’utilisation des cannes blanches aux individus officiellement reconnus comme étant aveugles (LRQ, c C-6).

C’est au milieu des années soixante-dix que les règles du jeu ont vraiment changé pour les personnes handicapées au Québec. En 1974, la Commission Girard déposa un rapport recommandant, entre autres, l’adoption d’une loi pour assurer l’exercice des droits des personnes handicapées (Comité d’étude sur les problèmes de l’handicapé visuel, 1974). En 1975, l’Assemblée nationale adopta la Charte des droits et libertés de la personne. Cette version initiale de la Charte ne faisait aucune mention du handicap. La même année, le gouvernement libéral déposa le projet de loi n° 55, la Loi sur la protection des handicapées, sans consultation préalable avec la communauté des personnes handicapées. Entre autres, ce projet de loi proposa la création de l’Office des personnes handicapées (l’OPHQ), une instance gouvernementale pour coordonner les services offerts aux personnes handicapées.

Le projet de loi n° 55 a déclenché une certaine mobilisation dans la communauté des personnes handicapées. Selon le peu de documentation disponible à ce sujet, les associations de personnes handicapées firent front commun pour combattre l’approche paternaliste du projet de loi (Boucher et al., 2003 : 169-171 ; Fougeyrollas, 2010 : 91). Par contre, parmi les trente-trois mémoires soumis à la Commission parlementaire au sujet du projet de loi n° 55, seulement cinq furent rédigés par des associations de personnes handicapées ; parmi ces cinq, seulement deux critiquaient virulemment le projet de loi[8]. L’un de ces mémoires, soumis par l’Association du Québec pour les déficients mentaux, dénonça particulièrement la création de l’OPHQ :

Nous jugeons que, comme présenté, l’Office des personnes handicapées du Québec, créé pour défendre des droits, ne constituerait qu’une autre structure bureaucratique. Non seulement cet organisme ne serait-il pas tellement en mesure de défendre des droits, il constituerait un autre obstacle pour ces citoyens que l’on se propose d’aider (Association du Québec pour les déficients mentaux, 1976).

Le projet de loi n° 55 mourut au feuilleton en raison du déclenchement des élections en novembre 1976.

La même année, des normes d’accessibilité pour les personnes utilisant des fauteuils roulants furent incluses dans le premier Code du bâtiment du Québec (S-3, r 2). Par contre, ces exigences minimales concernaient seulement les nouveaux immeubles. En conséquence, aucune obligation ne s’appliquait aux immeubles construits avant 1976.

En 1977, le nouveau gouvernement péquiste publia un livre blanc proposant une politique à l’égard des personnes handicapées (MAS[9], 1977). Peu de temps après, et sans consultation préalable du milieu associatif, le gouvernement déposa le projet de loi n° 9, la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées (PL 9). Notamment, au lieu de viser la « protection » des « handicapés », le nouveau projet de loi ciblait « l’exercice des droits » des « personnes handicapées ». Comme son prédécesseur, il proposa la création de l’OPHQ.

À la suite du dépôt du projet de loi n° 9, le gouvernement effectua une tournée d’information et de consultation à travers la province. Ce projet de loi fut beaucoup mieux accueilli par le milieu associatif que son prédécesseur. Parmi les soixante-trois mémoires acheminés à Québec, vingt-six furent rédigés par des associations de personnes handicapées ; la majorité appuyait le projet de loi, en proposant toutefois des modifications. Après de multiples amendements, dont plusieurs étaient inspirés des critiques provenant du milieu associatif, l’Assemblée nationale adopta le projet de loi n° 9 à l’unanimité en juin 1978. La nouvelle Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées entra en vigueur peu de temps après.

La Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées

La version de 1978 : un début prometteur

La Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées fut considérée comme fort avant-gardiste pour l’époque. Elle visait à assurer aux personnes handicapées la reconnaissance et l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés reconnus à tous les citoyens. La loi entraîna le développement de nombreux programmes et services visant l’amélioration de la participation sociale des personnes handicapées. Elle adopta une définition large du handicap, incluant « toute personne limitée dans l’accomplissement des activités normales et qui, de façon significative et persistante, est atteinte d’une déficience physique ou mentale ou qui utilise régulièrement une orthèse, une prothèse ou tout autre moyen pour pallier son handicap » (Loi QC 1978 : art. 1[g]).

La loi de 1978 créa une nouvelle instance gouvernementale, l’OPHQ, à qui l’on confia les fonctions de « veiller à la coordination de services dispensés aux personnes handicapées, d’informer et de conseiller les personnes handicapées, de promouvoir leurs intérêts et de favoriser leur intégration scolaire, professionnelle et sociale » (art. 25). Reflétant l’émergence du modèle social du handicap, le gouvernement assigna la gestion de l’OPHQ au ministère des Affaires sociales[10] (art. 114). Les devoirs de l’OPHQ consistaient, entre autres, à promouvoir l’accès aux logements et aux biens et services pour les personnes handicapées, ainsi qu’à faciliter leurs déplacements, leur intégration au marché du travail et leur participation aux activités socioculturelles et de loisirs (art. 25 [a]).

À la demande d’une personne handicapée, l’OPHQ pouvait préparer un plan de service afin de soutenir son intégration scolaire, professionnelle et sociale (arts. 45-51). Ce plan pouvait, entre autres, comprendre un programme de réadaptation fonctionnelle, médicale et sociale (art. 50). L’OPHQ fut chargé d’aider les personnes handicapées à mettre en œuvre leurs plans de services et à obtenir les services requis des organismes publics (art. 51). De plus, elle pouvait accorder de l’aide matérielle aux personnes handicapées (arts. 52-60). À la demande d’une personne handicapée, l’OPHQ pouvait aussi faire des représentations pour assurer l’exercice de ses droits (art. 26 [1]) et accorder des subventions aux organismes de promotion des intérêts des personnes handicapées pour faciliter leur travail (art. 34).

Reconnaissant la pénurie d’information sur la situation des personnes handicapées au Québec, la loi de 1978 a mandaté l’OPHQ d’effectuer des recherches et de publier des statistiques sur la population des personnes handicapées. En outre, l’OPHQ devait préparer des inventaires des besoins des personnes handicapées et diffuser de l’information sur les ressources existantes pour les combler (art. 25 [c] et [d]).

Comme indiqué plus haut, la Charte des droits et libertés du Québec ne faisait aucune mention du handicap lors de son adoption en 1975. La loi de 1978 a comblé cette lacune un ajoutant le handicap aux motifs de discrimination interdits par la Charte, donnant ainsi un statut quasi-constitutionnel au droit à l’égalité des personnes handicapées (Charte québécoise : art. 10). Par contre, tel qu’expliqué ci-dessous, la loi a limité la portée de cette avancée en restreignant les recours à la Charte pour ces individus.

La loi de 1978 comprenait plusieurs dispositions visant à améliorer l’accessibilité de l’environnement physique. Comme indiqué plus haut, les normes d’accessibilité introduites au Code du bâtiment en 1976 s’appliquaient seulement aux nouveaux immeubles. La loi de 1978 a tenté de remédier à cette lacune en imposant des obligations aux propriétaires des immeubles publics construits avant 1976. En 1981, les propriétaires de ces immeubles devaient soumettre un plan de développement assurant l’accessibilité de leurs immeubles aux personnes handicapées dans un délai de cinq ans. Le ministre du Travail et de la Main-d’œuvre fut chargé d’approuver les plans et de surveiller leur exécution (Loi QC 1978 : art. 69). Cependant, le gouvernement pouvait exempter certains immeubles ou types d’immeuble de cette obligation (art. 70). Par ailleurs, malgré le droit à l’égalité conféré par la Charte, une personne handicapée ne pouvait alléguer discrimination du seul fait qu’un immeuble lui était inaccessible si le propriétaire se conformait à son plan de développement ou aux lois en vigueur à l’époque (art. 71).

La loi de 1978 prévoyait également plusieurs amendements législatifs afin de promouvoir l’aménagement de trottoirs accessibles et d’espaces de stationnement réservés pour les personnes handicapées (arts. 80-18 ; 90-91). Elle modifia également la Loi de la Société d’habitation du Québec pour prévoir l’aménagement de logements accessibles (arts. 97-99). En outre, elle exigea de l’OPHQ la tenue d’un registre des logements accessibles (art. 25. [f]). Malheureusement, l’OPHQ ne s’est jamais acquitté de cette obligation qui aurait pu grandement faciliter l’inclusion sociale des personnes handicapées (OPHQ, 2002 : 18).

La loi de 1978 comprenait aussi plusieurs dispositions visant à améliorer l’accessibilité des services publics. Elle exigea que les organismes publics de transport fassent approuver par le ministre des Transports en 1979-1980 un plan de développement visant à assurer l’accessibilité de leurs services aux personnes handicapées dans un délai raisonnable. Le ministre était chargé d’assurer le respect et l’exécution de ces plans (Loi QC 1978 : arts. 67-68). Par contre, encore une fois, les personnes handicapées ne pouvaient pas avoir recours à la Charte si l’organisme de transport se conformait à son plan de développement (art. 72).

De même, la loi de 1978 exigea que les entreprises publiques de téléphone fassent approuver par le ministre des Communications en 1981 un plan de développement visant à assurer l’accessibilité de l’ensemble de leurs services aux personnes handicapées dans un délai raisonnable. Le ministre fut chargé d’assurer le respect et l’exécution de ces plans (art. 68). Par contre, ici encore, une personne handicapée ne pouvait alléguer discrimination du seul fait que les services téléphoniques lui étaient inaccessibles si l’entreprise de téléphone en question se conformait à son plan de développement (art. 72).

En outre, la loi de 1978 incluait plusieurs mesures visant à accroître la participation des personnes handicapées au marché du travail et à la vie socio-économique. Par exemple, l’OPHQ fut mandaté pour organiser des campagnes d’information afin de favoriser l’embauche des personnes handicapées (art. 25 [g]). L’OPHQ pouvait accorder des subventions aux employeurs pour adapter des postes de travail (art. 62) et elle pouvait conclure des contrats avec des employeurs en vue de l’intégration professionnelle des personnes handicapées (art. 61).

Notamment, la loi de 1978 exigeait à tout employeur avec au moins cinquante salariés de soumettre à l’OPHQ un plan visant à assurer l’embauche de personnes handicapées dans un délai raisonnable (art. 63). Par contre, la loi n’imposa aucune obligation de résultat aux employeurs. L’ensemble des partenaires ayant constaté que cette mesure n’avait pas donné les résultats escomptés, l’OPHQ cessa de l’appliquer en 1996 (OPHQ, 2009a : 48 ; OPHQ, 2002 : 30).

La loi de 1978 mandata aussi l’OPHQ de certifier et de subventionner des centres de travail adapté employant majoritairement des personnes handicapées qui ne pouvaient pas travailler dans des conditions ordinaires (Loi QC 1978 : arts. 36-44). En outre, elle modifia la Loi sur l’instruction publique pour permettre l’établissement de classes spéciales pour les enfants handicapés et pour assurer la scolarisation jusqu’à vingt-et-un ans des personnes handicapées nécessitant un complément de formation générale et professionnelle (arts. 94-95).

Ces nouvelles mesures législatives furent renforcées par des développements dans le mouvement de la défense des droits des personnes handicapées partout dans le monde. Les Nations Unies ont proclamé l’an 1981 l’Année internationale des personnes handicapées (Nations Unies, 1976). Cette année-là, le gouvernement québécois organisa une conférence socio-économique sur l’intégration des personnes handicapées. Cette conférence, qui fut la première du genre consacrée à un groupe de citoyens en particulier, aborda les thèmes de l’emploi, du loisir, de l’éducation, du transport et de la vie sociale. Les associations de personnes handicapées de la province formèrent un front commun pour présenter leurs revendications aux décideurs du gouvernement. Cette conférence novatrice a facilité un dialogue entre les associations, les ministères et leurs réseaux, les entreprises, les syndicats et les ordres professionnels (Boucher et al., 2003 : 180 ; Fougeyrollas, 2010 : 94).

En 1982, les Nations Unies adoptèrent le Programme d’action mondiale concernant les personnes handicapées (Nations Unies, 1982). Cette stratégie globale visait à renforcer la prévention du handicap et la réadaptation, ainsi qu’à promouvoir l’égalité des chances pour les personnes handicapées en réduisant les obstacles à leur participation sociale. Continuant sur cette lancée, l’année internationale des personnes handicapées fut transformée en la Décennie internationale pour les personnes handicapées (Nations Unies, 1982).

S’appuyant sur les discussions tenues lors de la conférence socio-économique de 1982, le gouvernement québécois publia sa politique d’ensemble À part… égale en 1984 (OPHQ, 1984). Cette politique constituait le plan provincial pour la mise en œuvre du Programme d’action mondiale concernant les personnes handicapées. Étant une des premières politiques à incorporer la version amendée de la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIFHS), elle a permis au Québec d’être reconnu comme un précurseur sur le plan international[11] (OPHQ, 2009a : 3).

Un des objectifs de la politique À part… égale était de responsabiliser davantage les ministères et les organismes gouvernementaux à l’égard des services à offrir aux personnes handicapées. Dans cette optique, vers la fin des années quatre-vingt, l’OPHQ a commencé à transférer ses programmes d’aide matérielle aux divers organismes et réseaux concernés. Ce processus commença en 1989 avec le transfert du programme de services de maintien à domicile, et se termina en 1998 avec le transfert du dossier des équipements spécialisés et des fournitures médicales pour les personnes ayant des limitations motrices. Les personnes handicapées ont donc pu commencer à recevoir leurs services aux mêmes endroits que la population en général (OPHQ, 2009a : 4).

Dans l’ensemble, la loi de 1978 et la politique gouvernementale de 1984 constituèrent des avancées majeures et bénéfiques pour les personnes handicapées au Québec. Ce début prometteur donnait toutes les raisons d’espérer une réelle inclusion sociale des personnes handicapées dans l’avenir. Malheureusement, cet espoir s’est évanoui au fil du temps.

La version de 2004 : des défis persistants

Au début du nouveau millénaire, le gouvernement québécois reconnut le besoin de modifier la loi de 1978 afin de l’adapter au nouveau contexte social et politique et de refléter l’évolution du rôle de l’OPHQ. À cette fin, le gouvernement péquiste déposa le projet de loi n° 155 en décembre 2002, sans véritable processus de consultation du milieu associatif des personnes handicapées (PL 155). Ce projet de loi est mort sur le feuilleton avec le déclenchement des élections au printemps 2003.

Reprenant ce travail en décembre 2004, le nouveau gouvernement libéral fit une mise à jour importante de la loi de 1978 en adoptant le projet de loi n° 56 (PL 56). Dorénavant, la loi québécoise sur le handicap s’intitulera la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale[12] (Loi QC 2004). Cette loi :

« (…) vise à assurer l’exercice des droits des personnes handicapées et, par une implication des ministères et de leurs réseaux, des municipalités et des organismes publics et privés, à favoriser leur intégration à la société au même titre que tous les citoyens en prévoyant diverses mesures visant les personnes handicapées et leurs familles, leur milieu de vie ainsi que le développement et l’organisation de ressources et de services à leur égard. » (Loi QC 2004 : art. 1.1)

La loi de 2004 prévoit plusieurs orientations louables pour guider son application. Entre autres, elle favorise une approche qui considère la personne handicapée dans son ensemble, qui favorise le développement de ses capacités et de son autonomie et qui vise une qualité de vie décente (art. 1.2 [a] et [f]).

Pour faire suite aux amendements à la loi en 2004, l’OPHQ a actualisé la politique gouvernementale québécoise en matière du handicap. La nouvelle politique À part entière fut publiée en 2009[13] (OPHQ 2009b). Elle constitue un point de repère important pour la mise en œuvre de la loi de 2004. Tout comme la loi, la nouvelle politique a des objectifs et des orientations méritoires. Elle a pour but d’accroître la participation sociale des personnes handicapées sur une période de dix ans. Elle cible la création d’une société plus inclusive, solidaire et équitable et plus respectueuse des choix et des besoins des personnes handicapées et de leurs familles. Entre autres, la politique priorise des interventions intersectorielles ciblant la lutte contre la discrimination, la maltraitance et la pauvreté des personnes handicapées, ainsi que l’aménagement d’environnements accessibles (OPHQ, 2009b : 2). Les résultats attendus de la politique comprennent l’amélioration significative des conditions de vie des personnes handicapées et une réponse complète à leurs besoins essentiels. La politique vise la parité entre les personnes handicapées et les autres citoyens dans l’exercice des rôles sociaux (OPHQ, 2009b : 19).

Sur le papier, tout cela semble très prometteur. Par contre, les objectifs inspirés de la loi et de la politique se sont avérés difficiles — voire impossibles — à atteindre en raison de l’absence de mesures contraignantes. L’analyse suivante contribuera à démontrer que, malheureusement, la loi de 2004 et la politique À part entière sont remplies de promesses creuses.

La mise en œuvre de la loi de 2004 devait faire l’objet d’un rapport indépendant en 2009 et tous les cinq ans par la suite (Loi QC 2004 : art. 74.2). Le premier rapport fut soumis par le Centre de recherche et d’expertise en évaluation (ci-après « rapport CREXE ») en 2012, soit trois ans en retard (CREXE, 2012a). La majorité des observations qui suivent sont basées sur le rapport CREXE. Ce rapport consistait principalement en une analyse de la documentation provenant de l’OPHQ et des instances concernées (2012a : 3). Le CREXE n’a pas entrepris de processus de consultation valable avec les personnes handicapées. Cette omission semble contraire à la logique puisque ce sont les personnes handicapées elles-mêmes, et non pas les instances ciblées, qui sont en meilleure position pour évaluer l’impact de la loi.

Pour des raisons inconnues, le rapport CREXE a seulement étudié l’implantation de huit des quelque soixante-dix articles de la loi. Le rapport constate notamment le manque d’indicateurs précis dans la loi. Les articles de la loi ne présentent aucun objectif précis à atteindre, ce qui empêche d’établir si les réalisations des instances ciblées sont conformes aux attentes du législateur. Le rapport CREXE évalue donc simplement si les réalisations répondent à la nature des attentes, sans analyser leur ampleur (CREXE, 2012a : 2).

La loi de 2004 a principalement modifié les obligations du secteur public, notamment ceux de l’OPHQ. Désormais, l’OPHQ a pour mission de veiller à la mise en œuvre de la loi et de s’assurer que les instances ciblées « poursuivent leurs efforts afin d’améliorer les possibilités offertes aux personnes handicapées de s’intégrer et de participer ainsi pleinement à la vie en société » (Loi QC 2004 : art. 25). L’OPHQ maintient son devoir de coordonner et de promouvoir les services offerts aux personnes handicapées.

À cela s’ajoute le devoir de conseiller les instances ciblées sur toute matière ayant une incidence sur les personnes handicapées. De plus, l’OPHQ doit évaluer les lois, les politiques, les programmes, les plans d’action et les services offerts aux personnes handicapées et formuler des recommandations pour les améliorer (art. 25 [a.1 et a.3]). Par contre, la loi ne prévoit aucune mesure efficace pour s’assurer que les recommandations de l’OPHQ sont respectées. Selon le rapport CREXE, entre 2005 et 2010 l’OPHQ a émis plusieurs avis et mémoires contenant des recommandations portant, entre autres, sur les transports, le logement et l’éducation. Toutefois, le rapport n’évalue ni le contenu de ces recommandations, ni le suivi accordé par les instances concernées (CREXE, 2012a : 5-8 ; 11-12).

L’OPHQ a aussi été mandaté pour évaluer l’évolution de l’intégration scolaire, professionnelle et sociale des personnes handicapées, et pour faire des recommandations pour l’élimination des obstacles persistantes (Loi QC 2004 : art. 25 [a.2]). Depuis 2005, l’OPHQ a publié onze rapports sur l’intégration des personnes handicapées, dont huit furent inclus à la série La participation sociale des personnes handicapées publiée en 2006-2007. Ces publications ont illustré l’ampleur et la récurrence des obstacles auxquels les personnes handicapées se heurtent au quotidien, soulignant que relativement peu de progrès a été accompli au fil des années (CREXE, 2012a : 8-9). Deux portraits statistiques produits en 2006 et en 2010 ont semblablement constaté la situation défavorable des personnes handicapées au Québec comparativement à la population générale (2012a : 9-10).

Une des innovations majeures de la loi de 2004 fut l’obligation imposée au secteur public de soumettre un plan d’action annuel visant la réduction des obstacles à l’intégration des personnes handicapées. Dorénavant, chaque ministère et organisme public employant au moins cinquante personnes et chaque municipalité comptant au moins 15 000 habitants devra publier un plan d’action annuel décrivant les mesures prises au cours de l’année précédente et les mesures envisagées pour l’année à venir dans le but de réduire les obstacles dans leur secteur d’activité (Loi QC 2004 : art. 61.1). Le rapport CREXE a consacré un volume au complet à la mise en œuvre de cette mesure (CREXE, 2012b).

L’OPHQ peut prêter assistance aux organismes pour la préparation de leurs plans d’action et peut faire des recommandations pour améliorer les plans soumis (Loi QC 2004 : arts. 26.4 et 26.1). Par contre, la loi ne prévoit aucune pénalité si les organisations ne soumettent ou ne respectent pas leurs plans d’action. Si une organisation assujettie ne soumet pas un plan, l’OPHQ fait simplement des rappels téléphoniques et envoie une lettre à la direction de l’instance concernée (OPHQ, 2014 : 31). La loi manque clairement de mordant : essentiellement, elle suggère aux instances ciblées de commencer à réfléchir à l’accessibilité, mais elle ne les force pas à agir.

En 2010, 171 ministères, agences, organismes et municipalités devaient soumettre un plan d’action[14]. Seulement 125 de ces instances se sont acquittées de leur obligation, soit 73 % (CREXE, 2012b : 16). Parmi les vingt-huit instances n’ayant pas adopté un plan d’action, plusieurs ont invoqué un manque de temps et de ressources humaines comme cause principale de cette omission. Plusieurs ont même avoué que ce dossier n’était tout simplement pas prioritaire pour leur organisation (2012b : 17). De nombreuses instances ont éprouvé de la difficulté à définir et à identifier des obstacles à l’intégration des personnes handicapées (2012b : 20).

Parmi les 125 plans d’action soumis en 2010, quelque 2500 mesures d’accessibilité furent proposées. En moyenne, chaque plan proposait vingt mesures (2012b : 21). La majorité des mesures proposées, soit 83 %, visait l’intégration sociale. Seulement 1 % visait l’intégration scolaire et 16 % visaient l’intégration professionnelle. Les quatre catégories de mesures les plus souvent envisagées furent les activités administratives (26 %), la formation et la sensibilisation (19 %), l’accessibilité des lieux (14 %) et les communications (14 %) (2012b : 22). Seulement 66 % des mesures proposées avaient effectivement été mises en œuvre (2012b : 24). Rappelons que le rapport CREXE n’a étudié que le nombre et le type de mesures adoptées, et non pas l’impact de ces mesures sur le vécu des personnes handicapées.

Le manque de mordant dans la loi est tout aussi évident en ce qui a trait à l’accessibilité de l’environnement bâti. Comme il a été mentionné précédemment, des normes d’accessibilité pour les nouveaux immeubles furent incluses dans le Code du bâtiment adopté en 1976. En 2000, des normes d’accessibilité furent ajoutées pour les immeubles soumis à d’importants travaux de modification ou de transformation (Code de construction : c B-1.1, r. 2). Par contre, ces nouvelles normes s’appliquent seulement aux parties des bâtiments qui sont affectées par les travaux et elles n’exigent que des efforts raisonnables pour améliorer l’accessibilité. Aucune norme d’accessibilité ne s’applique aux immeubles construits avant 1976 qui ne subissent pas des rénovations majeures.

Afin de combler cette lacune, la loi de 2004 obligea le ministre du Travail à soumettre un rapport en 2006 sur l’accessibilité des immeubles à caractère public construits avant 1976. En 2007, le ministre était censé déterminer par règlement les catégories d’immeubles qui devaient être rendues accessibles et les normes d’accessibilité que les propriétaires devaient respecter (Loi QC 2004 : art. 69). Le rapport du ministre ciblait quelque 48 500 édifices ouverts au public. Il analysa l’accessibilité d’un échantillon de 342 bâtiments de propriétés publique et privée répartis en diverses catégories d’usage dans les municipalités de Montréal, Québec et Shawinigan (Ministre du Travail, 2006 : 9). Selon ce rapport, la grande majorité de ces immeubles, soit 83 %, demeure peu ou non conforme aux normes actuelles d’accessibilité (2006 : 24). À ce jour, soit presque dix ans après la publication du rapport, le gouvernement n’a toujours pas adopté de règlement concernant les catégories d’immeubles qui doivent être rendues accessibles.

Selon le rapport du ministre du Travail, le degré moyen d’accessibilité des édifices dans le secteur public était de 54 %. Les chiffres dans les réseaux de l’éducation et de la santé étaient particulièrement alarmants. Le degré moyen d’accessibilité des écoles était d’un maigre 13 %. Les centres de formation étaient accessibles à 26 % et les cégeps à 41 %. Les universités étaient un peu mieux à 62 %. Les centres de jeunesse avaient quant à eux un taux d’accessibilité de seulement 37 % et les centres de réadaptation avaient un taux de 67 %. Les centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD) et les centres locaux de services communautaires (CLSC) s’en tiraient avec 76 %. Les centres hospitaliers avaient un degré moyen d’accessibilité de 81 % (2006 : 10).

Dans le secteur privé, les établissements d’affaires, incluant les cabinets de médecin et de dentiste, avaient un taux moyen d’accessibilité de 30 %. Les lieux de rassemblement, tels que les restaurants, les bars, les centres sportifs, les théâtres, les arénas, les salles de spectacles et les garderies en étaient à 45 %. Les commerces étaient un peu mieux à 59 %. Le faible taux d’accessibilité des pharmacies et des établissements d’alimentation fut récemment souligné dans un rapport publié par la CDPDJ (CDPDJ, 2013b). Réalité choquante, selon le rapport du ministre du Travail, les édifices à logements, les maisons de chambre et les hôtels avaient un taux d’accessibilité moyen de seulement 25 % (Ministre du Travail, 2006 : 11).

L’OPHQ ne s’est jamais acquitté de son obligation sous la loi de 1978 de tenir un registre de logements accessibles. Au lieu de réaffirmer cette mesure importante, le législateur a choisi de l’édulcorer en 2004. Dorénavant, l’OPHQ aura simplement l’obligation vague de « s’assurer de la mise en œuvre de moyens facilitant aux personnes handicapées la recherche de logements accessibles » (Loi QC 2004 : art. 25 [f]). Selon le rapport CREXE, entre 2005 et 2010 l’OPHQ a subventionné un certain nombre de projets à cette fin, mais ces projets ont reçu des données mitigées (CREXE 2012a : 16). Cette constatation est troublante, considérant que l’accès à un hébergement sécuritaire et adéquat a un impact important sur la qualité de vie des gens.

Tout comme la loi de 1978, la loi de 2004 contient des mesures pour accroître la participation des personnes handicapées au marché du travail. Elle obligea le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale à élaborer, coordonner et évaluer une stratégie visant l’intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées et à mettre en place des objectifs de résultats (Loi QC 2004 : art. 63). En 2008, le ministre a déposé la Stratégie nationale pour l’intégration et le maintien en emploi des personnes handicapées. Cette stratégie a pour objectif de réduire de 50 % l’écart entre le taux d’emploi des personnes handicapées et celui des Québécois sans handicap d’ici 2018. À cette fin, des ministères et des organismes gouvernementaux ont adopté 61 engagements (MESS[15], 2008). Selon le premier bilan de la mise en œuvre de la stratégie, 46 des actions ont été complétées ou se réalisent en continuité (MESS, 2013 : 1). Toutefois, l’incidence de la stratégie sur l’écart dans les taux d’emploi était trop faible pour être statistiquement significative (2013 : 3).

Grâce à la loi de 2004, les personnes handicapées furent ajoutées aux groupes ciblés par la Loi sur l’accès à l’égalité en emplois dans des organismes publics (LRQ, c A-2.01 : art. 1). La CDPDJ est chargée de l’application de cette loi. En 2010, les personnes handicapées représentaient seulement 1,3 % du personnel dans les instances ciblées. Ces instances doivent donc redoubler d’efforts afin d’embaucher des personnes handicapées pour atteindre leur objectif de 3 % (CDPDJ, 2013a).

Afin de pouvoir s’intégrer au marché du travail, les personnes handicapées doivent évidemment pouvoir se rendre à leurs lieux de travail. Malheureusement, en raison de l’inaccessibilité des systèmes de transport en commun, de tels déplacements demeurent pénibles — voire impossibles — pour plusieurs personnes handicapées au Québec. Ici encore, la loi établit des objectifs louables, mais elle n’est pas suffisamment coercitive pour assurer leur réalisation.

Tout comme le fit la loi de 1978, la loi de 2004 exigea des sociétés et des organismes de transports de faire approuver par le ministre des Transports un plan de développement visant à assurer le transport des personnes handicapées dans un délai raisonnable. Ces plans devaient être soumis en 2005 (Loi QC 2004 : art. 67). En 2011, seulement seize des trente-quatre instances concernées avaient déposé un plan de développement et seulement six de ces plans avaient été approuvés par le ministre. Certaines sociétés se sont dites réticentes à produire un plan et certaines considèrent que le transport adapté est suffisant pour répondre aux besoins des personnes handicapées (CREXE, 2012a : 29). Les conséquences du manque de mordant de la loi à cet égard seront illustrées dans une étude de cas à la section suivante.

Reconnaissant l’importance de l’accessibilité dans les communications, la loi de 2004 obligea le gouvernement à établir une politique visant à assurer l’accès aux documents et aux services gouvernementaux pour les personnes handicapées (Loi QC 2004 : art. 26.5). Le gouvernement adopta une telle politique en 2006 (MSSS[16], 2007). Dans le bilan de sa mise en œuvre en 2011, l’OPHQ a constaté que, faute de sensibilisation suffisante au sujet de la politique, les organismes publics reçoivent peu de demandes d’adaptation de documents ou de services de la part des personnes handicapées. Malgré le fait que la politique interdise aux organismes publics d’exiger des frais supplémentaires pour l’adaptation d’un document ou d’un service, certains le font quand même (OPHQ, 2011).

Pour des raisons inconnues, le rapport CREXE n’évalue pas la mise en œuvre de deux mesures innovatrices prévues dans la loi de 2004 : les obligations en lien avec l’approvisionnement et la soi-disant « clause d’impact ». La loi exige que les ministères, les organismes publics et les municipalités tiennent compte de l’accessibilité aux personnes handicapées dans leur processus d’approvisionnement lors de l’achat ou de la location de biens et de services (Loi QC 2004 : art. 61.3). En outre, le ministre de la Santé et des Services sociaux doit être consulté durant l’élaboration de lois et de règlements qui pourraient avoir un impact significatif sur les personnes handicapées (art. 61.2). Bien que l’évaluation de l’application de ces mesures puisse être relativement complexe, il est essentiel que le prochain rapport indépendant cible leur mise en œuvre.

Les conséquences néfastes des lacunes dans la loi :

Une étude de cas du système de transport en commun à Montréal

Il va sans dire que l’inclusion scolaire, professionnelle et sociale des personnes handicapées nécessite leur capacité à se déplacer librement. Malheureusement, l’inaccessibilité des systèmes de transport au Québec demeure un défi de taille et la loi n’offre que peu de solutions à cet égard. L’étude de cas suivante du réseau de transport en commun de Montréal donne une illustration dramatique de l’ampleur de ce problème.

La société de transport de Montréal (STM) est la 14e entreprise en importance au Québec. Elle assure plus de 80 % des déplacements en transport collectif dans la région de Montréal et plus de 70 % de tous ceux effectués au Québec (STM, 2012 : 3). L’utilisation des lignes de métro représente la moitié de tous les déplacements en transport collectif au Québec (STM, 2012 : 15). La STM a un budget annuel de 1305 M$. En 2015, elle a dégagé un surplus de 3,9 M$ (STM, 2015 : 8). Le réseau de la STM compte quatre lignes de métro desservant 68 stations, 220 lignes d’autobus, ainsi qu’un système de transport adapté. Selon sa politique d’accessibilité universelle, la STM « incorpore, dans l’exercice de ses activités quotidiennes, les moyens qui favorisent l’accessibilité universelle et qui l’encouragent dans tous les domaines de ses opérations, que ce soit dans ses infrastructures, ses véhicules ou tous autres équipements et installations ainsi que dans l’ensemble des services qu’elle offre à la population » (STMb). Par contre, comme le démontrent les données suivantes, cet engagement n’est pas respecté dans la pratique.

Les personnes handicapées qui veulent se servir du réseau régulier de la STM font face à d’innombrables obstacles. En 2016, soit cinquante ans après que le métro a ouvert ses portes, seulement neuf des 68 stations de métro à Montréal sont équipées d’ascenseurs ; toutes ces stations sont sur la même ligne de métro et seulement six sont situées sur l’île de Montréal. En 2015, le nouveau Centre universitaire de santé McGill (CUSM) a officiellement ouvert ses portes. Étonnamment, son principal accès, la station de métro Vendôme, n’est pas accessible aux personnes à mobilité réduite (Table de concertation, 2013). Selon les récentes annonces de la STM, le métro sera complètement accessible seulement en 2085 (RAPLIQ, fév. 2011).

La majorité des lignes d’autobus régulières de la STM sont censées être accessibles aux personnes qui se déplacent en fauteuil roulant (STM, 2015 : 8). Toutefois, une étude menée par un organisme de personnes handicapées de Montréal a révélé qu’en réalité, environ le tiers des autobus de la STM ne sont pas accessibles, entre autres en raison du mauvais fonctionnement des rampes et du manque de formation des chauffeurs (RAPLIQ, sept. 2011).

Le service de transport adapté de la STM n’offre pas un service égalitaire. Toutefois, en raison du manque d’accessibilité du réseau régulier, des milliers de personnes handicapées n’ont d’autres choix que de composer avec ce système inadéquat. Avec le vieillissement de la population, le nombre d’usagers du système de transport adapté augmente de façon significative chaque année (STM, 2015 : 9).

Contrairement aux usagers du système de transport régulier qui sont libres d’aller et venir à leur aise, les usagers du système de transport adapté doivent réserver leurs déplacements 24 heures à l’avance, ce qui les prive de spontanéité dans leurs activités. Une demande de modification de l’heure de retour peut être faite le jour même seulement pour les rendez-vous médicaux ou les convocations à la cour (STMa 8). Les véhicules de transport ont une plage de 30 minutes après l’heure de déplacement réservé avant d’être considéré comme étant en retard (STMa 28). De plus, les usagers n’ont pas de contrôle sur la durée de leur déplacement ou leur heure précis d’arrivé : un déplacement de quelques kilomètres peut prendre jusqu’à 90 minutes (STMa : 28). En outre, les usagers du transport adapté peuvent seulement être accompagnés par une personne à la fois (STMa : 25). Ils n’ont pas accès aux mêmes modes de paiement que les usagers du système de transport régulier[17] (STMa : 10). Les agents à la réservation peuvent demander le motif de déplacement aux usagers, ce qui porte atteinte à leur vie privée (STMa : 25).

Face à ces inégalités, la frustration des personnes handicapées ressort de plus en plus. En 2013, deux activistes montréalaises ont formé le groupe Facebook Transport mésadapté dans le but de créer un lieu de rassemblement où les usagers des systèmes de transport adapté et régulier peuvent ventiler leurs frustrations. En 2016, ce groupe compte 505 membres (Transport mésadapté : 2016). En décembre 2011, une dizaine de personnes handicapées ont porté plainte à la CDPDJ contre la STM en raison de l’inaccessibilité de son réseau (RAPLIQ, déc. 2011). À ce jour, la Commission n’a toujours pas rendu de décision dans ce dossier. Dans le but de faire avancer cette cause, en 2015 un organisme de personnes handicapées a déposé un recours collectif contre la STM[18] (RAPLIQ, avr. 2015 ; Normandin, 2015). Il reste à voir comment les tribunaux vont gérer ces dossiers. Entre-temps, des milliers de personnes handicapées à Montréal continueront de vivre quotidiennement les conséquences de ces inégalités.

Conclusion : des recommandations pour une réforme législative au Québec

Ce survol historique et juridique démontre clairement les lacunes dans le cadre législatif actuel au Québec à l’égard des personnes handicapées. Malgré les protections comprises dans la Charte québécoise, les personnes handicapées ne réussissent pas à faire valoir leur droit à l’égalité. Sans obligations juridiquement exécutoires, la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées demeure un simple document d’aspirations. Une nouvelle loi provinciale avec beaucoup plus de mordant est nécessaire pour apporter de réels changements. Cette loi doit s’appliquer aux secteurs publics et privés, et elle doit prévoir des mécanismes efficaces de surveillance et de mise en œuvre.

En effectuant une réforme législative, le gouvernement québécois pourrait s’inspirer de lois beaucoup plus contraignantes qui existent ailleurs. Par exemple, en 1990 les États-Unis devenaient les pionniers de l’accessibilité en adoptant l’Americans with Disabilities Act (1990, 42 USC § 12101). Cette loi novatrice prévient la discrimination dans l’emploi, les services publics, les entreprises publiques et les télécommunications. Au Canada, la Loi de 2005 sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario (LAPHO) a pour but de rendre la province entièrement accessible d’ici 2025 (LAPHO, c 11). La LAPHO s’applique aux secteurs public et privé. Elle prévoit des normes d’accessibilité pour diverses sphères telles que le transport, les communications, l’emploi et le service à la clientèle. Contrairement à la loi québécoise, la LAPHO prévoit des inspections et des pénalités afin d’assurer la conformité aux normes. Le Manitoba a adopté une loi semblable en 2013 (CPLM, c A1.7). Dans le monde francophone, la France a adopté une loi contraignante en 2005 prévoyant l’accessibilité de la chaîne du déplacement, ce qui inclut le cadre bâti, la voirie, les aménagements des espaces publics et les systèmes de transport (Loi n° 2005-102).

Rappelons aussi qu’en 2006, les Nations Unies ont adopté la Convention relative aux droits des personnes handicapées et que le Canada a ratifié cette convention en 2010 (Nations Unies, 2006). La même année, le Québec s’est déclaré lié par ce traité (Québec, 2010 : Décret 179-210). Le Québec se doit donc de renforcer sa loi à l’égard des personnes handicapées afin de respecter ses obligations relevant du droit international. Cette réforme législative doit se faire en consultation avec le milieu associatif des personnes handicapées et elle doit tenir compte de la spécificité du contexte politique, économique et linguistique de la société québécoise.

Bien qu’une nouvelle loi ne soit pas une panacée, elle offrira un outil supplémentaire pour défendre les droits des personnes handicapées et elle aidera à sensibiliser le public à leurs besoins. Sans mesures coercitives, l’accessibilité demeurera une simple aspiration plutôt qu’une réalité. Il est temps de passer des paroles aux actes et de donner un sens au droit à l’égalité au Québec.

Références

Législation

Doctrine

Documents gouvernementaux

Autres 


  1. J'aimerais remercier mes collègues de Québec accessible, en particulier Laurence Parent et Marie-Eve Veilleux, pour leur collaboration continue. Laurence a effectué une recherche très utile sur le mouvement de défense des droits des personnes handicapées au Québec. Marie-Eve a généreusement offert ses services en tant que correctrice. J'aimerais également remercier Michael Ryan qui m'a aidée avec la conceptualisation de l'article et Adele Furrie qui m'a aidée avec les données statistiques.

  2. Cette loi est maintenant intitulée la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale [Loi QC 2004].

  3. Le sondage utilise le terme « incapacité » plutôt que « handicap ». Les personnes étaient considérées comme ayant une incapacité si elles avaient de la difficulté à accomplir certaines tâches en raison d’un état ou d’un problème de santé à long terme et présentaient une limitation dans leurs activités quotidiennes.

  4. Institut de la Statistique du Québec.

  5. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

  6. Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec.

  7. Dix ans plus tard, le Québec accorda une protection juridique aux droits des personnes atteintes de troubles mentaux. Loi sur la protection du malade mental, LRQ, c P-41.

  8. L’Association du Québec pour les déficients mentaux et le Comité pour les handicapés du Centre de service social Ville-Marie, Division West Island ont porté une critique sévère contre le projet de loi n°55. Le Montreal Association for the Blind, l’Institut national canadien des aveugles et l’Association de paralysie cérébrale du Québec Inc. ont manifesté leur appui au projet de loi. Voir : Laurence Parent, Les mémoires d’un été, Université Concordia, 2010 [non-publié].

  9. Ministre des Affaires sociales.

  10. L’OPHQ fut intégré au portfolio du ministère de la Santé et des Services sociaux lors de la restructuration du gouvernement en 1985.

  11. Par la suite, le Québec jouera un rôle important dans la révision de la CIFHS en incluant les obstacles sociaux et physiques dans le processus de production du handicap. Voir : Boucher et al., 2003 : 186-192; Fougeyrollas, 2010 : 93.

  12. Le milieu associatif avait, entre autres, revendiqué le remplacement du terme « intégration » par la notion « d’inclusion », mais cette demande ne fut pas retenue. Voir : Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN), 2004.

  13. Cette politique fut accompagnée par un Plan global de mise en œuvre (OPHQ 2009c).

  14. Très peu de ces instances furent impliquées dans l’intégration scolaire des personnes handicapées.

  15. Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale.

  16. Ministère de la Santé et des Services sociaux.

  17. Par exemple, les usagers du transport adapté ne peuvent pas charger des passages individuels sur leurs cartes OPUS.

  18. Ce recours collectif vise aussi l’Agence métropolitaine de transport (AMT), la Ville de Montréal et le ministère des Transports du Québec (MTQ).