« If blindness creates a new world » : générer et expérimenter la cécité en réalité virtuelle

Céline Roussel, doctorante en littérature comparée à Faculté des Lettres de Sorbonne Université

celine [dot] s.roussel [at] gmail.com

Résumé

Dans cette étude où narratologie médiatique, concepts-clés des Game Studies et théorie barthienne du jeu contribuent à approfondir un questionnement relevant des Disability Studies, nous nous intéressons à l’expérience VR Notes on Blindness (Audiogaming, 2016), inspirée du journal intime de l’universitaire et théologien aveugle John Martin Hull, pour montrer que la réalité virtuelle ouvre un espace radicalement neuf pour penser et contempler la cécité. À mi-chemin entre court métrage et jeu vidéo, Notes on Blindness VR crée un espace audiovisuel d’exploration de la cécité à la fois fictif et autobiographique, à l’auctorialité multiple. À l’opposé de la prothèse narrative telle que la définissent les théoriciens des discours du handicap David. T. Mitchell et Sharon L. Snyder, ce programme de réalité virtuelle, qui configure un partage des subjectivités aveugle et voyante, s’avère être une prothèse numérique interactive féconde pour célébrer la cécité comme accroissement du vécu sensoriel du monde.

Abstract

Drawing on media narratology, key concepts of Game Studies and Roland Barthes’ game theory in order to explore more thoroughly an issue springing from the Anglo-Saxon academic field of Disability Studies, this paper examines the virtual reality experience Notes on Blindness, which is based on the diary published by the blind academic John Martin Hull (1935-2015) and is part of a transmedia project directed by a Franco-British team, broadcast by ARTE in October 2016. We contend that virtual reality opens up a new space which leads us to think about, and behold blindness in radically different ways: halfway between short film and video game, Notes on Blindness VR creates an audiovisual space that is both fictional and autobiographical, and whose multiple voices allow an innovative exploration of blindness. In contrast to the concept of “narrative prosthesis” outlined by disability theorists David T. Mitchell and Sharon L. Snyder in their famous work from 2001, this virtual reality program engenders narratively, spatially and temporally a sharing of blind and sighted subjectivities, and consequently turns out to be an interactive digital prosthesis best placed to celebrate blindness as an augmentation of sensory experience.

« If blindness creates a new world » : générer et expérimenter la cécité en réalité virtuelle

Céline Roussel, doctorante en littérature comparée à Faculté des Lettres de Sorbonne Université

celine [dot] s.roussel [at] gmail.com

Introduction

Parmi le vaste ensemble des écrits autobiographiques contemporains publiés par des personnes aveugles, le journal intime de John Martin Hull, dont la première édition parut en 1990, retient tout particulièrement l’attention du chercheur en Disability Studies s’intéressant aux productions littéraires et culturelles traversées par les questions de la cécité. John M. Hull, universitaire et théologien anglais devenu aveugle peu avant ses cinquante ans, se livre à une exploration philosophique et phénoménologique intime de ce que signifie sa cécité qui, loin d’être seulement conçue comme un état corporel déficitaire, se trouve représentée pour ce qu’elle est : la pierre fondatrice d’un nouveau rapport aux autres et au monde. Alors que l’ouvrage, caractérisé par une écriture non rétrospective à la première personne, prend ses distances par sa forme et son contenu avec les habituels « récits de triomphe[1] » sur le handicap (Couser, 2000, p. 308), il se distingue aussi par un potentiel « médiagénique[2] » (Marion, 1997, p. 85) jusqu’à présent inégalé[3] : après avoir donné naissance à un court métrage en 2014, il fait l’objet en 2016 d’une nouvelle adaptation cinématographique et numérique dans le projet transmédia Notes On Blindness, comportant un long métrage ainsi qu’une expérience de réalité virtuelle.[4]

C’est sur cette expérience VR[5] que nous souhaitons nous concentrer ici, dans la mesure où elle crée un espace sans précédent de représentation de la cécité. Plusieurs épisodes de la vie de John M. Hull sont transcrits en l’espace de six chapitres à la fois narratifs et descriptifs.[6] Chacun présente un environnement différent, par exemple un jardin public, l’intérieur de la maison ou encore la nef centrale d’une église. Le spectateur visionne et découvre ces différents espaces à l’aide d’un casque sur lequel est fixé un téléphone portable de type smartphone qui transmet la voix de John M. Hull, extraite de ses enregistrements audio originaux auxquels les développeurs ont eu accès après sa mort en juillet 2015. Ce nouvel univers virtuel pose le problème de l’adaptation d’un support – textuel et audio – à un autre – numérique –, mais aussi de l’adaptabilité du vécu à un support informatique interactif. Il ouvre un espace novateur pour parler de la cécité — plus précisément, pour faire parler un auteur de sa propre cécité.[7]

On remarque en effet que Notes On Blindness VR est basé sur une double, voire triple auctorialité qui en complexifie l’approche méthodologique. Si des extraits audio de John M. Hull ont été utilisés en toile de fond sonore pour commenter les différents environnements, rappelant que ce dernier est bien l’auteur des réflexions sur la cécité qui sont présentées, il ne faut pas négliger que ce sont les choix des concepteurs eux-mêmes qui ont déterminé la configuration narrative de l’expérience VR. Le spectateur pourrait lui-même être considéré comme une troisième instance auctoriale, puisqu’il est invité, avec John M. Hull, à recréer progressivement le monde de la cécité et qu’il joue un rôle dans la configuration temporelle du récit, l’expérience durant plus ou moins longtemps selon son degré d’attention et de réceptivité aux différents univers. Cette superposition des auctorialités situe notre objet d’étude au-delà des questionnements soulevés par G. Thomas Couser, auteur de plusieurs ouvrages-clés sur les autobiographies des personnes en situation de handicap et les revendications identitaires qui vont de pair avec ces écrits, prenant le contre-pied des stéréotypes fictionnels élaborés sur la cécité. La dimension technologique de l’expérience VR, basée sur le recours à une interface numérique et à un son binaural, distingue de surcroît cette production des « archives littéraires et filmiques[8] » (Mitchell et Snyder, 2000, p. 30) habituellement prises pour objet d’étude par les chercheurs en Disability Studies, comme David T. Mitchell et Sharon L. Snyder dans leur étude pionnière des représentations et des discours du handicap. Enfin, si un chercheur aveugle comme Piet Devos a déjà pu faire usage de la technologie du son binaural pour développer une méthode d’investigation autoethnographique[9] – il enregistre et filme ses déplacements en ville avant de les réécouter et de les commenter –, on constate que Notes On Blindness VR ne se réduit pas à cette démarche. Notes On Blindness VR recrée l’univers de John M. Hull en se fondant certes sur un substrat autobiographique, mais en inventant aussi un graphisme visuel original et des interactions avec le programme. Référentiel et fictionnel tout à la fois, l’univers de la cécité mis en scène par l’expérience VR est un espace hybride et complexe à penser.

En reprenant l’expression qui condense la théorie du récit que David T. Mitchell et Sharon L. Snyder développent dans leur célèbre ouvrage, on peut dire que l’expérience de réalité virtuelle Notes On Blindness produit un nouveau type de « prothèse narrative ». La cécité n’est plus une béquille à partir de laquelle se déploie une trame narrative qui tend ensuite à l’occulter et à ne pas la traiter pour elle-même[10]. Au contraire, elle est mise en scène grâce à un casque audio et vidéo qui apparaît dès lors comme une extension du corps de l’utilisateur : l’artefact technologique devient un ensemble prosthétique où la cécité est traitée pour elle-même, par le recours pour le moins paradoxal à une expérience tout autant visuelle qu’auditive. En tenant compte du fait que Notes On Blindness VR a été conçu pour des personnes voyantes et n’est pas accessible à un public aveugle, nous chercherons à comprendre de quelle manière la technologie de la réalité virtuelle contribue à mettre en relation deux subjectivités, en l’occurrence celle de l’auteur aveugle John M. Hull et celle du spectateur-utilisateur voyant, dans un espace numérique inédit de partage du regard. Nous montrerons ainsi que la réalité virtuelle n’est pas seulement un média puisant dans la cécité pour y trouver des ressources esthétiques, mais qu’elle offre surtout un espace radicalement neuf pour permettre la recréation d’un monde et d’un univers, où le public voyant est invité à faire sienne l’expérience de l’individu aveugle John M. Hull.

Après avoir fait un bref rappel de la genèse des deux objets examinés ici, le journal intime de John M. Hull et Notes On Blindness VR, nous verrons comment cette dernière procède à une esthétisation visuelle et sonore de la cécité, qui apparaît dès lors à la fois comme un défi et une ressource pour cette nouvelle technologie qu’est la réalité virtuelle. Quelques concepts-clés des Game Studies nous aideront à mettre en perspective la dimension d’interactivité du programme. Enfin, pour saisir pleinement les enjeux de ce partage numérique du monde de la cécité grâce à l’interface technologique que propose la VR, nous procéderons à une analyse des trois dimensions essentielles de cette expérience — l’espace, le récit et le temps.

Genèses du journal intime de John M. Hull et de Notes On Blindness VR

Le journal intime de John M. Hull – qui repose sur un transfert de l’oral vers l’écrit –, ses adaptations cinématographiques et son interprétation numérique constituent un ensemble transmédiatique tout à fait original dans le champ des productions culturelles et artistiques analysées par le chercheur en Disability Studies.

Lorsqu’il publie en 1990 Touching the Rock: An Experience of Blindness, Hull livre au public une exploration intime du lent processus de métamorphose de sa subjectivité auquel le soumet la cécité acquise à l’âge adulte. Se présentant sous la forme d’un journal dont les entrées sont plus ou moins régulièrement espacées entre 1983 et 1986, cette première édition est bientôt suivie d’une seconde en 1997, version augmentée de l’ouvrage qui traite également de l’année 1991. L’une et l’autre versions conjuguent des anecdotes issues de l’analyse de situations quotidiennes et concrètes avec des réflexions philosophiques et existentielles sur la manière d’entrer en relation avec les autres et avec le monde lorsqu’on est aveugle. Les différentes sphères de vie touchées par la perte de la vue sont parcourues et décrites au fil des pages. Il est cependant important de rappeler la genèse spécifique de l’ouvrage, qui pose d’emblée la question de l’adaptation du texte d’un support à un autre. L’ouvrage papier a en effet été arrangé par Hull à partir de ses propres enregistrements audio sur magnétophone, auxquels il a procédé à partir de l’année 1983[11]. Il y a donc eu transfert de l’oral vers l’écrit. Les réflexions véhiculées par la voix de John M. Hull sur les bandes du magnétophone ont été légèrement remodelées pour rejoindre l’espace lisse et blanc du papier. Elles s’y trouvent relayées et médiatisées par une matérialité différente, celle du livre, qui assure un point de contact et de dialogue entre l’intimité d’un individu aveugle devenu auteur et acteur de sa cécité d’une part, et le regard d’un lecteur-spectateur d’autre part, invité à partager « une expérience de la cécité », ou encore à prendre part à « un voyage dans le monde de la cécité[12] ».

C’est précisément dans cette logique opérant une communion des regards à la croisée des mondes de la cécité et de la vue que s’inscrit le projet global Notes On Blindness, rendant ainsi justice à l’esprit dans lequel a été composé le journal intime. Ce projet a été porté par une équipe franco-britannique et diffusé par ARTE en octobre 2016. Les deux principaux volets qui le composent – le long métrage documentaire réalisé par Peter Middleton et James Spinney, combiné à une expérience de réalité virtuelle d’une trentaine de minutes à laquelle ont également travaillé Arnaud Colinart et Amaury La Burthe – opèrent un retour aux bandes-son qui sont à l’origine du livre. Le long métrage comme la VR ont la spécificité de s’appuyer sur les enregistrements originaux de John M. Hull, auxquels les réalisateurs ont eu un accès exclusif[13], exploitant ainsi le matériau de la voix, dans son caractère brut, comme toile de fond sonore de ces deux réalisations. À l’écoute de la voix de Hull, le spectateur du film, mais aussi de l’expérience VR[14], découvre le monde de la cécité tel que l’auteur l’a analysé, compris et habité. Alors que le long métrage s’appuie en partie sur des ressources et des thèmes déjà mobilisés par un précédent court métrage du même nom, réalisé pour le New York Times dans la catégorie des Op-Docs[15], l’expérience de réalité virtuelle repose quant à elle sur une tout autre technologie qui donne lieu à une représentation novatrice de la cécité. Le matériel utilisé (un casque audio associé à un casque de réalité virtuelle 360°) vise à isoler l’utilisateur de son environnement habituel. La réalité virtuelle, au moyen d’une interface technologique et sur le principe d’une interchangeabilité des corps et des espaces, projette alors le spectateur-utilisateur dans la fiction d’un nouvel univers. Dans son ouvrage Narrative as Virtual Reality, Marie-Laure Ryan cite cette définition de Ken Pimentel et Kevin Texeira pour attirer l’attention sur les composantes essentielles de la VR, décrite comme « une expérience interactive, immersive, générée par un ordinateur[16] » (2001, p. 9). Adapté au casque Samsung Gear, Notes On Blindness VR immerge son utilisateur dans une expérience originale de la cécité en se centrant sur les perceptions singulières de l’aveugle John M. Hull dans différents contextes spatiaux. On y découvre la recomposition expérimentale et poétique d’un nouvel environnement, où, selon un principe synesthésique, des myriades de points bleus plus ou moins gros sur fond noir traduisent visuellement les différents degrés d’une perception auditive, au sein d’un monde à 360° que l’utilisateur est libre d’explorer d’une simple rotation de la tête[17].

Cette représentation esthétique a été longuement discutée par les concepteurs de l’expérience VR, car le journal intime de John M. Hull pose la vaste question de l’adaptabilité des représentations et du vécu de la cécité à un support cinématographique et audiovisuel. Cette question a déjà été en partie explorée par la littérature secondaire sur la cécité, en particulier par Alexandra Tacke dans son ouvrage Blind Spots. Dans la mesure où il s’agit de déployer, sur un écran porteur d’un film en deux dimensions, des ressources à dominante visuelle pour transcrire une expérience et un monde justement dénués des perceptions acquises par la vue, on conçoit que la cécité constitue un véritable défi pour le cinéma. On pourrait soutenir que ce défi est peut-être même une aporie : selon Alexandra Tacke, la conception d’un film ayant pour sujet la cécité encourt toujours un risque, celui de l’échec à représenter l’invisible par le visible (2016, p. 26). L’expérience de réalité virtuelle Notes On Blindness se heurte à un paradoxe similaire, puisqu’elle repose non seulement sur un son binaural, mais aussi sur le sens de la vue. Pourquoi les concepteurs ont-ils choisi de faire la part belle à une si forte composante visuelle, sur un support qui offrait pourtant la possibilité technique d’un déploiement uniquement auditif de l’univers de John M. Hull, et qui aurait sûrement été plus fidèle à la réalité de l’auteur aveugle ?

Une esthétisation visuelle et sonore du monde de la cécité

Répondre à cette question exige de s’interroger sur le public visé par cette expérience VR, ainsi que de retracer les différentes étapes techniques qui ont conduit au résultat final. Dans l’analyse de Notes On Blindness VR, il est important d’avoir à l’esprit que l’univers présenté au spectateur-utilisateur est le résultat d’une interprétation, d’un geste herméneutique – il s’agit de percer le mystère de la cécité d’un autre, en l’occurrence de l’individu John M. Hull. Or, il résulte de ce geste une esthétisation visuelle et sonore du monde de la cécité, par les concepteurs mêmes de l’expérience. Afin de créer cette œuvre dont John M. Hull et les artistes du numérique se partagent l’auctorialité, le parti-pris majeur des quatre membres de l’équipe de réalisation est d’avoir proposé un travail combiné du son et de l’image.

Ainsi que l’explique Arnaud Colinart, producteur et co-créateur du projet, dans sa présentation de Notes On Blindness VR à la Gaîté Lyrique à Paris en octobre 2016[18], le premier réflexe des concepteurs fut d’élaborer un programme s’appuyant exclusivement sur le son. Un premier essai donnait ainsi à l’expérience l’allure d’un parcours où les enregistrements de John M. Hull étaient synchronisés avec le déplacement physique de l’utilisateur dans une pièce. Arnaud Colinart explique que ce « prototype interactif purement audio » utilisait la « prise de son binaural et la synthèse binaurale [pour] recréer des paysages sonores à 360°[19] », deux technologies récentes qui contribuent à une immersion efficace dans un espace virtuel. En plus du terme de « paysage sonore », il a recours à l’expression d’« univers sonore » pour qualifier ce premier jet, ce qui dénote bien la spécificité du projet : proposer une spatialisation de la cécité uniquement par l’élément numérique du son.

Cette configuration du projet n’allait cependant pas sans poser problème : aux premiers tests des utilisateurs, il s’avéra que l’interface risquait d’être trop peu interactive pour un individu voyant, qui puise les informations sur son environnement avant tout par le canal visuel et qui se heurtait dans ce cas, à l’exception de quelques consignes affichées, à un « écran noir ou fixe ». Ce prototype risquait donc d’entraver l’objectif que se fixaient les concepteurs dans cette expérience VR : « transmettre la parole de John Hull […] au-delà des gens […] touchés par ce handicap[20] » de la cécité, c’est-à-dire s’adresser au public voyant. On peut se demander pourquoi ce public a été privilégié — l’une des limites de cette expérience VR étant en effet de ne pas être accessible aux personnes concernées elles-mêmes par la cécité. On remarque que les concepteurs sont en réalité restés fidèles aux propos de John M. Hull. Dans l’avant-propos à la seconde édition de son ouvrage, l’auteur donne deux motifs pour lesquels il a tenu son journal intime sur cassettes : d’une part pour mieux comprendre le nouvel individu que la cécité le conduisait à devenir, et d’autre part pour « communiquer avec les personnes voyantes[21] » (1997, p. xi). La réalité virtuelle de Notes On Blindness prolonge donc cet effort de John M. Hull et se situe, elle aussi, dans l’optique d’un partage de l’expérience de la cécité. « Pour vraiment développer cet univers, le pénétrer, comprendre tous les enjeux de la pensée de John Hull », selon les mots d’Arnaud Colinart, les concepteurs ont alors fait le choix d’ajouter au programme une composante visuelle.

La VR a puisé en premier lieu son inspiration dans certains des effets visuels à la base du court et du long métrage, ce qui montre l’interaction des médias entre eux et le transfert d’esthétiques visuelles. Le film et l’expérience VR reposent pourtant sur des technologies différentes : d’après Arnaud Colinart, le long métrage est une vidéo tandis que la réalité virtuelle requiert des moteurs de rendus graphiques semblables à ceux d’un jeu vidéo. Mais dans ces deux médias, représenter la cécité a une influence similaire sur le travail de la texture de l’image. Les différents expédients mobilisés par les réalisateurs du court et du long métrage sont révélateurs de la créativité dont ils ont dû faire preuve : flou de l’image ou au contraire pixelisation, plans fixes, cadrages décalés donnent l’impression et forgent la représentation d’un monde qui se fragmente et ne retrouve que progressivement sa cohérence. Arnaud Colinart explique que les effets visuels d’images qui semblent se décomposer en particules ont tout spécifiquement été source d’inspiration pour l’expérience VR. Le graphisme final, dont on peut avoir un aperçu sur les vidéos des bandes-annonces accessibles sur Internet, résulte à cet égard d’une longue recherche et d’une synthèse de plusieurs propositions visuelles par trois concepteurs artistiques, Arnaud Desjardins, Béatrice Lartigue et Fabien Togman. Le choix s’est finalement porté sur un fond d’écran intégralement noir, où viennent s’afficher par intermittence des points bleus lumineux qui s’assemblent en des formes reconnaissables, personnes, animaux, arbres ou constructions.

Bien qu’on puisse reprocher une certaine densité et luminosité visuelles à ces différentes formes, invisibles et seulement audibles pour John M. Hull, mais rendues visibles pour l’utilisateur, cet artwork a été conçu pour être aussi minimaliste que possible, en évitant de faire appel à une texture trop riche afin de ne pas entrer en contradiction avec le propos global de l’expérience. Surtout, il repose sur un principe qui forme le pilier du projet tout entier : l’apparition « fugace, fantomatique[22] » d’un objet, selon les termes d’Arnaud Colinart, n’a lieu que s’il produit du son. L’animation 3D des personnages et des autres apparitions (qu’il s’agisse d’un journal, d’une mare d’eau ou d’un chien) réalisée avec le programme informatique Shader Forge qui permet d’attribuer un comportement aux items grâce à un code est ainsi pleinement liée à leur activité sonore. Dans le deuxième chapitre de la VR, par exemple, les deux grenouilles au bord de la mare ne s’affichent que lors du bref laps de temps de leur coassement ; au moment même où elles redeviennent silencieuses, elles disparaissent de l’écran. Si la recherche d’un traitement visuel adéquat a mobilisé une grande partie de l’attention des développeurs, celui-ci ne prend donc son sens qu’en rapport avec le son. Dans le premier chapitre, l’expérience retranscrit une phrase fondamentale de John M. Hull et qui fournit une justification du choix des concepteurs : « Where there is no activity, there is no sound, and then that part of the world dies[23]. » Dans ce travail exemplaire de combinaison du son et de l’image, c’est le premier qui détermine la seconde, venant soutenir l’idée que dans la situation de cécité, la perception d’un paysage est originellement tributaire d’une perception sonore, ce qui semble ici rendre justice à l’expérience sensorielle de John M. Hull et en proposer une interprétation graphique originale. Arnaud Colinart prend d’ailleurs bien soin de préciser que le code mis en place n’a pas pour vocation de reproduire à la lettre, de manière réaliste, la perception sans vision de Hull, mais qu’il découle bien d’une interprétation de son propos et des lois de sa perception singulière du monde. Cette expérience VR associe donc à un substrat autobiographique la fictionnalité du monde numérique créé par les concepteurs et les graphistes.

L’analyse à laquelle nous venons de nous livrer est riche d’enseignements sur le rapport qu’entretient la cécité avec les arts audiovisuels : défi mais aussi source d’inspiration, elle conduit les réalisateurs de l’industrie du film et du numérique à une recherche sur la texture des images, sur la traduction et le rendu à l’écran d’une perception du monde selon des sensorialités autres que la vue. Mais elle invite aussi les développeurs d’audiogaming à explorer les possibilités techniques des outils technologiques et informatiques dont ils disposent pour développer des univers inédits et proposer des expériences originales au grand public.

L’interactivité dans Notes On Blindness VR

Notes On Blindness VR s’avère être à cet égard une prothèse technologique savamment travaillée, qui permet de dérouler une narration où la vision est mise au service de la compréhension de la cécité dans un programme interactif. Il nous faut en effet nous intéresser à cette dimension d’interactivité, qui, d’après la définition que nous avons citée plus haut, est l’une des caractéristiques de la réalité virtuelle. Pour saisir pleinement la spécificité de ce programme et comprendre en quoi il propose une prothèse narrative d’un nouveau type, il est utile de le confronter à une autre création numérique récente, assez rare pour mériter d’être prise en compte ici, car elle intègre aussi la cécité dans sa conception : le jeu vidéo A Blind Legend.

Si chacun de ces programmes fait la part belle à la cécité, ils la traitent cependant de manière très différente. A Blind Legend a été développé par une équipe elle aussi française et devrait être prochainement adapté à la réalité virtuelle — il est pour l’instant disponible sur téléphone portable et ordinateur. Il permet d’incarner le personnage d’un chevalier aveugle, guidé dans ses combats par la seule voix de sa fille Louise. Dans ce jeu vidéo qui a la particularité d’être dénué de graphisme visuel, il n’est possible de progresser qu’en se fiant à son oreille. Pour proposer une aventure uniquement sonore dans un environnement fictif, A Blind Legend repose, tout comme Notes On Blindness VR, sur la technologie du son binaural, qui confère une grande qualité au résultat. Soutenu par Radio France, l’Association Valentin Haüy et la Fédération des Aveugles de France, A Blind Legend se veut avant tout accessible au public non voyant et souhaite lui offrir une expérience proche des jeux vidéo de combat ou d’aventure dans un univers heroic fantasy, ainsi que le décrivent ses concepteurs[24]. Par là même, il diffuse sur le marché une expérience de jeu novatrice et inattendue pour le joueur voyant, grâce à un univers uniquement sonore, très déstabilisant au début, et qui renouvelle les codes du jeu vidéo. On peut soutenir à ce stade que la cécité, dans A Blind Legend, est bien une prothèse narrative au sens où l’entendent David T. Mitchell et Sharon L. Snyder. Il est possible d’appliquer leur définition à cette production non pas littéraire, mais numérique. La cécité est le motif à l’origine du récit, c’est-à-dire de l’aventure heroic fantasy qui se prépare et que l’utilisateur vit tout au long du jeu ; mais elle n’y est pas traitée pour elle-même. Elle constitue certes le point de départ de cette production numérique, sans néanmoins que sa véritable signification soit explorée. Elle est une béquille sur laquelle se fonde une expérience de jeu innovante, mais qui n’a pas pour vocation de faire comprendre les répercussions de l’absence de vision sur la perception du monde[25].

On saisit dès lors mieux la démarche novatrice de Notes On Blindness VR, qui va beaucoup plus loin dans l’exploration du monde de la cécité en s’appuyant sur les mots d’une personne aveugle, qui l’a décrit avec minutie dans son journal intime. Par la forte composante visuelle qui le constitue, le programme renonce certes à se rendre accessible à un public aveugle. Mais le gain se situe ailleurs : Notes On Blindness VR est une prothèse technologique qui permet une expérimentation active de la cécité et qui place la compréhension et l’appréhension de celle-ci en son centre : elle y est pleinement représentée, voire célébrée pour elle-même[26] — pour reprendre cette fois-ci l’expression de Hannah Thompson (Thompson, 2017, p 6, 11). Le programme se fixe pour objectif de montrer comment Hull, après la perte de la vue, a expérimenté le monde et se l’est réapproprié de manière auditive. Le spectateur est lui-même invité à participer à cette recomposition progressive de l’environnement. Les trois chapitres centraux sont en effet interactifs et proposent d’effectuer des tâches simples pour progresser dans l’expérience. Alors qu’on peut se contenter, dans le premier chapitre, d’explorer du regard l’univers proposé – en l’occurrence un jardin public – au rythme des paroles de John M. Hull, qui explique ses perceptions de l’environnement, le deuxième chapitre demande à l’utilisateur d’être actif. Celui-ci va découvrir le monde, cette fois-ci, à son propre rythme. Une instruction lui est communiquée visuellement : « Press the touchpad to create wind and reveal the scene. Follow the bird[27]! » Un oiseau apparaît à l’écran : chaque partie du décor où il se pose et sur lequel l’utilisateur projette du vent fictif est alors révélée, et différents sons peuvent être entendus, couplés à des extraits des enregistrements de Hull. Ceux-ci présentent la cécité comme une manière pleine et entière d’expérimenter le monde, sur le principe d’une suppléance sensorielle : le sens de la vue est remplacé par le sens de l’ouïe. Hull explique en effet que « dans l’appréciation de la météo par une personne aveugle, le vent prend la place du soleil[28] ». Le programme place donc en son centre des remarques sur une expérience sensorielle et cognitive autre que visuelle. Il redonne sa richesse au vécu en situation de cécité, ce qui le distingue bien des préjugés sociaux et littéraires qui ont tendance à considérer la cécité comme la privation d’un sens primordial, sans lequel le monde ne pourrait être saisi pleinement.

Notes On Blindness VR ne peut donc pas être pensé sans l’interactivité et sans le rôle que revêt l’utilisateur, à la fois spectateur et joueur. Les Game Studies peuvent être ici d’un grand secours pour comprendre sous quel angle analyser cette expérience de réalité virtuelle, qui présente des similitudes avec un jeu vidéo. La distinction conceptuelle en vigueur dans les Game Studies entre les deux termes anglais de game et de play, tous deux traduisibles indistinctement en français par « jeu », est ici particulièrement opérante. Mathieu Triclot, chercheur français auteur d’une importante étude philosophique sur les jeux vidéo, rappelle comment ces deux termes fondent deux approches méthodologiques différentes. Tandis que l’approche ludologique, défendue en particulier par Jesper Juul et qui postule la définition du jeu comme game, propose d’étudier le système sur lequel repose le programme, l’approche narratologique se concentre sur l’expérience de jeu par l’utilisateur, penchant en faveur d’une caractérisation du jeu vidéo comme play. Il semble que nous ayons, jusqu’à présent, adopté une démarche ludologique : nous avons analysé comment Notes On Blindness VR crée un système de représentation et de perception d’un monde fictionnel cohérent, régi par une loi spécifique, selon laquelle les objets n’apparaissent que s’ils produisent du son. Mais à ce stade, on risque de voir la cécité uniquement comme esthétique qui informe une production numérique. Notes On Blindness VR ne saurait pourtant se réduire à ce seul prisme d’analyse systémique, et il est nécessaire de l’envisager dans une perspective narratologique : le programme présente une dimension expérimentale essentielle, dans la mesure où il tente de communiquer et de faire vivre une expérience sensorielle singulière à l’utilisateur, qu’il est fondamental de prendre en compte. Les techniques de gameplay mises en œuvre, favorisant l’interaction, ne visent donc pas seulement à exploiter la cécité comme un matériau utile pour la configuration d’un jeu ou d’une expérience originale. Elles permettent avant tout d’ouvrir un espace de contemplation interactif.

Le but du projet, sur lequel insiste encore Arnaud Colinart à l’issue de sa présentation, est ainsi de rapprocher la communauté des voyants et des non-voyants, en permettant à ceux qui possèdent le sens de la vue d’appréhender la cécité dans ses dimensions psychologique et quotidienne : comment perçoit-on un paysage lorsqu’on est aveugle ? Quels repères est-il possible de trouver dans un paysage envahi par la neige ? Le programme vise ainsi à montrer – comme l’écrit Hull dans la préface de la deuxième édition de son livre – que la cécité est la clé de la création d’un monde nouveau dans laquelle le sujet se trouve activement engagé et où il doit apprendre à établir de nouveaux repères : « blindness is a world-creating condition » (1997, p. xiii). La VR combine les conditions idéales de création et de recréation d’un univers : de même que la relation de Hull à son environnement (spatial, familial, etc.) est reconfigurée par la cécité, la relation entre la voix de Hull et le corps de l’utilisateur est configurée par l’interface d’un outil technologique, qui parvient à provoquer une interpénétration des corps et des regards sur la cécité. Le programme ne vise pas proprement dit à jouer avec la cécité ; il fait en réalité « jouer » les corps entre eux. Ceci revient à s’interroger sur la manière dont on les met en relation, dont on crée entre eux un rapport d’empathie, voire d’identification. L’expérience VR, par le matériel spécifique qu’elle requiert, est précisément le lieu exemplaire d’un ajustement du jeu entre les corps – d’une réduction de la distance entre eux par le biais d’un système informatique et d’un casque, semblable à un masque, à d’épaisses lunettes sous forme de boîte noire que l’utilisateur revêt et qui lui permettent d’endosser, au plus près, le regard d’un autre. Quelles sont, dès lors, les caractéristiques de cet espace de partage entre voyants et non-voyants, établi sur les mots de John M. Hull ?

Partager un regard aveugle : ressorts de l’expérimentation de la cécité

Pour aller plus loin et comprendre comment Notes On Blindness VR ouvre cet espace inédit de communication et d’identification corporelle, il est nécessaire de rappeler les enjeux de la réalité virtuelle depuis ses débuts jusqu’à celle que nous connaissons de nos jours. Depuis son émergence et à travers les différentes étapes de son développement, elle interroge le rapport du corps humain à la technologie. Jack A. Nelson esquisse les contours d’une histoire de la réalité virtuelle et de la diversité de ses applications pratiques (1994, p. 199-201). Elle fut présentée au public pour la première fois en 1965 par Ivan Sutherland sous forme d’un dispositif très largement encombrant, et qui permettait de voir des images en 3D. Utilisée ensuite par l’armée américaine pour entraîner ses pilotes dans un simulateur imitant les conditions réelles de vol, elle suscita à partir des années 1990 une importante littérature scientifique, donnant l’espoir, partagé par Jack A. Nelson, d’une application future au domaine médical. Ces différents stades traduisent un degré de proximité croissant de l’être humain avec la réalité virtuelle, qui nécessite une réflexion sur ce « phénomène qui s’insère parfaitement dans notre implication existentielle avec les technologies[29] » (2002, p. 13), comme l’affirme Don Ihde. Ce chercheur américain met au centre de sa réflexion le terme d’embodiment : la réalité virtuelle ouvre un nouvel espace de définition de l’incarnation et de la perception du corps, qui se dématérialise pour s’incarner dans un avatar au sein d’un espace augmenté par les possibilités mêmes qu’offre l’outil technologique.

L’expérience VR Notes On Blindness procède ainsi à une mise en continuité de deux expériences corporelles au sein d’un espace virtuel. Il est cependant tout aussi important de se souvenir que le programme configure avant tout la relation entre un texte (le témoignage audio de Hull) et un environnement technologique. Il place un écran, et même des boutons intégrés sur le côté du casque entre le témoignage littéraire de l’auteur et le corps de l’utilisateur. Notes On Blindness VR opère le transfert d’un texte dans une réalité virtuelle : l’expérience de l’auteur John M. Hull est portée à la connaissance de l’utilisateur grâce à une prothèse technologique et numérique, qui ne donne pas seulement naissance à un récit, mais crée un monde virtuel et fictionnel, autrement dit un « hypermonde[30] » (Ihde, 2002, p. 11). Trois niveaux d’analyse peuvent ici nous aider à saisir les enjeux de la conversion technologique du matériau audio originel en cet « hypermonde » : le programme implique une spatialité, une narration et une temporalité spécifiques pour reconfigurer la textualité et la narrativité de l’expérience existentielle de la cécité faite par Hull et que l’utilisateur, par le biais de la réalité virtuelle, est incité à partager et à s’approprier.

Incarnation, immersion, présence : le partage d’un corps et d’un regard

Au fil de Notes On Blindness VR, l’utilisateur évolue dans le monde de l’aveugle John M. Hull, en faisant l’expérience d’un après-midi passé au parc avec son cortège d’impressions auditives, en vivant la révélation des contours d’un paysage grâce au vent lors d’un orage, jusqu’à expérimenter la révélation de la beauté du monde grâce à la pluie et au chant d’un chœur dans une église. La bande-son qui défile laisse s’exprimer Hull à la première personne sur les impressions que produisent sur lui ces différents lieux. Pour comprendre comment le lecteur est invité à partager les perceptions de Hull, il peut être utile de recourir ici aux notions d’incarnation, d’immersion et de présence couramment utilisées dans l’étude de la réalité virtuelle.

La VR, en plaçant un autre corps dans les « yeux » de John M. Hull, provoque un dédoublement du sujet de l’énonciation. Le pronom « je », ou « I » en anglais, produit originellement par Hull, est amené à être également assumé par l’utilisateur de la VR. Il s’agit là d’un phénomène d’identification couramment provoqué par la littérature. Mais en comparaison de la lecture d’un livre, il est nécessaire de considérer la dimension plus physique induite par l’expérience spatiale et auditive à 360° en espace clos et en temps déterminé. Si le rapport du lecteur au journal intime se pose en termes d’identification, le rapport à l’expérience VR doit être envisagé en termes d’incarnation. C’est d’ailleurs la notion à laquelle Arnaud Colinart fait appel pour différencier la VR du long métrage : il précise bien que, dans l’expérience VR, l’utilisateur incarne John M. Hull, occupe son point de vue depuis le centre des différentes scènes, pour se laisser surprendre par de nouvelles perceptions sensorielles. Pour configurer le rapport entre le corps de l’utilisateur voyant et celui de l’écrivain aveugle et établir une continuité d’expérience entre eux, Notes On Blindness VR procède donc selon deux logiques – de substitution et de cohabitation – à la fois concurrentes et complémentaires. L’expérience invite d’abord l’utilisateur à substituer son regard, ses propres yeux, à la vision défaillante de John M. Hull. Mais l’utilisateur est aussi sommé d’incarner John M. Hull, et par là même, à laisser le corps de l’aveugle cohabiter, au sens transitif, son corps d’utilisateur voyant.

Deux expériences, de vision et de cécité, se superposent donc tout au long du parcours préparé par les concepteurs. Un souci de réalisme a d’ailleurs guidé l’élaboration des scènes, où l’angle de plongée de la caméra sur l’environnement a été respecté selon que Hull est censé se trouver debout ou assis, prouvant l’importance de la notion de focalisation et de regard au sein de cette expérience. Dans ce programme, la focalisation est, au-delà de son sens narratologique courant tel qu’il a été développé par Gérard Genette, à prendre au sens technique du terme : l’interaction avec le programme est la plus forte dans les moments où il est demandé à l’utilisateur de fixer du regard une partie de l’écran – par exemple, des traces de pas dans la neige – pour se déplacer virtuellement dans l’univers. La capacité du programme à repérer ce temps de fixation d’un objet virtuel par les yeux de l’utilisateur-joueur est notable : le geste physique d’appuyer sur une touche, tel qu’on le pratique d’habitude en jouant à un jeu vidéo, est ainsi remplacé par le geste dématérialisé du regard dirigé sur un objet, qui vient parfaire l’immersion de l’utilisateur dans cet univers.

L’immersion est à cet égard ce qui favorise le développement d’un sentiment de « présence », concept présenté par Arnaud Colinart comme essentiel pour comprendre la manière dont cette expérience VR de la cécité peut toucher l’utilisateur : « la technologie nous met en relation avec un monde parallèle avec lequel on se sent connecté et dans lequel on va interagir[31] », précise-t-il dans sa présentation à la Gaîté Lyrique. Il est primordial de rappeler la complémentarité des deux notions d’immersion et de présence, auxquelles les études sur la réalité virtuelle ont souvent recours, parfois en les confondant[32] : si l’immersion apparaît quantifiable et désigne les procédés et dispositifs techniques et technologiques utilisés dans la construction d’une expérience, la présence est, quant à elle, subjective et psychologique. Elle désigne le sentiment du sujet amené à vivre une émotion lorsqu’il utilise une application. Dans Notes On Blindness VR, ce sont en particulier les caractéristiques, voire les prouesses techniques de la réalité virtuelle, comme la vitesse de rafraîchissement de l’écran, sa haute résolution, ou encore le temps de persistance des images, qui approfondissent la simple expérience audio 360° qui avait d’abord été testée. Deux subjectivités sont ainsi mises en relation. Les particularités techniques énoncées ci-dessus contribuent à un sentiment de présence, d’être-au-monde-virtuel de l’utilisateur, qui passe par un large spectre d’émotions allant de la panique à l’émerveillement, grâce à la sélection d’épisodes cruciaux dans l’acceptation de sa cécité par John M. Hull.

Narration et sélection : le partage d’une subjectivité

Le parcours proposé à l’utilisateur résulte d’une sélection d’épisodes opérée par les concepteurs du programme lors de l’écoute des enregistrements et de la lecture du journal intime de l’auteur. Ce n’est donc pas le « joueur » qui contribue à la construction de la narrativité du programme, mais bien les concepteurs qui assemblent ces extraits, ces fragments en une suite linéaire qui produit finalement un ensemble cohérent[33]. L’« hypermonde » créé dans Notes On Blindness VR reproduit ainsi l’émergence d’une nouvelle subjectivité à laquelle l’utilisateur se trouve pleinement associé.

Le quatrième chapitre « Cognition is Beautiful » occupe à cet égard une place centrale dans le programme, car il raconte une découverte cognitive qui conduit à une nouvelle perception du monde. Il s’inspire des entrées intitulées « Rain » (9 septembre 1983) et « Rainfall and the Blind Body » (21 septembre 1984) du journal intime de Hull où celui-ci décrit comment la perception auditive de la pluie révèle les contours du paysage : « My body and the rain intermingle, and become one audio-tactile, three-dimensional universe, within which and throughout the whole of which lies my awareness » (1990, p. 133). Mais pour faire vivre à l’utilisateur ce moment qui inspire à John M. Hull un fort sentiment de présence à son propre corps et au monde, dont l’espace, la texture et la densité se trouvent reconfigurés par l’impact des gouttes d’eau sur les objets, arbres et plantes environnants, ce chapitre de la réalité virtuelle s’inspire de surcroît de la réinterprétation à laquelle avait procédé avant lui le court métrage. Une phrase de John M. Hull avait attiré l’attention des réalisateurs : « If only rain could fall inside a room, it would help me to understand where things are in that room, to give a sense of being in a room, instead of just sitting on a chair » (1990, p.  33). La virtualité de cette phrase exprimée à la forme désidérative s’est alors trouvée actualisée à l’écran. Le court métrage présente une scène qu’on pourrait qualifier de tarkovskienne, qui transpose cette écoute de la pluie tombant à l’extérieur de la maison en un plan où il se met à pleuvoir à l’intérieur de la maison, et où les contours des instruments de cuisine sont révélés. La réalité virtuelle transforme quant à elle ce moment de contemplation intense, que Hannah Thompson a analysé dans l’un de ses billets de blog, en chapitre interactif au sein de l’expérience. L’utilisateur doit diriger son regard sur les objets qui s’affichent en légère transparence pour les « valider », c’est-à-dire les faire apparaître en gras et les faire persister à l’écran : ainsi, l’univers de la cuisine est recréé petit à petit.

Ce passage a le mérite d’associer de manière créative l’utilisateur-joueur à cette découverte esthétique à la dimension « audio-tactile », sur laquelle insiste Hull dans la citation que nous avons produite ci-dessus. La subjectivité de la personne aveugle est ainsi refondée par une expérience 3D du monde, que l’utilisateur est amené lui aussi à vivre par le biais de la réalité virtuelle. Fondateur de l’expérience du monde en situation de cécité, cet épisode crucial rejoint d’une manière inattendue la dimension de jeu, au-delà même de l’aspect d’interactivité. Il occupe une place centrale dans les ouvrages de John M. Hull et dans les adaptations de son texte : il est abordé deux fois dans l’espace du livre et marque l’esprit du spectateur du film par son esthétique originale. Remarquable dans le journal intime, important dans le film et interactif dans la VR, ce passage revisité entraîne plusieurs relectures par le lecteur-spectateur, et approfondit grâce au glissement d’un média à un autre le « jeu » de la relecture que Barthes définit comme « le retour du différent » (1970, p. 22). Il est souhaitable selon lui de sauver le texte d’un simple acte de consommation grâce au geste d’une relecture, même immédiate, qui « le multiplie dans son divers et son pluriel » (Barthes, 1970, p. 23). Cet épisode de la pluie semble condenser à lui seul toute la médiagénie, voire la transmédiagénie (Marion, 1997, p. 86) du texte de John M. Hull. Revu et relu, fondant une nouvelle perception subjective et émotionnelle du monde, il se joue à plusieurs reprises sur un support toujours différent, à la croisée de plusieurs médias qui contribuent à construire un texte pluriel, un texte dans ses différents avatars — papier, cinématographique, virtuel.

Fragmentation et évolution de l’image : le partage d’une temporalité

Cet épisode de la pluie, sur lequel nous venons de nous attarder, montre de surcroît que l’expérience VR adopte une narration qui obéit à une orientation téléologique : Notes On Blindness VR vise à faire émerger la signification de la cécité de Hull, mais aussi plus largement à faire naître la vérité et la beauté de ce nouveau monde qui l’entoure. La force de Notes On Blindness VR est de combiner les trois types d’immersion reconnus par Bernard Guelton dans l’introduction de son ouvrage (2014, p. 11) : immersion réelle (de John M. Hull dans la cécité), fictionnelle (par le truchement de la réinterprétation de scènes comme celle de la pluie tombant dans la maison) et virtuelle (par le biais de l’expérience VR). Plus expérimentale et existentielle que ludique, Notes On Blindness VR produit un complexe appareil, une prothèse numérique originale qui joue d’une superposition de ces trois types d’immersion, pour permettre au spectateur-utilisateur de vivre lui aussi la temporalité spécifique du réapprentissage du monde qu’implique la cécité acquise.

La cécité apparaît en effet, dans le récit de Hull, comme une immersion en situation réelle ; elle provoque une fragmentation de la réalité, qu’il s’agit de reconstruire selon une nouvelle conscience. Dans la préface de la seconde édition de son ouvrage, après avoir décrit en quelques lignes les nouvelles expériences, réflexions et sensations auxquelles l’a amené sa cécité, Hull conclut : « […] I have built up bit by bit the world of blindness » (1997, p. xiii). L’expérience de réalité virtuelle reproduit ce mouvement d’immersion pour l’utilisateur : elle lui fait vivre ce parcours temporel spécifique, allant de la fragmentation du monde à la découverte de son unité. Au niveau macro-structurel, les six chapitres qui constituent l’expérience apparaissent comme autant d’extraits du texte énoncé par John M. Hull devant son magnétophone puis remanié dans son journal intime ; cette scansion en chapitres vient redoubler la fragmentarité du texte originel que l’auteur mentionne déjà dans cette même préface : « A new consciousness was born. I can only describe that consciousness and the way to it through the presentation of a series of fragments » (1997, p. xiii). L’expérience VR respecte ce principe d’écriture et se base sur la progressivité de l’acceptation par John M. Hull de sa cécité, bien visible dans le journal intime. Tout au long des six chapitres, les concepteurs dépeignent le sentiment croissant qu’a Hull d’appartenir à un nouveau monde et d’être capable de l’habiter. L’utilisateur est amené à éprouver ce même sentiment. Le passage d’une expérience de la panique, au chapitre trois, où le sentiment de l’espace est très oppressant, à celle du plaisir d’écouter – et, pour l’utilisateur, de voir également – le chant d’un chœur à l’église atteste cette compréhension de plus en plus approfondie de ce que le monde auditif renferme lui aussi de beauté contemplative.

Bien plus, la progressivité de cette prise de conscience est reconstruite de manière visuelle par le recours à différentes textures de l’image. Le regard aveugle se métamorphose. Le graphisme des points bleus lumineux, s’il est à la base de l’expérience, n’est en effet pas la seule esthétique à laquelle les concepteurs ont eu recours. L’épisode de la panique se clôt par un envahissement de l’écran par des nuages blancs tremblotant devant les yeux de l’utilisateur — et qui traduisent efficacement ce sentiment de suffocation et d’enfermement dans un espace hermétique et impénétrable. Plus loin, chacune des personnes de la chorale, au chant qu’elle produit, revêt une couleur différente, jaune, bleue, verte, légèrement scintillante. L’épilogue, sixième et dernier chapitre où John M. Hull tire le bilan de ses récentes observations qui redonnent une nouvelle forme à sa vie, revêt lui aussi une nouvelle esthétique. Après l’expérience séraphique de la musique, l’utilisateur se trouve plongé dans une immensité laiteuse de couleur blanche qui révèle une autre texture du regard aveugle porté sur le monde, regard qui se trouve modulé au cours du temps. Différentes textures se complètent donc pour donner une image progressivement fiable et familière, et enfin épurée, éthérée du monde[34].

Pour traduire la temporalité spécifique qu’implique cette découverte progressive du nouveau monde de la cécité, les concepteurs ont enfin employé une autre technique : la durée de l’expérience peut varier pour chaque utilisateur en fonction de son degré d’implication dans le programme et d’attention portée à l’environnement virtuel qui s’offre à lui. Comme l’explique Arnaud Colinart, les concepteurs ont opté pour un « Rubber-band storytelling[35] », c’est-à-dire une « mise en récit élastique », où la durée de l’expérience est compressible ou extensible. Le programme, capable de pister le comportement d’un observateur qui examine attentivement ce nouvel univers, l’immergera plus longtemps dans l’expérience — et inversement. Cette temporalité laisse ainsi le temps au spectateur-utilisateur de se construire, lui aussi, une nouvelle conscience.

Conclusion : un nouvel espace de contemplation

Notre réflexion nous a amené à constater qu’entre défi et ressource, la cécité fait émerger de multiples questionnements sur la (re)création d’un monde et l’élaboration technologique d’un univers. Nous avons recouru à la notion de « narrative prosthesis », utilisée par David T. Mitchell et Sharon L. Snyder pour étudier la littérature américaine intégrant en son sein le handicap, afin d’analyser l’expérience de réalité virtuelle Notes On Blindness. Cette démarche nous a permis de constater que la réalité virtuelle est une ressource radicalement neuve pour représenter et penser la cécité. Notes On Blindness VR constitue à cet égard un nouveau type de prothèse, non pas narrative, mais numérique et interactive, qui immerge le corps même du spectateur dans un univers à la fois référentiel (puisqu’il est inspiré de l’expérience réelle de John M. Hull) et fictionnel (puisqu’il est configuré par des artistes du numérique). L’appréhension et la compréhension de ce qu’est la cécité sont au cœur même de ce programme. La voix de John M. Hull apparaît comme un garant de l’authenticité de cette expérience de la cécité, destinée à un public voyant, et dont la composante visuelle a paru indispensable aux concepteurs.

Notes On Blindness VR orchestre une relation et un partage des expériences. Il serait plus juste de désigner le public voyant par public « non aveugle » (« non-blind »), terme qu’utilise Hannah Thompson (2017, p. 11) pour étudier le traitement de la cécité dans la littérature fictionnelle française. Le public « non aveugle » de cette expérience VR a en effet quelque chose à apprendre grâce à la cécité, qui reconfigure la manière de percevoir le monde. Notes On Blindness VR fait finalement partie de ces productions artistiques où la cécité est célébrée pour elle-même. Elle fournit un exemple de la manière dont la cécité, qu’on aurait tendance à penser en termes de réduction de l’espace sensoriel, peut en réalité provoquer une intensification de l’expérience du monde, qu’elle conduit à percevoir dans une polysensorialité.

Cette expérience de réalité virtuelle dépasse ainsi le postulat assumé par David T. Mitchell et Sharon L. Snyder dans leur ouvrage Narrative Prosthesis : la littérature « nous fournit un espace unique pour contempler la complexité des différences physiques et cognitives, absente de presque tout autre espace discursif[36] » (2000, p. 166). C’est pourtant bien ce que réalise Notes On Blindness VR, nourri par la littérature certes – c’est-à-dire par le journal intime de John M. Hull –, mais la dépassant tout autant. Ce programme déploie un espace inédit pour représenter, penser et contempler – visuellement et auditivement – la cécité. On ne pourrait que souhaiter que d’autres autobiographies d’auteurs aveugles soient adaptées à l’aide de ce nouveau média : la réalité virtuelle produit un objet protéiforme et multiauctorial intéressant à penser par les Disability Studies, en complémentarité des analyses déjà engagées par les Game Studies et les études sur le rapport du corps à la technologie.

Références


  1. Les expressions « narrative of overcoming » et « story of "triumph" » désignent un type de récit autobiographique centré sur la capacité de l’individu à surmonter son handicap et à en triompher.

  2. À l’image de la photogénie, la médiagénie désigne le degré auquel un récit se prête à l’adaptation et à la transposition dans un type de média particulier. On pourrait même qualifier le journal de John M. Hull de « transmédiagénique » puisqu’il circule entre plusieurs médias (le cinéma et la réalité virtuelle).

  3. Hormis celle de Helen Keller, peu d’autobiographies de personnes aveugles ont fait l’objet d’une adaptation cinématographique — et encore moins numérique. Un rare exemple contemporain pourrait être Unter Blinden. Das extreme Leben des Andy Holzer (2014), documentaire autrichien adapté de l’autobiographie Balanceakt. Blind auf die Gipfel der Welt (2010) de l’alpiniste aveugle Andy Holzer.

  4. Ce projet comporte également un troisième volet, Radio Hull, qui s’appuie sur les enregistrements audio de la fille de John M. Hull et ne retiendra donc pas notre attention dans cet article.

  5. Pour éviter de confondre les volets de Notes On Blindness, nous désignerons l’expérience de réalité virtuelle par Notes On Blindness VR ou expérience VR (VR étant l’abréviation de Virtual Reality), conformément à la terminologie adoptée par la page Internet qui présente le projet en français : http://notesonblindness.arte.tv/fr/vr.

  6. Ces six chapitres s’intitulent « How does it feel to be blind », « Feeling the wind », « On panic », « Cognition is beautiful », « The choir » et « Epilogue ».

  7. Cette expérience VR a d’ailleurs été récompensée par plusieurs prix, que mentionne le site Internet consacré au projet : le Storyscape Award au Festival de Tribeca 2016, l’Alternate Realities VR Award au Sheffield Doc Fest 2016, sans compter son élection au titre de « meilleure œuvre expérimentale » à l’occasion du Kaléïdoscope World Tour VR Festival 2016.

  8. En anglais : « the literary and filmic archives ».

  9. Voir bibliographie.

  10. Voir le deuxième chapitre de Narrative Prosthesis (Mitchell et Snyder, 2000, p. 49) dans lequel est développée cette idée : « Our phrase narrative prosthesis is meant to indicate that disability has been used throughout history as a crutch upon which literary narratives lean for their representational power, disruptive potentiality, and analytical insight ».

  11. Les bandes originales ont été conservées par la famille de l’auteur, décédé le 28 juillet 2015.

  12. On pourrait traduire ainsi les sous-titres des deux ouvrages autobiographiques de John M. Hull cités dans la bibliographie en fin d’article.

  13. Le dossier de presse de Notes On Blindness VR édité et mis en ligne par ARTE précise par ailleurs que les réalisateurs se sont appuyés sur des extraits d’interviews menées avec John M. Hull et sa femme Marilyn, juste avant le décès de l’auteur.

  14. Celle-ci est également disponible en français (avec la voix de Lambert Wilson) et en allemand. Puisque ces versions font intervenir un nouvel intermédiaire, du fait de la traduction du texte original en une autre langue, on gagnera à faire cette expérience VR en anglais.

  15. Ce court métrage est accessible en ligne sur le site du New York Times. Hannah Thompson y a consacré un commentaire sur son blog Blind Spot, dans lequel elle s’attache, par l’écriture de courts billets, à dégager entre autres les enjeux des productions artistiques récentes sur la cécité. http://hannah-thompson.blogspot.fr/search/label/John%20Hull (consulté le 8 août 2018).

  16. « an interactive, immersive experience generated by a computer ».

  17. Pour plus de précisions sur la forme et le contenu de ce programme, on pourra consulter, sur le site de l’association Retour d’Image, le compte-rendu de Diane Maroger, ayant fait l’expérience de cette réalité virtuelle, tout comme l’auteur de cet article, lors de la soirée d’avant-première de Notes On Blindness au cinéma du Panthéon le 13 septembre 2016. http://retourdimage.eu/un-projet-transmedia-autour-de-la-cecite/ (consulté le 8 août 2018).

  18. Le public français intéressé par l’univers numérique a eu l’occasion d’y visionner le long métrage et de tester l’expérience de réalité virtuelle. La présentation d’Arnaud Colinart est consultable en ligne à l’adresse URL suivante : https://www.youtube.com/watch?v=im3CpA14jEQ (consulté le 8 août 2018).

  19. Voir à 10 min 5 s dans la présentation d’Arnaud Colinart accessible sur Internet.

  20. Voir à 11 min 35 s dans la même vidéo.

  21. « I kept the diary partly in order to monitor my own reactions to blindness, […] and partly in an attempt to communicate with sighted people ».

  22. Voir à 13 min 15 s dans la présentation d’Arnaud Colinart.

  23. On pourra retrouver cette phrase à 6 min 14 s dans l’expérience faite en anglais par un internaute et partiellement disponible à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=DTAbCasonzo

  24. Voir la présentation de A Blind Legend par Nordin Gashy et Mathieu Beauval à la Gaîté Lyrique en octobre 2016 (https://www.youtube.com/watch?v=S3V6U5n5STY, consulté le 8 août 2018).

  25. Une autre production numérique, utilisant la cécité comme ressort narratif et à laquelle on pourrait aussi appliquer cette interprétation, s’apprête à voir le jour au troisième trimestre de l’année 2018 : Blind, conçu par une équipe italienne, est un thriller en réalité virtuelle dont le personnage principal féminin est aveugle. Voir sa présentation sur le site Internet http://fellowtraveller.games/games/blind/.

  26. Voir les expressions « represent blindness for its own sake » ; « [by] celebrating blindness for its own sake. » C’est cette modalité de représentation et de célébration de la cécité que Hannah Thompson se propose d’étudier dans les récits de fiction français, ainsi qu’elle l’explique dans l’introduction de son ouvrage.

  27. Voir à 7 min 25 s dans la vidéo utilisateur consultable sur https://www.youtube.com/watch?v=DTAbCasonzo.

  28. Voir à 7 min 48 s dans la même vidéo : « In the blind person’s appreciation of weather, wind takes the place of sun ».

  29. « VR is a phenomenon that fits neatly into our existential involvement with technologies ».

  30. Le terme « hyperworld » est utilisé par Don Ihde pour qualifier la nouvelle réalité produite par la VR.

  31. Voir à 25 min 40 s dans la présentation d’Arnaud Colinart.

  32. À la page 15 de son introduction à l’ouvrage Les Figures de l’immersion, Bernard Guelton prend les devants d’une telle confusion en posant les définitions sur lesquelles nous nous appuyons ici : « […] on distingue la description objective de l’environnement physique des dispositifs d’immersion (“immersion”) de celle de l’environnement mental, de la motivation et de l’investissement psychologique des individus concernés (“présence”) ».

  33. La VR se distingue sur ce point d’un jeu vidéo où le joueur est susceptible, par ses choix et actions, de configurer lui-même en partie les différentes possibilités de récit, et où les combinaisons peuvent donc s’avérer inattendues selon l’usager. Voir à ce propos le chapitre 8 de l’ouvrage de Marie-Laure Ryan (242-270).

  34. On notera néanmoins un très bref retour aux points bleus juste avant que ne se termine l’expérience.

  35. Voir à 31 min 15 s dans la présentation d’Arnaud Colinart.

  36. « […] literature provides us with a unique space for contemplating the complexity of physical and cognitive differences that is absent from nearly every other discursive space ».