Est-Ce Vraiment une Bande Dessinée? Langues des Signes, Déconstruction et Intermédialité
Véro Leduc, PhD, Professeure
régulière,
Département de communication sociale et publique, Université du
Québec à Montréal
leduc.veronique@uqam.ca
Résumé
La bande dessinée est un medium pensé en 2D et souvent déployé sur papier (Falardeau, 2008). Comment en créer une en langue des signes québécoise (LSQ), cette langue tridimensionnelle (3D) dont la vidéo s’avère la meilleure forme d’écriture ? Une bande dessinée vidéo… est-ce encore une BD ?
C’est tombé dans l’oreille d’une Sourde est une bande dessignée, néologisme créé pour désigner cette bande dessinée bilingue vidéographiée en langue des signes québécoise (LSQ) et en français. Produite à partir d’extraits de rencontres avec des personnes sourdes et des membres de ma famille entendante réalisées dans le cadre de ma thèse de recherche-création, elle propose diverses réflexions sur la sourditude (Ladd, 2005), ce concept qui englobe les diverses manières de vivre comme personnes sourdes et de réfléchir aux enjeux que cela soulève.
Chassé-croisé entre écriture créative en français, citations thématiques en LSQ et extraits de ma thèse inédite, cette contribution propose une réflexion, dans une posture de déconstruction, sur la création signée (en langues des signes) et l’intermédialité, en prenant comme site particulier la production d’une BD en LSQ, une création aux confins de la bande dessinée, de la littérature et du cinéma. L’article aborde notamment un survol des systèmes d’écriture en langue des signes, une réflexion sur la déconstruction de la bande dessinée entendante et une exploration de l’intermédialité comme site d’agentivité. Si « l’écriture est la condition de l’epistémè » (Derrida, 1967), la recherche-création à travers les médias numériques favorise cette écriture signée nécessaire à la création de savoirs et de productions culturelles en langues des signes.
Mots-clés
- sourditude
- bande dessinée
- art numérique
- littérature signée
- vidéo
- intermédialité
- études sourdes
- études culturelles
- intersectionnalité
- langue des signes québécoise (LSQ).
Elle : Une BD, c’est en format papier, non?
Moi : Oui, mais la langue des signes québécoise ne s’écrit pas vraiment sur papier. J’utilise la vidéo comme forme d’écriture : la vidéographie plutôt que la typographie.
Elle : Ah, mais c’est plutôt un dessin animé ?
Moi : J’aime rêver que la BD ne soit pas réservée qu’aux entendant-es…
C’est tombé dans l’oreille d’une Sourde (Leduc, 2016a) est une bande dessignée (BD*), un néologisme que j’ai créé pour qualifier une bande dessinée bilingue vidéographiée en langue des signes québécoise ( LSQ) et en français[1]. Produite à partir d’extraits de rencontres avec des personnes sourdes et des membres de ma famille entendante réalisées dans le cadre de ma thèse de recherche-création (Leduc, 2015), elle propose diverses réflexions sur la sourditude (Ladd, 2003; 2005), ce concept qui englobe les diverses manières de vivre et de réfléchir en tant que personnes sourdes :
Citation LSQ[2] : https://vimeo.com/199941163)
Le présent texte propose des réflexions issues de la production d’une bande dessinée en LSQ, une création aux confins de la bande dessinée, de la littérature et du cinéma. Il aborde des questions telles que l’importance de l’écriture, la déconstruction de la bande dessinée entendante, ainsi que l’intermédialité comme site d’agentivité. Si « l’écriture est la condition de l’épistémè » (Derrida, 1967, p. 43), la recherche-création à travers les médias numériques favorise cette écriture signée nécessaire à la création de savoirs et de productions culturelles en langues des signes.
L’écriture pour laisser trace
L’écriture permet de construire des savoirs et de développer des perspectives d’analyse. Plus précisément, pour donner une portée, dans le temps et l’espace, à ces savoirs et ces perspectives, pour y réfléchir, les déconstruire, il faut en garder des traces. Dans une perspective foucaldienne, l’écriture rend possible le devenir historique, par la démarche archéologique, en permettant de lier « les dispositifs institutionnels, la constitution des savoirs et la grammaire des pratiques » (Vuillemin, 2012).
Mais « qu’est-ce que l’écriture […] où et quand commence l’écriture? » (Derrida, 1967, p. 43). De façon générale, son acception « reste enracinée dans le texte écrit en tant que signifiant de la notion d'écriture » (Pahl, 2011, p. 209, ma traduction). Or, si l’écriture est ce qui permet de laisser une trace, il n’a pas lieu, dans une perspective critique, de se limiter à sa forme typographiée.
Aux balbutiements de ma recherche-création, j’ai abordé les possibilités d’écriture de la langue des signes québécoise (LSQ) en m’intéressant d’emblée aux implications politiques et épistémologiques de l’écriture signée. Dans le champ des études sourdes, certain-es auteur-es remarquent que pour mettre de l’avant des épistémologies signées[3]ou sourdiennes[4], la tridimensionnalité des langues des signes (LS) requiert le déploiement de possibilités qui s’arriment avec ses modalités linguistiques (Bechter, 2008). Ces modalités (mouvement et positionnement du corps, expressions faciales, etc.) – fort différentes des modalités des langues orales (Dubuisson et al., 1999), m’ont conduite à une exploration de ma pratique créative et médiatique dans une approche artiviste (Leduc, 2016c) et à une déconstruction de mon processus d’écriture (Leduc, à paraître).
Une écriture entendante?
En français, l’écriture typographiée me permet d’avoir accès à une panoplie de traces culturelles, sociales, politiques, artistiques : livres de poésie, essais théoriques, articles scientifiques, pièces de théâtre, bandes dessinées, autobiographies, romans, pamphlets, livres d’art, magazines, dictionnaires, atlas, carnets de voyage, journaux intimes, journaux de nouvelles, manuel d’instruction, notes de travail, lettres d’amour, factures, mise en demeure, candidature, lettres d’intention, carnet d’adresses, cartes postales, cartes d’anniversaire, indications routières, mémos… En français, grâce à la typographie, je peux écrire ou lire à travers tous ces media[5] en format papier, ou en format numérique. Qu’en est-il en LSQ?
En 2012, j’ai réalisé une BD sous la forme d’un zine intitulé C’est tombé dans l’oreille d’une Sourde (figure 1), dont une centaine d’exemplaires ont été diffusés dans des milieux sourds et entendants, universitaires, artistiques et militants, et rendu également disponible en ligne (Leduc, 2012). À travers dessins naïfs, anecdotes et souvenirs, j’y aborde ma surdité et mes façons de la vivre. Lors de sa diffusion, je reçus quelques commentaires de personnes sourdes sur le fait que malgré l’intérêt que présentait le thème de ma création, elle ne leur était pas accessible puisqu’elle était écrite en français… Cela m’a pris un certain temps avant de me conscientiser au fait que bon nombre de Sourd-es seraient pratiquement unilingues en LSQ[6]. Mon zine n’était donc pas accessible à plusieurs personnes sourdes signeures. Comment faire pour qu’il le devienne?
Je réalisai, sous un angle nouveau alors, à quel point des mots simples comme lire et écrire sont gorgés de rapports de pouvoir. Ces gestes sont réservés à ceux et celles qui ont eu le privilège d’apprendre à les maitriser. Ils ont été le vecteur des idées de certains humains au détriment d’autres (hommes et blancs, par exemple), valorisées et soutenues par différentes matrices de pouvoir (Haraway, 1989 ; Spivak, 1989). Cette fois-ci, je constatais que l’écriture s’est développée principalement en fonction des langues orales, en tant que technologie et media d’abord pensés par et pour des entendant-es (Bechter, 2008 ; Chateauvert et Yim, 2014 ; Sanchez 2015). L’écriture typographiée a permis de laisser d’innombrables traces construisant les mondes et perspectives épistémologiques entendants. Mais comment garder trace des perspectives signées? Comment écrire la LSQ?
J’ai ainsi été amenée à interroger l’écriture même, ce geste que j’avais toujours tenu pour acquis. Pouvoir écrire et lire dans sa langue première, cela semblait aller de soi. Écrire pour penser, pour réfléchir, pour communiquer. Lire pour découvrir, imaginer des possibles, se relier au monde. J’appréhendais ainsi sous un angle nouveau les rapports de pouvoir, à travers l’écriture. Plusieurs entendant-es ont la possibilité d’écrire et de lire dans leur langue première. De quelles façons les personnes sourdes signeures peuvent écrire dans leur langue signée et laisser trace dans le monde?
Écrire les langues des signes
S’il existe une centaine de systèmes de notation du mouvement, dont le Manuscrit de Cervera datant du XVe siècle et la notation Laban, l’écriture des LS prend quant à elle en compte la dimension linguistique. Auguste Bébian (1825), William Stokoe (1960), Valerie Sutton (1974) et Robert Augustus (2003) ont créé des systèmes de notation de langues des signes, mais il en existe plusieurs autres. Chacun à leur façon, ces systèmes intègrent différentes composantes linguistiques des LS, notamment les configurations manuelles et le mouvement du geste. Malgré la pertinence d’un système d’écriture de la LSQ (Bergeron, 2004), il n’y a pas de système d’écriture de la LSQ utilisé ni systématiquement ni significativement au Québec.
Par ailleurs, si les systèmes d’écriture des langues des signes ne sont pas si développés ou utilisés, ce n’est pas uniquement parce que celles-ci sont tridimensionnelles. Un évènement a significativement forgé l’historicité de l’écriture des langues de signes et on y réfère souvent en évoquant simplement le « Congrès de Milan » de 1880. Résumé succinctement, ce congrès ordonne l’abandon de la langue des signes dans l’enseignement, au profit de l’oralisme (Gaucher, 2009). L’enseignement de la parole normative se fait alors au détriment de multiples autres apprentissages (Jankowski, 1997). Comme le rappellent Witcher et al. dans l’un des premiers articles bilingues en français et LSQ :
les professeurs sourd.e.s et signant.e.s ont été congédiés et des mesures coercitives ont été appliquées pour empêcher les enfants de signer : attacher les mains des écolier.e.s dans leur dos et empêcher les plus vieux et vieilles de côtoyer les plus jeunes pour neutraliser la transmission de la langue ne sont que quelques exemples. La date [du congrès de milan] est traumatique (Witcher et al., 2014, citation bilingue).
Citation LSQ: https://www.ababord.org/La-communaute-sourde-quebecoise (5:53 – 6:19).
En interdisant l’enseignement des langues des signes, le congrès de Milan – dont les conséquences sont encore tangibles aujourd’hui – a contribué à limiter de façon significative les possibilités des savoirs signés et, par le fait même, le devenir sourd.
Ainsi, faute de pouvoir recourir à un système d’écriture de la LSQ reconnu et utilisé, et soucieuse que ma création soit accessible au plus grand nombre possible de personnes sourdes signant la LSQ, je n’ai pas examiné davantage les systèmes d’écriture susmentionnés. Considérant l’écriture comme la trace du langage sur un médium, j’ai opté pour la vidéographie comme forme d’écriture de la LSQ, en m’appuyant sur mon expérience de vidéaste[7].
Les codes de la bande dessinée : limites formelles et langues des signes
Ces réflexions sur l’écriture ont pris forme dans un contexte particulier, celui de la production d’une bande dessinée en LSQ. Aux réflexions critiques sur les limites formelles de l’écriture typographiée se sont juxtaposées celles sur les limites formelles de la bande dessinée. Le caractère bilingue de la BD posait des défis non seulement en termes de traduction, mais aussi en termes de production même. Le choix de la vidéographie comme forme d’écriture de la LSQ m’a ainsi conduite à un processus de déconstruction des codes et des limites formelles de ce que j’en suis venue à appeler la BD entendante.
Au départ, le choix de la bande dessinée comme approche vient de ma propre fascination pour ce médium. Les multiples BD que j’ai dévorées offrent un univers extraordinaire de communication de l’expérience subjectivement constitutive (De Lauretis, 1984). J’en suis venue à ce médium en étant particulièrement inspirée par un courant important de bandes dessinées souvent appelées BD d’auteur, alternatives ou indépendantes (Falardeau, 2008; Menu, 2011). Plus étoffé que les « comics trip » des journaux, ce type de BD qui offre une diversité de perspectives sociales et politiques s’est développé particulièrement dans les années 1970 aux États-Unis en demeurant plutôt marginal jusqu’aux années 1990, moment où il prend son envol (Delporte, 2011; Menu, 2011; Bramlett et al. 2016). À cette même époque, dans les mouvements queer et riot grlz foisonnent les zines, ces petites publications indépendantes à travers lesquelles s’expriment plusieurs « voix » minorisées, telles que celles des femmes et des personnes queer (Duncombe, 1997; Falardeau, 2008; Jeppeson 2010; Schilt, 2003). La bande dessinée permet ainsi l’exploration critique de diverses réalités culturelles et sociopolitiques taboues ou méconnues, notamment par l’humour et l’analyse critique (Boukala, 2010; Williams, 1994).
Outre son historicité politique, la BD est un médium fascinant parce qu’elle permet « la co-existence d’éléments narratifs de nature différente au sein d’un même récit » (Menu, 2011, p. 335). La spatiotopie de la bande dessinée est un terreau fertile pour l’hétérotopie foucaldienne, cette juxtaposition « en un seul lieu réel [de] plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles » (Foucault, 2001, p. 1577). Par exemple, le récit par le dessin lui-même, le métarécit que l’on trouve souvent dans la surcase (case de texte en haut de la case dessinée), ainsi que le récit porté par les protagonistes eux-mêmes, sous forme de monologues, de dialogues ou de pensées, sont autant d’éléments permettant de raconter une histoire en déjouant la linéarité d’un texte classique. La bande dessinée est un véritable champ de possibles inter-reliant éléments narratifs et visuels et me semblait ainsi un excellent medium pour une création signée.
Au fur et à mesure que s’est développé le projet, je me suis toutefois heurtée à plusieurs limites formelles que je vous invite à explorer à présent.
La place du corps
L’une des possibilités formelles de la BD, qui s’apparente au cinéma, permet de jouer avec la place du corps et du propos de façon assez libre. Par exemple, une case de BD peut très bien illustrer le propos d’un-e protagoniste dont le corps est dessiné à très petite échelle dans un plan d’ensemble, puisque les bulles ou la grosseur de la police de caractère, qui peuvent être ajustées à la grandeur désirée, montrent lisiblement les mots qui y sont écrits (figure 2). Deux protagonistes peuvent même dialoguer sans que leur corps soit visible (figure 3).
Or, les LS étant des langues incorporées, c’est-à-dire qu’elles nécessitent un corps comme site de communication (Sanchez, 2015), de telles mises en scène ne sont pas envisageables, car elles ne permettent pas l’intelligibilité du propos signé. En fait, un propos signé par un-e protagoniste dont le corps est invisible n’est pas seulement inintelligible ou incompréhensible; il est tout simplement inaccessible, inexistant. Dans la même logique, de nombreuses BD permettent la juxtaposition de voix hors champ à des images où le/la narrateur-trice ne figure pas (figure 4). Quelles seraient les possibilités pour évoquer une voix hors champ dans une langue incorporée?
L’écriture typographique permet l’évocation, l’une des richesses de la BD, voire de l’écriture entendante. Certains types de mises en scène risqueraient de diluer significativement ce pouvoir d’évocation si le propos hors champ devait être incorporé dans un corps signeur. Le caractère anonyme et lointain de la voix qui apeure le petit Riad dans L’arabe du futur (figure 5) n’aurait probablement pas le même pouvoir d’évocation si nous devions voir une représentation d’un muezzin signeur. Cette possibilité de l’absence du corps narrateur renforcée par la présence du texte est exemplaire dans la case de Massacre au pont de Noguri (figure 6). L’absence d’image laisse au lectorat tout le loisir de l’imagination. Cette mise en tension entre les codes de la BD entendante et les modalités linguistiques des LS créé une rupture importante invitant à déconstruire, pour mieux en constater l’étendue, le pouvoir d’évocation conférée par l’absence du corps des protagonistes, de la narratrice ou du narrateur.
Dans une perspective située (Haraway, 1989), cette possibilité d’absence du corps signeur suggère un rapport de pouvoir particulier. Ainsi, si des analyses féministes ont permis d’insister sur le caractère situé de toute écriture, l’écriture typographiée laisse le loisir à l’auteur-e d’identifier ou non, de montrer ou non, son corps ou celui de protagonistes. Dans le cas d’une écriture vidéographiée, l’obligation de présence incorporée annihile la possibilité d’anonymisation (Efthimiou et al., 2009) et pose autrement les enjeux de situation et de privilèges.
La surcase
Autre code formel de l’univers bédéesque, la surcase, permet de juxtaposer récit et images, prenant souvent moins d’espace que ces dernières. Lors d’une esquisse dans les versions préliminaires de la BD, je me suis rapidement rendu à l’évidence que si un propos signé devait être intégré à une surcase, les dimensions que celle-ci en viendrait à prendre pour que le texte LSQsoit suffisamment visible lui donnerait une dimension disproportionnée par rapport à la case principale. En d’autres mots, les dimensions généralement accordées à la surcase sont bien trop petites en hauteur pour y intégrer un corps signeur.
Il aurait été certes possible de jouer à juxtaposer les cases : une case centrale, une surcase sur le haut pour le propos en français et une sur le côté latéral pour le propos signé, comme c’est le cas par exemple pour cette vidéo sur un centre de la petite enfance qui accueillait des enfants sourds avant de fermer ses portes:
Cette fragmentation des cases entre récit signé, récit typographique et images s’inscrit justement dans le langage bédéesque. Toutefois, il y aurait eu alors dédoublement de protagonistes, qui auraient été à la fois dessinés et vidéographiés, dédoublement qui m’a conduite à réfléchir sur les effets de distance, d’absence et de présence rendus possible par un propos typographié.
La distance conférée par un propos typographié
L’écriture typographiée n’exige pas de montrer un visage, les mots se présentent plutôt comme une extension du corps dessiné. L’écriture typographié a le pouvoir de montrer uniquement le texte des paroles ou des pensées d’un personnage. La présence obligatoire d’un corps pour un propos signé créé un dédoublement des protagonistes qui met en évidence un privilège de la BD entendante, celui de pouvoir créer une certaine distance entre un protagoniste dessiné et son propos typographié. Le texte est fait de mots et le seul corps présent est celui du personnage. Avec un propos signé, le texte ainsi que le ou la protagoniste sont tous deux incorporés. Là où mots et dessins s’enchevêtrent comme allant de soi dans la BD entendante émerge un sentiment d’étrangeté quand apparaît le corps signeur semblable à celui de la protagoniste.
Cette limite formelle, j’en ai pris connaissance en produisant des planches exploratoires (figure 7). Ces esquisses ont été réalisées au moment où j’explorais la manière d’intégrer la LSQ dans la BD*. J’ai d’abord envisagé la place de la LSQ simplement dans une visée d’accessibilité, m’imaginant recourir à des capsules vidéo de style médaillon – que l’on voit trop rarement dans certains programmes télévisés – que j’aurais intégrées aux cases de la BD (figure 8). Politiquement, un tel choix aurait relégué la LSQ à une simple posture d’accommodement permettant de traduire une BD pensée, écrite et créée en français.
Lors de ces esquisses, le contraste entre le dessin et la vidéo en noir et blanc m’a semblé esthétiquement inintéressant. C’est dans les allers et venues de la recherche-création avec l’image à l’aide d’effets spéciaux qu’a émergé la possibilité d’éviter le dédoublement des protagonistes, bien que j’aurais certes pu aller de l’avant avec cette exploration artistique.
En utilisant la vidéo avec un effet d’animation, cela me permettait à la fois la présence d’un propos signé et une esthétique similaire à celle de la BD. Utilisant la vidéo comme forme d’écriture apte à rendre compte de la tridimensionnalité des langues des signes et de leurs composantes linguistiques, la BD* comporte des vidéos en noir et blanc de protagonistes signant la LSQ, éditées avec un effet de dessin animé, des textes en français disposés dans des phylactères et des arrière-plans édités avec un logiciel de graphisme.
Phylactère et prise de parole
Je termine cette section sur les codes de la BD par une réflexion sur les rapports de pouvoir tissant l’univers de la « prise de parole ». Bien que dans les esquisses du projet j’aie envisagé l’insertion d’un propos signé dans les bulles de textes, cela créait un dédoublement des protagonistes : au dessin du personnage s’ajoutait le personnage signeur. Tel qu’elle a pris forme, l’œuvre est maintenant une vidéo où les personnages signent et où les bulles de textes sont réservées au texte en français, cette langue orale représentée dans le phylactère. Ce choix a jeté un nouveau regard critique sur l’un des codes de la BD, le phylactère. Symbole de la « prise de parole », il me semble incontournable de souligner ici les imbrications audiocentristes de ce geste politique.
Le terme « voix » revêt une importance politique significative, notamment lorsqu’il s’agit de prise de parole de personnes minorisées. Nick Couldry rappelle que la « voix » a moins à voir avec le son émis lorsqu’une personne parle qu’à « l’expression d’une opinion, ou, plus largement, l’expression d’un point de vue particulier sur le monde qui a besoin d’être reconnu » (Couldry, 2010, p. 1, ma traduction). Vu l’importance de la « prise de parole », comment désigner les « voix » sourdes? Non seulement le mot « voix » ne me semble pas approprié pour les LS qui ne sont pas vocales, mais il évoque pour les Sourd-es une histoire d’oppression, celle de l’oralisme.
La plupart des expressions idiomatiques autour de la « prise de parole » font référence d’une façon ou d’une autre à la notion de voix, de parole ou de capacité à entendre – trois composantes à priori peu propices à une épistémologie sourde ou signée. Certaines expressions, telles que « faire entendre nos voix », donnent du pouvoir politique aux mouvements militants entendants. Or, si la réclamation d’une attention politique repose sur des métaphores et expressions phonocentristes, lorsque l’écoute sollicitée n’est pas au rendez-vous, des slogans audistes sont fréquemment utilisés au sein des mouvements sociaux et de la presse, pour ne nommer que ceux-là. Pensons par exemple à des phrases telles que « faire la sourde oreille » ou « avoir un dialogue de sourds ». L’audisme se propage ainsi souvent inconsciemment, d’une manière qui perpétue les normes et les privilèges des personnes entendantes à travers des expressions idiomatiques oppressives (Gertz, 2008).
Historiquement, la plupart des mouvements sociaux (féministes, antiracistes, anticapacitistes) ont au moins le privilège de parler les langues dominantes, en Amérique du Nord du moins, ce qui constituait certainement un avantage en matière de reconnaissance des droits humains qu’ils réclamaient. Or, pour les personnes sourdes, « la communication n’est pas simplement un moyen en soit, mais l’enjeu même » (Jankowski, 1997, p. 163, ma traduction), puisque certaines d’entre elles en sont exclu-es, n’ayant pas la même possibilité de communiquer leurs revendications dans ce mode dominant de la parole et de l’audition.
À l’égard de son importance pour les épistémologies subalternes, comment la question de la « voix » ou de la « prise de parole » peut-elle être déconstruite et repensée à travers une perspective sourdienne? Le point nodal de l’acte de « prendre parole » est d’être « entendu » ou « écouté », des gestes communicationnels nécessaires à la considération sociale, elle-même nécessaire à une certaine reconnaissance sociale. Alors que nombre de voix subalternes se sont articulées depuis l’émergence des mouvements sociaux, se transformant depuis en diverses vagues de pensées et se renouvelant théoriquement, la sourditude pose la question : comment être « entendu-es » lorsque la voix n’y est pas?
Bien que symbolisant a priori l’expression d’une parole – au sens vocal du terme –, le recours aux phylactères dans la BD* donne la possibilité aux signeur-es de « parler » en leur nom propre. Certes, j’aurais pu faire simplement une vidéo avec des sous-titres – qui permettent de traduire tout type de contenu –, mais dans la mesure où la voix et la parole sont considérées justement comme « l’expression d’un point de vue particulier sur le monde qui a besoin d’être reconnu » (Couldry, op. cit), l’usage du phylactère évoque ainsi pleinement cette prise de parole, qui côtoie de près le propos signé. Le phylactère est présent pour que les personnes non signeures puissent accéder au texte. Dans cette BD* bilingue, le corps du propos – au sens propre et figuré – se trouve principalement chez les protagonistes, qui nous font signe de les écouter.
Mettre à l’avant-plan la LSQ comme langue de création a bousculé bien des pratiques que je n’avais jusque là jamais remises en question. Le défi de travailler à travers le médium de la bande dessinée, structuré en 2D, avec une langue qui elle est modulée en 3D, m’a fait vivre un exercice de déconstruction culturelle et de recherche-création intermédiatique sans précédent.
Déconstruction et intermédialité
Le projet de BD* a émergé d’une volonté de produire une bande dessinée en langue des signes québécoise. Alors que la production du zine en français C’est tombé dans l’oreille d’une Sourde (Leduc, 2012) me permettait d’emprunter aisément les codes de la bande dessinée, la production de la BD* en LSQ a présenté de nombreux défis.
Exercice de déconstruction culturelle
Bien qu’utilisant certains codes de la bande dessinée ou du roman graphique (phylactères, personnages à l’allure illustrée et certaines cases), j’ai eu de nombreux échanges où on mettait en doute que cette BD* soit une « vraie » BD :
- Une BD en vidéo ?! La BD, c’est pas censé être un livre?
- Comme la langue des signes québécoise ne s’écrit pas vraiment sur papier, j’utilise la vidéo comme forme d’écriture.
- Mais là, ce n’est plus une bande dessinée, c’est un dessin animé…
- (…)
Cette réitération des remises en question a donné lieu à un questionnement sur le « genre » de création que je produisais. Bien que je ne souhaite pas cantonner l’œuvre dans un genre précis, j’ai été interpellée par la portée des interrogations que ces multiples mises en doute soulèvent.
Thème de ce numéro de la revue, l’expression « Cripping the arts » est difficilement traduisible en français. Google Traduction propose maladroitement : « Découper les arts »… « Déconstruire les arts » serait certes plus approprié. À défaut d’une expression courte en français, il s’agit, en tant que personnes sourdes, handicapées, capées[8]ou folles[9], de « développer de nouvelles façons de créer de l'art et de soutenir les pratiques artistiques, de changer les types d'art que nous rencontrons et d'innover en proposant de nouvelles façons de s'engager avec l'art » (Chandler, 2016, ma traduction). Ainsi,
en critiquant les arts plutôt qu’en s’intégrant dans des structures existantes qui ne nous reconnaissent, ne nous appuient et ne nous considèrent pas, nous mettons en pratique l'affirmation de Mia Mingus, militante pour une justice en matière de handicap : « nous ne nous joignons pas simplement aux rangs des privilégié-es; nous voulons démanteler ces rangs et les systèmes qui les maintiennent en place » (2011). Nous mettons également à l’œuvre l'observation judicieuse de Catherine Frazee : « En tant que personnes handicapées, nous ne cherchons pas simplement à participer à la culture canadienne, nous voulons la créer, la façonner, l'emmener au-delà de ses limites » (2001). (Idem)
En ce sens, l’intérêt de cette question réitérée – « Est-ce vraiment une BD ? » – a été de déconstruire l’écriture et la BD en démontrant de diverses manières comment ces media sont traversés par des rapports de pouvoirs articulés autour de l’entendance, un concept mettant l’accent sur les rapports de pouvoirs privilégiant les personnes entendantes ou leurs façons dominantes de faire (Leduc, 2015).
Au même titre que l’hétéronormativité constitue un ensemble de matrices de pouvoir autour des questions de genre, d’orientation sexuelle, de normativité hétérosexuelle et d’hétérosexisme, que les perspectives queer ont déconstruites en démontrant sa prévalence dans un ensemble de sites de pouvoir (langage, corps, discours, etc.) (Butler, Foucault), l’entendance constitue un ensemble de matrices de pouvoir articulés autour des questions de capacitisme auditif, de normativité audiocentriste et d’audisme (Humphries, 1977; Bauman 2004). Du latin audire (entendre) et isme (système de pratiques, actions, croyances, attitudes), l’audisme signifie :
- La croyance selon laquelle les personnes qui entendent sont supérieures en fonction de leur aptitude à entendre, à parler et à agir comme quelqu’un qui entend, et donc supérieures à celles qui sont sourdes ou malentendantes (Humphries, 1975);
- La manifestation historique et systémique de la domination et de l’autorité imposées par le monde entendant aux communautés sourdes (Lane, 1992);
- La discrimination ou les préjugés envers les personnes qui sont sourdes ou malentendantes (American Heritage Dictionary, 2015);
- La hiérarchisation de la surdité et de l’audition en subordonnant la première à la seconde (Humphries, 1975;
- La hiérarchisation des langues des signes et des langues orales en subordonnant les premières aux secondes, voire le dénigrement ou la subalternisation des langues des signes (Bauman et Simser, 2013);
- La supposition selon laquelle le langage et la parole sont des concepts interchangeables (Bauman, 2004, 2008). (Leduc, 2015, p. 12).
Déconstruire la matrice d’entendance à travers une réflexion critique sur l’écriture et la BD m’a permis de déconstruire des codes et des pratiques souvent pris pour acquis, alors qu’ils ont été historiquement développés principalement par et pour des personnes entendantes (Bath, 2016; Leduc, 2015).
Traduction et déconstruction de la représentation d’un entendant
Comme je l’ai souligné à moult égards jusqu’à présent, la LSQ pose un défi de taille au niveau de la création et du renouvellement des pratiques médiatiques. J’aimerais maintenant proposer une réflexion sur la traduction français-LSQ et ses effets politiques.
Les rencontres avec les Sourd-es ont eu lieu en LSQ et ont été intégrées dans la BD* à partir d’extraits originaux. La traduction en français que j’ai fait de leur propos se trouve dans les phylactères. Par ailleurs, comme ma famille ne signe pas, ce sont des Sourds qui ont interprété leurs propos en LSQ dans la BD*. Les paroles dans les phylactères sont toutefois leurs propos originaux exprimés en français lors des entrevues de préproduction. La séquence d’images (figure 9) rend compte du processus de traduction : À la suite d’une entrevue avec un membre de ma famille (ici mon frère Philippe), un verbatim a été produit par David Widgington, un collègue entendant. Puis, j’ai fait une première traduction en LSQ que Pamela Witcher, directrice artistique LSQ, a peaufiné. Ensuite, un acteur sourd (ici Pierre-Olivier Beaulac) fût engagé pour performer le texte signé en studio. En postproduction, une photo tirée du contexte original d’entrevue (ici le mur de brique chez mon frère) a pu être modifiée à l’aide d’effets spéciaux afin de servir d’image de fond. La vidéo a été éditée avec un effet d’animation et le phylactère avec le texte original de l’entrevue a été rajouté.
Le passage d’une écriture incorporée à une écriture typographiée se moule très bien aux codes de la traduction cinématographique : les phylactères en français qui rendent compte de la traduction de la LSQ vers le français apparaissaient à l’écran tels des sous-titres dans n’importe quel film étranger. Par ailleurs, le passage d’une écriture typographiée à une écriture incorporée a nécessité des corps signeurs différents des corps des protagonistes interviewés.
Pour les chapitres avec les membres de ma famille entendante, bien que les phylactères relatent leurs propos originaux, cette forme de traduction d’une langue orale à une langue signée a secoué ma conviction que la BD* était une BD documentaire. De fait, j’envisageais mal comment l’aspect documentaire des rencontres pouvait être préservé à travers un processus qui me semblait fictionniser les propos du fait que les corps à l’écran n’étaient pas ceux des membres de ma famille que j’avais pourtant rencontrés dans une démarche documentaire[10].
Dans sa réflexion sur la politique de la traduction, Spivak écrit : « la traduction est l’acte de lecture le plus intime. Je me rends au texte lorsque je traduis » (Spivak, 1993, pp. 201-202, ma traduction). Considérant les rapports de pouvoir à l’œuvre à la fois dans l’économie de la littérature et dans l’acte de traduction, Spivak suggère que ce n’est que grâce à un profond engagement avec un texte que celui-ci peut être livré dans une autre langue.
Son propos évoque un corps-à-corps lorsqu’elle suggère que « se rendre au texte est plus érotique qu’éthique » (Spivak, 1993, p. 205). Dans la traduction d’un texte oral, puis typographié à un texte signé, incorporé et vidéographié, ce corps-à-corps s’exemplifie de façon extrême au point où le corps de texte original se soustrait au corps signeur et traducteur qui l’incarne, le traduit. Ce dévoilement du corps dans le processus de traduction est nécessaire à cause des modalités des LS. Alors qu’il prend place à l’écran comme un second, qu’il montre à son corps défendant qu’il n’est pas l’original, il révèle en même temps par son pouvoir d’évocation que le corps de texte original est issu lui aussi d’un corps, au sens d’un être humain situé dans le temps, l’espace, l’histoire et des rapports de pouvoir.
L’agentivité conférée par la traduction des propos, par des signeur-es, des membres de ma famille interviewés s’est avérée une piste de réflexion fort intéressante. Alors que plusieurs critiquent la performance de rôle sourds ou handicapés par des personnes entendantes et validées[11](non-handicapées) à l’écran, ma BD* offre un renversement intéressant. Je me souviens de l’étonnement de Pierre-Olivier lorsqu’il a réalisé qu’il interprétait une personne entendante, mon frère Philippe, qui ne signe pas. On a dû refaire à quelques reprises la scène où il répond au téléphone puisqu’en tant que Sourd, Pierre-Olivier n’utilise pas le cellulaire de la même façon qu’un entendant. Il avait tendance à commencer à parler avant même que le combiné soit sur son oreille et continuait à parler alors qu’il le remettait dans sa poche. Même dans la scène retenue, le cellulaire est déjà loin de son oreille lorsqu’il ses lèvres articulent « je te rappelle ».
L’effet d’étrangeté suscité par la performance d’un rôle entendant par un Sourd me semble mettre en évidence le caractère problématique de l’interprétation de rôles sourds par des comédien-nes entendant-es. Cet exemple d’agentivité a été rendu possible grâce au recours aux media numériques, que j’ai exploré dans une approche intermédiatique, fertile à une réflexion sur l’écriture et la création avec les langues des signes.
Intermédialité et agentivité
La production de la BD* à travers une recherche-création a été une occasion privilégiée de prendre conscience de l’importance affective et politique de la littérature signée, et plus largement des media numériques signés. Je partage avec la majorité des Sourd-es impliqué-es dans l’œuvre et avec qui j’ai eu la chance d’en discuter l’exaltation de contribuer à la première BD en langue des signes[12] , en LSQ de surcroît.
Alors que j’ai ressenti à plusieurs moments l’oppression à l’égard des technologies d’écriture, d’édition, de traduction inaccessibles, inadaptées ou inexistantes, la prise de pouvoir qu’a générée la recherche-création par un recours novateur aux media numériques est indéniable. Pouvoir dire l’oppression, nommer des barrières systémiques, déconstruire des préjugés, ouvrir des brèches de réflexion d’une façon qui rejoint à la fois des personnes entendantes, sourdes et malentendantes à travers le français et la LSQconstituent sans aucun doute certaines des forces de la bande dessignée :
Sourditude et entendance sont des univers vastes et irréductibles qui sont abordés dans la BD* sous divers angles philosophiques et par différents media, technologies et langues qui offrent divers points de contact avec l’œuvre.
Bien qu’inévitablement traversés par des rapports de pouvoir concernant l’accès aux technologies (Eubanks, 2011), les media numériques, en ce qu’ils permettent d’embrasser les multiples modalités des langues des signes, nourrissent les conditions mêmes de possibilité d’épistémologies signées (Leduc, 2015).
La complexité tridimensionnelle des LS invite à un changement de paradigme pour repenser les pratiques et le design médiatiques et communicationnels. Entre autres, la modalité linguistique tridimensionnelle et incorporée des LS ne semble pas pouvoir s’arrimer à plusieurs codes mis en œuvre dans les BD traditionnellement conçues en format papier. Dans une perspective « capée » (crip) envisageant les limites comme des ouvertures à d’autres possibles, c’est par un exercice de déconstruction des codes de la BD entendante que j’ai pu prendre acte de leurs limites formelles pour ensuite envisager l’intermédialité comme site d’agentivité.
Je conclus cette réflexion articulée autour de la production d’une bande dessignée, une première BD* entièrement en langue des signes, en réitérant l’importance de développer des technologies médiatiques, des écritures, des créations aptes à déployer des savoirs en langues des signes. Considérant notamment qu’en dehors de l’Université Gallaudet, les chercheur-es sourd-es occupant des postes universitaires sont « extrêmement minoritaires » (Dalle-Nazébi, 2008, p. 65), les productions culturelles sourdes doivent être mise de l’avant afin de contribuer au développement de savoirs signés et de permettre aux personnes sourdes signeures de laisser trace.
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En complément de cet article, je vous invite à visionner la BD* : LSQ">https://vimeo.com/channels/BDLSQ. Produite dans le cadre de mon doctorat en communication, elle est formée de 10 chapitres-vidéos. Par la suite, j’ai réalisé un court-métrage de 16 minutes produit à partir d’extraits de la BD*, disponible en ligne : https://vimeo.com/videographe/oreilledunesourde(LSQ-français) et https://vimeo.com/videographe/deafear ( LSQ-anglais). Distribué par Vidéographe et lancé en première mondiale lors des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), le court-métrage a gagné le prix du meilleur court métrage expérimental au Toronto International Deaf Film and Arts Festival (TIDFAF). ↑
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L’article propose des citations en LSQ qui sont disponibles en vidéos. Le texte des citations est disponible sous les vidéos en vidéo-description. ↑
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Comme on ne parle pas la langue des signes, on la signe. ↑
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Thibeault et Gagnon (Gagnon, 2012) ont créé le terme sourdien, qui se signe par un mouvement de l’index allant du pouce à l’index d’un poing fermé, afin : 1) de proposer une alternative à l’ambiguïté d’un terme en LSQ qui signifie à la fois surdité, sourd-e et Sourd-e, signé par un mouvement de l’index allant de l’oreille à la bouche, 2) de proposer un signe qui ne perpétue pas le mythe que les personnes sourdes sont muettes (sens évoqué par la position finale du signe surdité, sourd et Sourd où l’index est posé perpendiculairement sur la bouche); 3) d’éviter la définition de l’identité des personnes sourdes par la condition médicale de perte auditive (sens évoqué par la position initiale du signe surdité, sourd et Sourd où l’index est posé sur l’oreille); 4) de proposer un signe de désignation qui soit politique (le poing fermé étant un symbole de lutte et de résistance); 5) de permettre aux personnes entendantes alliées ainsi qu’aux personnes sourdes et malentendantes de s’identifier à une même appartenance. C’est un terme actuellement utilisé uniquement dans la communauté LSQ (Leduc et al., 2015). J’utilise l’expression « perspectives sourdiennes » pour qualifier des savoirs et des perspectives à partir d’une posture politique plutôt que d’une posture essentialiste ou identitaire (Leduc, 2015). ↑
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Dans son acception courante, le terme média qualifie un moyen de diffusion public, son pluriel (les médias) étant la traduction de mass media, alors le terme media désigne plutôt le pluriel de médiums « entendus » comme entre-deux et intermédiaires (Bardini, 2015). ↑
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À ma connaissance, il n’existe pas de données précises à ce sujet. Plusieurs Sourd-es que je connais ont une très bonne, voire une excellente maitrise du français écrit alors que, par ailleurs, il m’est arrivé souvent d’avoir du mal à comprendre un courriel écrit en français par une personne dont la LSQ est la langue première. ↑
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De façon générale, j’utilise la vidéo comme médium pour déconstruire certaines normes sociales et pour « faire entendre des voix » minorisées. Les vidéos et compilations DVD que j’ai réalisées « donnent la parole » entre autres à des enfants handicapé-es, des travailleuses et travailleurs du sexe, des personnes vivant avec le VIH, ainsi qu’à des personnes queer, trans, réfugiées et sans-papier. C’est d’ailleurs en étant habituée d’utiliser ces expressions phonocentristes qu’est apparu leur paradoxe à l’égard des perspectives sourdes. ↑
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Je remercie Laurence Parent de m’avoir mise à l’affût de cette traduction du mot « crip » au Québec : « capé » étant un diminutif d’handicapé utilisé en guise d’appropriation politique et culturelle. ↑
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Le terme « fou / folle » est une traduction de l'expression anglaise « Mad ». Tout comme l’insulte « queer » – qui signifie étrange – a été réappropriée par certaines minorités sexuelles dans un élan politique d’affirmation identitaire positive, ou comme l’insulte « cripple » – d’où le dérivé crip – a été rappropriée par des personnes handicapées qui considèrent leur différence non pas comme une honte à cacher mais comme pouvant être digne de fierté, le terme « mad » a été lui aussi réapproprié. Ainsi, le mouvement Mad est fondé sur le principe d’autodétermination des personnes vivant avec une différence psychique ou des enjeux de santé mentale. ↑
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D’une part, il importe de préciser ici la distinction entre traduction et interprétation des LS. À mon sens, la traduction désigne le travail qui permet de traduire d’une langue à l’autre, alors que l’interprétation consiste en la performance du texte par un corps signeur. Dans le cas des services d’interprétation offerts aux personnes sourdes et malentendantes, l’interprète fait un travail simultané de traduction et d’interprétation, alors que pour ma BD, la traduction a été préparée par Pamela et moi avant d’être interprétée par les acteurs et l’actrice sourd-es.
D’autre part, il importe de distinguer l’interprétation de la reconstitution. Dans le cas d’un film où les scènes documentaires originales sont mises à l’écran, l’ajout d’un médaillon d’interprétation permet d’offrir un accès au film dans une langue signée différente de la langue originale (signée ou orale) du film, comme c’est le cas dans la vidéo Les mains au bout du fil | Fingers on the line (Grenier et al., 2015). Dans le cas de la BD, étant donné que les scènes documentaires originales ne sont pas mises à l’écran, l’interprétation se présente comme une reconstitution dans la mesure où les images d’arrière-plan, la mise en scène et la scénarisation ont été orchestrés de sorte à évoquer le plus possible les scènes documentaires originales des rencontres avec les membres de ma famille. Contrairement à la docufiction qui reconstitue des scènes qui n’ont pas été filmées au moment des faits, la BD* reconstitue des scènes originales qui ont été filmées, mais que je ne souhaitais pas mettre à l’écran afin d’éviter à la fois un dédoublement des protagonistes et une consécration de l’interprétation au statut de médaillon. Contrairement à un montage photo où j’aurais pu préserver les scènes originales des rencontres en remplaçant uniquement le corps des membres de ma famille par des interprètes, une telle option est difficilement envisageable en montage vidéo. ↑
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L’antonyme courant pour l’expression « personne handicapée » est « personne valide » ou « personne capable ». Alors que l’adjectif « handicapé » renvoi au processus qui handicape les gens, celui-ci est absent dans l’antonyme. J’écris pour la première fois l’expression « personne validée », afin de mettre l’accent sur le processus et les constructions sociales qui forgent ces identités. ↑
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Notons toutefois qu’il existe de très courtes vidéos signées avec un style dessin animé. ↑