Formation, utilisation et expérience du transport en commun régulier à Montréal par des personnes ayant des limitations fonctionnelles motrices

Training, Use and Experience of Regular Collective Transport in Montréal by Peoples With Motor Functional Limitations

JF. Filiatrault, doctorant
Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale (CIRRIS), Département de sociologie
Université de Montréal
jean-francois [dot] filiatrault [at] umontreal [dot] ca

N. Boucher, doctorant
Professeur associé, École de travail social et de criminologie
Université Laval

P. Archambault, doctorant
Professeur agrégé, École de physiothérapie et d’ergothérapie
Université McGill

C. Croteau, doctorant
Professeure agrégée, École d’orthophonie et d’audiologie
Université de Montréal

I. Gélinas, doctorant
Professeure agrégée, École de physiothérapie et d’ergothérapie
Université McGill

M. Le Bouëdec, Conseillère corporative
Milieux associatifs, Société de transport de Montréal (STM)

V. Garcia, professionnelle de recherche
Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale (CIRRIS)

Résume

En 2018 et 2019, la Société de transport de Montréal (STM) a élaboré une formation visant à faciliter l’utilisation des transports en commun par des personnes ayant des limitations fonctionnelles motrices. Après deux groupes tests, un groupe focalisé a été réalisé auprès d’experts provenant des milieux communautaires, réadaptation et gouvernemental afin de la bonifier. Au printemps 2019, la formation a été offerte à douze personnes ayant des limitations fonctionnelles motrices. Une équipe interdisciplinaire de chercheurs a réalisé l’évaluation. Avant la formation, les participants ont d’abord été évalués concernant leurs connaissances du réseau de transport ainsi qu’à l’égard de leurs objectifs et capacités de déplacements. Après la formation de sept heures comprenant des activités théoriques et pratiques puis d’un bref entraînement individuel, les personnes devaient documenter douze trajets faits de manière autonome à l’aide d’un carnet de voyage afin de connaître les effets de la formation/entraînement dans leur utilisation du transport régulier. Finalement, après avoir effectué leurs déplacements, leurs points de vue ont été recueillis à l’aide d’entrevues individuelles. Les résultats de la recherche indiquent que la mise en place d’un programme de formation et d’entraînement à l’utilisation des réseaux de bus et de métro accessibles vient augmenter l’utilisation du transport régulier et facilite la participation sociale. Ce projet démontre toute l’importance des exercices pratiques, des mises en situation, de planification des déplacements, de la résolution de problèmes et de la défense de ses droits comme usager du réseau de transport régulier.

Abstract

In 2018 and 2019, Société de transport de Montréal (STM) developed training materials aiming to facilitate use of public transportation by persons with motor functional limitations. After two group tests, a focus group has been realized with experts from community, rehabilitation and governmental areas in order to improve the training material. In spring 2019, the training has been offers to twelve persons with motor functional limitations and an interdisciplinary research team realized the assessment. Prior to the training, participants have first been assessed with regard on their knowledge of transport network as well as their motor abilities and travel objectives. After the seven-hour training including theoretical and practical activities followed by a short individual training, people had to document twelve trips made independently using a travel dairy in order to document the effects of the training / training in their use of regular transport. Finally, after making their travels, their views were gathered through one-on-one interviews. The results of the studies reveal that the development of this training, theoretical and practical, contribute to increased regular public transportation used and facilitate social participation of the participants. This project shows all the importance of practical exercises and scenarios, travel planning, problems solving and defensing regular public transportation user rights.

Mots clés: Transport en commun, handicap, limitations fonctionnelles motrices, formation, entraînement, participation sociale



Keywords: public transportation, disability, motor functional limitations, training, social participation.



Remerciement

les auteurs remercient l’organisme Société inclusive pour le financement du projet de recherche.

Introduction

Les déplacements en contexte urbain des personnes ayant des limitations fonctionnelles, notamment au plan moteur, font l’objet de débats depuis plusieurs années dans la majorité des sociétés contemporaines. Les enjeux relatifs à l’accès à l’environnement bâti ont donné forme à des luttes qui ont contribué au développement d’approches axées sur une conception universelle de l’accessibilité. Cet environnement bâti comprend les infrastructures, les aménagements et les réseaux de transports urbains et interurbains qui ont été l’objet de transformations significatives afin de faciliter leurs usages. Malgré ces transformations, les changements d’usages dans les transports collectifs réguliers se font attendre dans plusieurs villes. Pour cette raison, diverses expériences ont été réalisées afin de changer ces habitudes. Cet article présente les résultats d’une expérience de formation, d’entraînement et d’utilisation des transports réguliers à Montréal de participants ayant des limitations motrices. Les résultats permettent de discuter des obstacles et des éléments facilitant de la formation dans l’utilisation du réseau régulier.

Problématique

Durant l’année 2018-2019, à l’initiative de la Société de transport de Montréal (STM), une recherche partenariale a été mise en place afin d’élaborer et valider une formation visant à favoriser l’utilisation du transport régulier pour les personnes ayant une limitation motrice. Par la suite, une évaluation du fonctionnement de la formation, de son contenu ainsi que de ses impacts a été faite. Cet article se centre sur ce dernier élément ainsi que sur les obstacles et facilitateurs rencontrés durant l’accès au réseau de transport une fois la formation terminée.

Au Québec, depuis 1993, le gouvernement provincial encadre (et finance) l’utilisation du transport adapté (Québec, 1993) qui vient assurer que les personnes ayant des limitations fonctionnelles peuvent bénéficier d’un service de transport adapté [1]. Ce dernier, bien qu’essentiel, présente certaines limites: notamment dans une logique d’inclusion sociale vu qu’il constitue un système parallèle à celui des transports collectifs réguliers. La STM a aussi connu au cours des dernières années une augmentation importante de sa clientèle utilisant le transport adapté, atteignant plus de 34 600 clients en 2019 [2]. Par ailleurs, diverses luttes sociales (p. ex., Parent et Veilleux, 2016) de même que l’évolution des mentalités ont mené à des mesures législatives visant la mise en accessibilité de l’environnement bâti et des transports collectifs depuis les années 2000. Dans la foulée, la STM a engagé d’importantes ressources afin de rendre son réseau plus accessible [3]. Ainsi, certaines stations du réseau de métro, qui a été construit en majorité durant les années ‘60, ont été l’objet de travaux majeurs de mise en accessibilité depuis 2007 tandis que depuis 2008 les nouveaux autobus commandés par la société de transport pour renouveler sa flotte sont plus facilement accessibles (remplacement des rampes arrière par des rampes avant puis augmentation de l’espace réservé aux personnes handicapées).

Malgré ces mesures, plusieurs utilisateurs actuels du transport adapté hésitent à utiliser le transport régulier. De plus, la clientèle du transport adapté présentant une déficience motrice ne reçoit pas de formation pour l’utilisation du transport régulier[5]

Revue de littérature

Pour les usagers du transport en commun qui ont des limitations fonctionnelles, voyager à l’aide du réseau régulier de transport en commun signifie bien plus qu’augmenter leurs possibilités de déplacement puisque cela permet de « s’intégrer au reste de la population, de se reconnecter sur le monde, découvrir et sentir la mixité » (Boucher et al., 2019, p. 154). Cependant, l’impact de l’accès à une formation sur l’utilisation du transport en commun a peu été étudié pour les personnes ayant une déficience physique. En effet, la plupart des études portant sur ce type de formation ont plutôt été réalisées auprès d’autres groupes comme les personnes ayant une déficience intellectuelle ou les personnes âgées qui rencontrent des défis différents dans leur utilisation des transports en commun.

D’après Lindsay et al. (2015), seulement 57 % des jeunes ayant une déficience physique sont en mesure d’utiliser de façon autonome les transports en commun. Ce manque d’accès et de connaissances conduirait à l’isolement et à l’exclusion sociale des personnes touchées (Aarhaug et Elvebakk, 2015; Lindsay et Lamptey, 2019; Mechling et O’Brien, 2010; Pfeiffer, Sell et Bevans, 2020; Velho, 2018). Cette perspective est reprise dans une étude montréalaise (Parent 2018) qui souligne que les disparités d’accès au réseau de la STM participent à créer un désavantage spatial pour les personnes handicapées. Parent reprend ainsi la thèse de Kitchin (1998) qui défend l’idée que « disabled people often have to travel circuitous routes and are denied the same spatial choices as ablebodied people. » (p. 348, repris dans Parent, 2018, p. 178). Pour elle, « disabled Montrealers face similar obstacles to the ones identified in the literature, such as a limited number of wheelchair-accessible underground stations, problems accessing buses due to ramp issues, and lack of reserved space (Gaete-Reyes, 2015; Transport for All, 2016) » (179).

Dans ce contexte, les programmes qui visent à former des groupes de personnes qui ont peu accès au transport en commun [6] favorisent leur participation sociale et une meilleure autodétermination (Alaribe, 2014; Lindsay, 2020; Gallup, Lamothe et Gallup, 2015; Pfeiffer, Sell et Bevans, 2020; Price, Marsh et Fisher, 2017; TCRP, 201; Wolf-Branigin et al., 2013). Par conséquent, plusieurs études suggèrent de développer et de mettre en place de tels programmes pour les personnes ayant des déficiences physiques (Lindsay, 2020; Lindsay et Lamptey, 2019; Pfeiffer, Sell et Bevans, 2020; TCRP, 2014). Il ressort aussi que ce type de formation aurait des effets durables (Alaribe, 2014; Gallup, Lamothe et Gallup, 2015; Haveman et al., 2013; Pfeiffer, Sell et Bevans, 2020; Smith et al., 2017), notamment au chapitre de la connaissance des itinéraires et des compétences en matière de transports publics (Alaribe, 2014; Gallup, Lamothe et Gallup, 2015; Haveman et al., 2013; Lindsay et Lamptey, 2019; TCRP, 2014; Mechling et O’Brien, 2010; Price, Marsh et Fisher, 2017; Smith et al., 2017; Simões, Bernardes, Barros et Castelo-Branco, 2018).

La plupart des formations répertoriées dans la littérature sont au moins en partie informatisées, soit par ordinateur (simulations ou vidéos), réalité virtuelle (p. ex. Oculus Rift) ou via un téléphone intelligent (Alaribe, 2014; Bernandes, Barros, Simões et Castelo-Brancon, 2015; Gallup, Lamothe et Gallup, 2015; Lindsay et Lamptey, 2019; Mechling et O’Brien, 2010; Price, Marsh et Fisher, 2017; Smith et al., 2017; Simões, Bernardes, Barros et Castelo-Branco, 2018). Ces formations se centrent généralement sur des enjeux d’orientation à travers le réseau de transport public (Alaribe, 2014; Bernandes, Barros, Simões et Castelo-Brancon, 2015; Cano, Fernández-Manjón et García-Tejedor, 2016; Haveman et al., 2013; Mechling et O’Brien, 2010; Smith et al., 2017; Métrolinx, 2014; Pfeiffer, Sell et Bevans, 2020; Price, Marsh et Fisher, 2017; Simões, Bernardes, Barros et Castelo-Branco, 2018; Wolf-Branigin et al., 2013), mais peuvent aussi aborder les procédures standards pour utiliser le transport en commun [7] (Bernandes, Barros, Simões et Castelo-Brancon, 2015; Cano, Fernández-Manjón et García-Tejedor, 2016; Gallup, Lamothe et Gallup, 2015; Haveman et al., 2013; Métrolinx, 2014; Pfeiffer, Sell et Bevans, 2020; Wolf-Branigin et al., 2013).

Gallup et al. (2015) préconisent que les formations à l’utilisation des transports en commun soient centrées sur les besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles.[8] Il est aussi recommandé que les enseignants et les programmes de formations prennent en considération plusieurs facteurs comme les besoins spécifiques de transport de l’élève et l’accès et la connaissance pratique des appareils électroniques ou informatiques par les étudiants (Gallup, Lamothe et Gallup, 2015; Métrolinx, 2014). Haveman et al., 2013 mentionnent aussi le niveau de littératie de la personne, son comportement et sa motivation, ses aptitudes motrices, visuelles, auditives, cognitives, langagières et communicationnelles ainsi que son expérience et ses connaissances préalables à utiliser le transport en commun. Des auteurs proposent également de tenir compte du niveau de soutien des parents et chauffeurs d’autobus (Gallup, Lamothe et Gallup, 2015; Haveman et al., 2013). De même, l’infrastructure physique du système de transport et des autres obstacles physiques que peut rencontrer la personne, tels le climat et l’aménagement de l’environnement physique, visuel et sonore devraient être considérés (Gallup, Lamothe et Gallup, 2015; Haveman et al., 2013; Aarhaug et Beate, 2015).

Pour ce qui est du volet théorique, une attention devrait être accordée à des techniques de défense des intérêts des personnes avec limitations fonctionnelles dans leur utilisation des transports collectifs et de résolution de problèmes, ainsi qu’à planifier et élaborer des modélisations d’itinéraires (Gallup, Lamothe et Gallup, 2015; Haveman et al., 2013). Cette formation théorique devrait également être suivie d’un volet pratique dans l’environnement, étape essentielle afin d’intégrer les compétences nécessaires aux déplacements en transport en commun.

Ces différentes études comportent cependant des limites, notamment du fait qu’elles ont parfois un caractère exploratoire empêchant d’en généraliser le contenu. De plus, l’absence de comparaison entre les différentes formations rend impossible d’identifier les meilleures pratiques parmi celles proposées. Le contexte hivernal montréalais, qui ne trouve pas d’équivalent dans ces recherches, constitue aussi une limite importante à considérer.

Méthodologie

Afin d’atteindre les objectifs de la recherche partenariale [9], l’équipe a développé un devis mobilisant une méthode de recherche de type qualitative co-occurrente (Creswell & Plano Clark, 2011). La recherche ciblait les utilisateurs du transport adapté de Montréal utilisant une aide à la mobilité afin de pallier une incapacité motrice, mais s’inscrit dans un projet plus large de la société de transport d’offrir des formations à l’ensemble de sa clientèle usant du transport adapté et le désirant.

Étapes de recherche et outils de mesure

Suite à son élaboration, la formation a été présentée à deux reprises à des groupes d’utilisateurs experts (six personnes utilisant des aides à la mobilité motorisée) puis à un groupe focalisé d’experts (sept professionnels de la réadaptation et représentants d’organismes). Pour ce faire, une grille d’entrevue semi-dirigée a été construite [10]. Ces étapes ont permis de valider le contenu ainsi que la forme de la formation de même qu’à aborder ses perspectives et limites. Par la suite, deux groupes de participants ont été formés pour tester la formation et l’entraînement.

Avant la formation, un chercheur a contacté l’ensemble des participants afin d’évaluer leur connaissance du réseau de transport en commun. Suite aux formations, il a été demandé aux participants de remplir un questionnaire de satisfaction concernant la formation, son déroulement, animation et contenu. De plus, les participants devaient documenter l’ensemble de leurs pratiques à l’aide d’un carnet de voyage pendant une période de six semaines suite à quoi une entrevue individuelle semi-structurée était faite. Les entrevues ont ensuite été transcrites en verbatim puis soumises à une analyse de contenu.

En ce qui a trait aux carnets de voyage, certains participants ont souligné avoir éprouvé de la difficulté à utiliser cet outil, que ce soit à cause de son format ou d’une difficulté à prendre en note puis se souvenir des informations liées à leurs trajets. Dans ces cas, l’entrevue individuelle a permis d’aller chercher les principales informations manquantes.

Recrutement des participants

Les participants à la formation ont été recrutés via diverses organisations (communautaire, réseau de la santé et service du transport adapté). Les critères pour participer à la formation étaient d’être utilisateur d’une aide à la mobilité ainsi qu’avoir besoin et être motivé à utiliser le transport en commun. Tous ont consenti à participer à l’étude, telle qu’approuvée par le Comité d’éthique de la recherche du Centre de recherche interdisciplinaire en réadaptation du Montréal métropolitain (CRIR).

En tout douze (12) participants, répartis en deux groupes, ont été sélectionnés à l’aide d’un outil d’évaluation maison développé par la société de transport. Cette étape a permis, comme le recommandent plusieurs auteurs, d’évaluer les besoins et contraintes des participants et de s’assurer qu’ils s’arriment aux objectifs du projet. Par la suite, les participants retenus ont été contactés par l’équipe de recherche et ont passé un questionnaire téléphonique portant sur leurs connaissances du réseau de transport en commun régulier de la STM. Les formations données aux deux groupes (A et B) étaient identiques, à l’exception d’une pratique de groupe sur l’utilisation du réseau de métro que le premier groupe (A) n’a pas eu, les participants ayant été répartis en deux groupes selon leur intérêt à utiliser le métro ou non ainsi que leurs disponibilités et préférences. L’organisation des formations a aussi pris en compte certaines contraintes des participants, tels les horaires de services à domicile et de services médicaux.

Le groupe A était composé de deux hommes et quatre femmes, une personne utilisant un fauteuil manuel et cinq un fauteuil motorisé. De ces cinq personnes, une utilise aussi des béquilles, une autre un fauteuil manuel et une autre une marchette/déambulateur. Le groupe B était pour sa part composé d’un homme et cinq femmes. De ce nombre, trois personnes utilisaient un fauteuil motorisé, une, un quadriporteur, une utilisait une canne (mais utilise d’autres aides à la mobilité) et une n’avait pas d’aide à la mobilité, mais utilisait couramment un fauteuil motorisé ainsi qu’une canne de support.

Les variations de type d’aide utilisée s’expliquent notamment par des besoins qui fluctuent dans le temps, selon la condition physique des participants, le type de déplacement effectué ou les contraintes imposées par leur environnement. Le profil des participants était aussi diversifié relativement à la réalisation des habitudes de vie ainsi que des environnements fréquentés sur le territoire desservi par la STM; certains habitant dans les quartiers centraux de Montréal, parfois près d’une station de métro accessible, d’autres habitant dans des quartiers périphériques moins desservis par les transports en commun. La moitié des participants avaient aussi déjà été utilisateurs du réseau régulier de la STM avant de développer une limitation fonctionnelle motrice.

Format de la formation

En partant de formations similaires qui ont été développées par d’autres sociétés de transport, comme Métrolinx à Toronto, trois modules, qui se veulent indépendants les uns des autres, ont été développés : un module portant sur le réseau de transport, un deuxième module centré sur les autobus et un troisième qui cible le réseau de métro souterrain. Ce format a été retenu afin de rendre facile l’adaptation de la formation aux besoins des personnes. Le contenu du premier module couvre les enjeux nécessaires pour comprendre comment fonctionne le réseau régulier, comme la planification des déplacements, les modalités pour acheter un titre de transport et les services de la STM. Le deuxième module traite en profondeur du réseau de bus et comprend une pratique dans un autobus vide fourni par la STM afin de pratiquer notamment l’embarquement et débarquement de l’autobus de même que la manipulation d’une aide à la mobilité roulante une fois à l’intérieur. Le dernier module, qui vise le réseau de métro, comprend pour sa part une pratique dans le métro en dehors des heures de pointe. Dans l’ensemble des modules, des moments pour que les participants échangent entre eux, s’approprient la matière et interrogent la formatrice étaient prévus. Suite à la formation de groupe, un entraînement individuel est fait afin de pratiquer un déplacement planifié par le participant.

Cadre d’analyse

Le modèle du MDH-PPH (Fougeyrollas, 2010), qui est largement connu et mobilisé au Québec, a été retenu comme cadre d’analyse et a permis dans un premier temps de classer et interpréter les témoignages recueillis. Ce modèle conceptuel traite des situations de handicap qui se produisent lorsque des facteurs personnels et environnementaux viennent restreindre les habitudes de vies d’une personne diminuant ainsi sa participation sociale. Il postule ainsi : « […] le caractère situationnel du handicap comme résultat de l’interaction-personne/environnement et se traduisant par une restriction de la qualité de réalisation des habitudes de vie de la personne ayant des incapacités. » (Fougeyrollas 2002, p. 10)

Présentation des résultats, retour sur l’expérience des participants

Durant les entrevues, les participants ont abordé de nombreux éléments touchant les facteurs personnels et leurs habitudes de vie, mais c’est principalement sur les facteurs environnementaux (sociaux et physiques) qu’ils se sont exprimés. Les participants ont aussi mis de l’avant leur rapport au réseau de la STM (ex, quelles stratégies étaient mises de l’avant) de même que l’impact que la formation ainsi que l’accès au réseau régulier de la STM ont eu.

Facteurs sociaux

En ce qui concerne le rapport aux autres, les attitudes et comportements des employés de la STM ainsi que des autres utilisateurs du réseau de transport sont revenus à plusieurs reprises. Pour les deux aspects, les participants ont présenté des portraits différents, certains soulignant tant des interactions négatives que positives durant les entrevues. Par exemple, les demandes faites au chauffeur (ex, annoncer un arrêt spécifique) n’ont pas fonctionné pour la moitié des participants.

Certaines personnes ont plutôt souligné avoir reçu plus d’aide qu’attendu par certains chauffeurs : « dès qu’elle m’a vu bon, elle a baissé l’autobus pour que ce soit plus facile, pour que l’accès soit facile et pis ensuite elle a dit : "Bon, c’est une personne handicapée, faut un siège qui se libère, un siège prioritaire", […] j’ai dit : "Wow". C’est peut-être un rappel, mais elle a fait ça très correctement, avec un ton neutre. » (P8)

En ce qui concerne les interactions avec les autres passagers, plusieurs participants ont souligné qu’il pouvait être difficile d’indiquer aux autres utilisateurs ce qu’ils devaient faire : « y’en a un que, qu’il a fallu qu’un passager lui dise de s’enlever parce qu’il s’enlevait pas. […] même quand j’suis sorti du bus, y’avait du monde dans l’allée, ils se tassaient pas. J’ai dit : "Excusez, excusez." Ils se tassaient pas. » (P10)

À l’inverse, un participant a souligné que : « J’ai jamais vraiment eu un problème à propos des autres passagers qu’ils ont été toujours à la place, ils ont toujours tassé leur siège pour moi. » (P2) Dans les deux cas, des participants ont relevé pouvoir éprouver un stress ou une gêne par rapport aux autres utilisateurs. Ainsi sur l’ouverture des rampes : « Le faire ouvrir ou fermer. Alors, ça m’a commencé à me gêner un peu, même si je savais que c’était pas à moi, ou ma faute. C’est quand même quelque chose. » (P2)

Facteurs physiques

Quant aux éléments physiques (environnements bâtis), certaines personnes ont indiqué que les autobus n’étaient pas fonctionnels pour des personnes ayant de grosses aides à la mobilité (ex, quadriporteur), particulièrement dans le contexte où il y a peu de temps pour se positionner et que l’espace disponible pour manœuvrer était réduit par la présence d’autres utilisateurs, même en dehors des heures de pointe. La fiabilité des rampes (tant avant qu’arrière) est pour sa part un souci important qu’ont les personnes à mobilité réduite, une participante expliquant que ce type de problèmes avait contribué à diminuer son enthousiasme pour l’utilisation du transport régulier.

À l’égard des annonces sonores dans les autobus, plusieurs participants ont souligné en entrevue qu’ils ne parvenaient pas à entendre le nom des arrêts, et donc qu’ils ne pouvaient utiliser cet outil pour se repérer. En effet, comme l’emplacement dédié aux personnes utilisant un fauteuil roulant ne permet pas de voir vers l’avant de l’autobus, ni l’annonce visuelle de l’arrêt, ceci augmente l’incertitude ou la désorientation que peuvent ressentir les personnes utilisant une aide à la mobilité roulante. Cette situation peut être renforcée par l’absence de signalétique claire à certains arrêts:

il faudrait qu’il ait quand même un horaire dans tous les [abris-bus] et aussi le sens des directions ouest, nord, sud, est pour nous dire ok, t’es dans la bonne autobus. Parce que les personnes qui ont la paralysie cérébrale, on n’a pas le sens de l’orientation [et] le panneau pour indiquer la prochaine arrêt, je l’entendais pas parce que j’ai un problème d’audition, pis c’était pas assez fort […] J’ai aucun repère visuel à cause que je suis derrière. (P9)

Cette difficulté à s’orienter est aussi accrue par la présence de multiples chantiers de construction forçant le déplacement d’arrêts, déplacement qui n’est pas toujours bien indiqué. Ceci a des impacts sur la confiance des participants : « c’est juste que j’avais comme peur de manquer ma bonne sortie, mon bon arrêt. » (P10) Une autre ajoute que « je souffre beaucoup de stress parce que dans les poteaux il n’y a pas de nord-sud » (P12). Afin de pallier cette situation, certaines personnes ont indiqué utiliser leur téléphone mobile et l’application Transit afin de se repérer dans l’espace. À l’inverse, plusieurs participants ont relevé avoir éprouvé beaucoup de difficultés à naviguer entre les différents outils de planification électronique afin de prévoir leurs déplacements (certains outils permettant de voir les informations d’accessibilité, d’autres étant mieux conçus pour planifier les déplacements).

D’autres obstacles ont aussi été relevés par les participants et s’apparentent à certaines critiques formulées par les utilisateurs en général, mais qui ont des impacts spécifiques pour les personnes utilisant une aide à la mobilité. Ainsi l’achalandage constitue pour plusieurs un obstacle majeur à leur utilisation du transport régulier tandis que les horaires de passage (particulièrement de soir) viennent rendre les trajets parfois trop longs pour les personnes ayant une plus grande fatigabilité (surtout lorsque couplé avec un bris de rampe d’accès). En ce qui concerne le métro, les personnes l’ayant utilisé (8) ont unanimement souligné une préférence pour ce mode de transport jugé plus facile à utiliser, notamment en cas d’intempéries. « Le meilleur déplacement, c’est le métro. […] En métro, au moins tu peux te rendre comme ça, en claquant des doigts. » (P11)

Stratégies et préférences individuelles

Dans le contexte où plusieurs facteurs (habitudes de vie, facteurs personnels, sociaux ou physiques, etc.) interagissent, les participants ont mis en place différentes stratégies et critères pour l’utilisation du transport régulier. En premier lieu, tous ont affirmé que leur utilisation du transport régulier était conditionnelle à certaines conditions météorologiques plus ou moins optimales, les conditions hivernales étant globalement exclues, tout comme les précipitations de pluie, pour une majorité des répondants « parce que comme la tolérance au froid, j’ai de la misère à chauffer déjà en temps normal qu’il fait beau. Quand il fait froid, j’suis toute crispée pis encore plus de misère, plus de spasmes fait que c’est plus l’été. » (P6)

Compte tenu du fait qu’il est difficile de prévoir à l’avance les conditions météorologiques d’une journée spécifique, certaines personnes ont développé l’habitude de réserver le transport adapté, mais de l’annuler le jour même du déplacement si les conditions étaient bonnes : « Donc, c’est ça c’est la température qui fait, que je décide, souvent je me mets en transport adapté pis je l’annule le matin quand il fait beau » (P1). À l’inverse, une personne a précisé que « […] on peut pas savoir la veille si ça va être correct pour rouler. Faudrait que je puisse réserver le transport la journée même, mais vu que c’est pas le cas, j’suis obligée de prendre le transport adapté » (P3).

Les participants évitent aussi de prendre le transport régulier lors des heures de pointe (achalandage trop élevé pour faire les manœuvres à l’intérieur des autobus et augmentation des chances que la place dédiée aux personnes utilisant une aide à la mobilité soit déjà occupée) ou de soir, lorsque les passages sont moins fréquents (enjeux liés au sentiment de sécurité, à l’efficience des déplacements ainsi qu’à la fatigabilité des personnes).

À ces éléments venant influencer le choix de prendre le transport adapté ou régulier, s’ajoutent la complexité et la longueur des trajets tant pour des raisons d’efficience et de fatigabilité que pour diminuer la possibilité d’être confronté à un bris d’équipement (généralement les rampes d’accès) : « si je suis fatigué, c’est sûr que je le prendrai pas, mais selon la température, si il pleut, je vais peut-être pas le prendre, mais c’est selon l’arrêt, si y’a une petite cabine. »(P4) Ou encore : « J’suis pas encore habile, mais en même temps, tant qu’à faire des correspondances. J’suis peut-être aussi ben de prendre le transport adapté. » (P10)

Le fait de ne pas avoir besoin de réserver le transport à l’avance ni d’avoir à attendre à cause d’éventuels retards du transport adapté est aussi considéré comme un avantage significatif. À l’inverse, une participante a souligné que la complexité de ses trajets quotidiens rendait le transport régulier peu adapté à ses besoins, tandis qu’une autre participante a dit : « Je préfère le transport adapté par contre parce que c’est du service de porte-à-porte. Moi, je préfère ça. » (P5) Une participante a aussi souligné privilégier le transport adapté lorsqu’elle était attendue à sa destination parce que le service fourni présentement par le réseau régulier n’est pas suffisamment fiable pour assurer qu’elle soit ponctuelle.

Appréciation de la formation

Dans ce contexte, la formation étudiée vise à venir outiller les personnes utilisant une aide à la mobilité afin qu’elles puissent utiliser davantage le réseau régulier. À ce titre, la totalité des participants a indiqué avoir trouvé la formation utile, appréciant particulièrement le fait que la formation permettait d’interagir avec d’autres utilisateurs : « admettons j’avais pas des questions qui me venaient en tête, mais l’autre pouvait les poser » (P4).

En ce qui concerne la matière présentée, ce sont principalement les exercices pratiques qui ont marqué positivement les personnes, suivi de l’enseignement de stratégies. La matière théorique est aussi considérée comme importante, le tiers des participants indiquant par exemple qu’ils n’auraient pas été capables de faire la planification de leur trajet sans avoir suivi le module de formation (module 1) en traitant.

La formation, couplée avec l’entraînement individuel, est aussi venue développer la confiance de certains participants à prendre le réseau régulier et a permis de découvrir qu’il leur était possible de prendre un autobus régulier avec leur aide à la mobilité : « ça donne confiance… ça m’a quand même donné confiance [d’] avoir la formation. » (P10)

À l’inverse, les deux tiers des participants ont souligné qu’ils trouvaient que les différents modules de la formation ne permettaient pas suffisamment de mettre en pratique les informations acquises, que ce soit pour la planification des trajets, l’achat des titres de transport ou l’utilisation des réseaux d’autobus et de métro. La pratique en autobus a particulièrement été jugée insuffisante, que ce soit parce qu’il était vide et ne permettait pas un test de la réalité [11]; ou parce que les participants ont par la suite dû emprunter un autobus d’un autre modèle, les plaçant dans une situation déstabilisante comme l’indique un participant : « je sais bien qu’ils peuvent pas nous faire pratiquer sur tous les autobus-là, mais je sais pas [s’il aurait été possible d’avoir] un p’tit vidéo pour nous montrer […] l’autobus à 2 places. » (P10)

Les participants ont aussi indiqué que la formation est globalement adaptée à l’ensemble de la population utilisant une aide à la mobilité, mais doit être peaufinée afin de répondre à des critères plus universels d’accessibilité, notamment sensorielle (concernant le matériel), mais aussi physique (en ce qui concerne le lieu de formation).

L’accès du réseau régulier

C’est principalement sur l’autonomie et l’indépendance des personnes qu’agit l’accès au transport régulier. Ainsi, le fait de pouvoir contrôler ses déplacements est perçu comme une liberté de plus par les participants : « c’est une autonomie de plus, une liberté de plus et [je suis] plus autonome, plus fonctionnelle. » (P5) Cet élément se concrétise notamment dans la possibilité de pouvoir décider d’un déplacement à la dernière minute; de manière spontanée, mais aussi d’avoir un plus grand contrôle sur ses déplacements:

Ça donne l’indépendance, juste en général l’indépendance de rester pas à la maison, c’est beaucoup. (P2) ;
Entre autres, ça me permet de rester plus longtemps après des réunions. Ça me permet de choisir quand partir, quand arriver. (P3) ;
Mais c’est sûr un déplacement de dernière minute, qui était pas prévu. Ça c’est plus facile ou quand t’as oublié de faire une réservation [au transport adapté]. Aussi, quand que t’as un rendez-vous qui finit plus tôt. Là, t’as aussi une deuxième option.(P6)
La spontanéité […] Partir à l’heure que je veux, même si je dois planifier, mais au moins, c’est moi qui décide. […] si j’suis en retard, c’est mon problème. (P9)
C’est de pouvoir décider le jour même de mes déplacements. […] Oui. Ça c’est officiel que c’est la spontanéité. (P10)
Par exemple, je peux partir quand je voudrais. […] Je me lève le matin et en après-midi je dis ah, je pourrais aller à le cinéma, je vais au cinéma. (P12)

Ce pouvoir décisionnel est aussi interprété comme permettant d’avoir un plus grand éventail de choix à faire dans leur vie, notamment dans leurs activités : « Avant, je me limitais aux commerces dans mon quartier, mais là je peux aller, admettons, dans les centres commerciaux au centre-ville sans problème. » (P4) Une participante indique : « à place de partir à 9 heures, quand le monde prenne une bière pis jase, je pars à 9 h 45 [en même temps qu’eux]. » (P3) Ceci permet aussi de venir briser l’isolement vécu par certaines personnes et augmente l’inclusion sociale des limitations fonctionnelles : « Ça me permet de voir du monde aussi. Quand on prend le transport adapté, on est souvent tout seul ou avec d’autres personnes comme nous. […] On se sent plus comme tout le monde, aussi. Je pense que c’est important. On est inclus dans la société. Voilà. C’est plus inclusif. » (P8)

Pour une autre participante, cette plus grande inclusion sociale repose aussi sur le fait que l’utilisation du transport régulier relève de ses propres choix (planification) et est plus imprévisible, à l’image du vécu du reste des utilisateurs.

R : On dirait qu’on vit plus dans le monde réel.
I : Plus dans le monde réel, de quelle façon?
R : Dans le sens, la vie […] c’est plein d’imprévus, tandis que nous faut tout que ce soit cordé (P9)

Cette imprévisibilité, qui vient forcer les personnes à mettre en place leurs propres stratégies et à contourner les obstacles qu’elles rencontrent peut aussi améliorer le sentiment de confiance pour certaines personnes. Une participante (P12) soulignait notamment, après avoir détaillé un trajet s’étant mal déroulé, avoir été fière de réussir à trouver un trajet alternatif d’elle-même lui permettant de se rendre à destination.

À l’inverse, deux participantes ont mentionné que les embûches rencontrées durant leurs déplacements sont venues diminuer leur volonté de prendre le transport régulier : « En fait, au début ça avait quand même bien été, mais un moment donné ça s’est corsé un peu plus vers la fin, donc ça m’a laissée un peu…, […] un peu amère, un peu incertaine. » (P7) Ces mêmes participantes ont cependant relevé que la formation était tout de même venue les outiller pour pouvoir prendre le transport régulier en cas d’imprévus, le réseau régulier venant pallier en partie les défauts du transport adapté.

Discussion

La possibilité pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles d’utiliser le transport régulier permet une plus grande participation sociale et vient diminuer les situations de handicap. Cependant, les réseaux de transports réguliers québécois n’ont pas été pensés à l’origine pour être accessibles aux personnes ayant des limitations fonctionnelles motrices (ex, Parent, 2010). Afin de répondre à cette problématique, la STM a engagé de nombreuses actions et la formation s’inscrit dans cette volonté d’augmenter les facteurs protecteurs [12] dans l’environnement du réseau de transport. Dans ce cas-ci, la formation, en venant développer les aptitudes nécessaires pour utiliser les transports en commun (par le biais de l’enseignement de stratégies) et en travaillant la confiance en soi des participants.

Les témoignages recueillis tout comme la littérature scientifique viennent soutenir que l’accès à une formation parvient effectivement à rendre l’utilisation du transport régulier plus facile pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles motrices et à faciliter leur participation sociale. Cependant, les informations recueillies relèvent des lacunes tant dans la formation que dans le réseau en général. À l’inverse, il ressort aussi des aspects et impacts positifs de la formation, notamment sur certains facteurs personnels. Ainsi, comme le recommande la littérature (Gallup, Lamothe et Gallup, 2015; Heveman et al., 2013; Aarhaug et Beate, 2015), la formation étudiée prend en compte les connaissances, aptitudes, milieux de vie et ressources des participants et a été construite afin de pouvoir s’adapter à leurs besoins et réalités.

Lors de la construction et de la validation de la formation, l’importance que la formation réponde aux craintes et peurs que peuvent avoir les personnes avait été discutée. Cet élément prend d’autant plus de pertinence dans le contexte où plusieurs personnes avec limitations fonctionnelles ont soit déjà utilisé le transport régulier par le passé (et connu des mésaventures) ou lu et entendu plusieurs récits de problèmes rencontrés dans le réseau régulier [13]. En lien avec ces éléments, participer à une formation a permis à déconstruire certaines inquiétudes vécues par les participants. Cependant, la fiabilité des rampes reste un sujet de préoccupation important pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles pouvant venir les décourager à utiliser le transport régulier.

Le rapport annuel de la STM produit en 2019 révèle d’ailleurs une augmentation de 148 % des plaintes reçues par apport à la « non-disponibilité de rampe bus » alors que la société a relevé durant la même période une baisse de la fiabilité de ses rampes, passant de plus de 97 % en 2017 à moins de 93 % en 2019 (STM, 2019)

Plusieurs personnes ont aussi indiqué éprouver un certain malaise ou une culpabilité à l’égard des autres utilisateurs, notamment à cause du délai supplémentaire qui leur est nécessaire pour accéder puis circuler dans les autobus ou encore du risque qu’une rampe d’accès ne puisse être rétractée après son déploiement. Ce sentiment, qui constitue un facteur de risque pouvant être mieux pris en compte en formation, est aussi lié aux horaires serrés des parcours d’autobus ainsi que ceux des autres utilisateurs. Il peut aussi être rattaché au manque de connaissances qu’ont les clients et chauffeurs des enjeux entourant le partage du réseau de transport entre les différentes clientèles (ex, libérer un siège réservé). En ce sens, des facteurs sociaux et physiques extérieurs à la formation viennent limiter l’effet que peut avoir la formation sur le processus d’autonomisation des participants.

Durant l’élaboration de la formation, il avait aussi été discuté qu’un volet portant sur l’orientation soit intégré dans les modules 2 (autobus) et 3 (métro) afin d’outiller les personnes suivant la formation à mieux s’orienter. Cet élément constitue un des principaux points faibles de la formation, plusieurs participants ayant eu de la difficulté à ce sujet, une participante soulignant que cet élément est venu diminuer sa confiance à prendre le réseau régulier. Ainsi, l’utilisation des points cardinaux pour les déplacements en autobus devrait être abordée avec les personnes formées [14], tandis que les différentes signalisations dans le métro devraient être plus détaillées et claires étant donné que certaines personnes utilisent le réseau du métro pour la première fois et doivent se reposer sur ces informations pour bien s’orienter. Sur ce point, la formation de la STM se distingue de plusieurs autres formations qui se centrent sur cette question (Alaribe, 2014; Bernandes, Barros, Simões et Castelo-Brancon, 2015; Cano, Fernández-Manjón et García-Tejedor, 2016; Haveman et al., 2013; Mechling et O’Brien, 2010; Smith et al., 2017; Métrolinx, 2014; Pfeiffer, Sell et Bevans, 2020; Price, Marsh et Fisher, 2017; Simões, Bernardes, Barros et Castelo-Branco, 2018; Wolf-Branigin et al., 2013).

De manière similaire, l’apprentissage de la planification des déplacements a été jugé insuffisant par les participants. Bien que le contenu théorique proposé semble adéquat et complet, la complexité des outils de planifications de la STM et la densité de l’information transmise rendent son intégration plus difficile. Cet élément fait ressortir l’importance d’intégrer un grand nombre d’exercices pratiques dans ce type de formation.

Le manque de pratique en formation a influencé la rétention de l’ensemble de l’information chez certains participants. À ceci, s’est ajouté un délai avant l’entraînement individuel, puis les pratiques individuelles, ce qui a nui à l’intégration de certaines connaissances. Cette situation s’accompagne aussi du fait que certaines personnes ont rarement l’occasion de mettre en pratique l’ensemble des informations apprises.

Mettre un plus grand accent sur des activités pratiques peut aussi pallier une autre lacune observée, soit le fait que certains participants ont été déstabilisés lorsqu’ils se sont retrouvés dans un modèle d’autobus différents de celui vu lors de la formation. Cette réaction de certains participants concorde d’ailleurs avec la littérature qui souligne le stress que peut engendre de nouvelles situations dans un environnement réel (Wolf-Branigin et al., 2013).

Au chapitre de l’accessibilité, certains participants ont souligné l’importance de viser une meilleure accessibilité, notamment sur le plan du contenu visuel jugé trop petit et de la durée de la formation. Cet élément acquiert de l’importance du fait que plusieurs personnes visées par la formation présentent d’autres difficultés, souvent négligées (visuelle, auditive, fatigabilité, etc.). Pareillement, Haveman et al. (2013) soulignent l’importance de considérer les différentes aptitudes des participants tant au plan moteur que sensoriel et cognitif. La période de l’année durant laquelle la formation se donne apparaît aussi un élément important à considérer afin de maximiser les chances que les personnes mettent leurs connaissances en action, les conditions hivernales rendant peu fonctionnelle l’utilisation du transport régulier pour les participants.

Pour ce qui a trait à l’environnement bâti, les nombreux obstacles rapportés plus haut viennent miner l’effet de la formation pour certaines personnes. Toutefois, malgré ces éléments, l’ensemble des participants à la formation a souligné avoir trouvé utile la formation tandis qu’une majorité projette de continuer de l’utiliser de manière régulière lorsqu’il leur est possible. Ce dernier élément, qui correspond avec la littérature académique, n’a cependant pas pu être vérifié à cause des mesures de confinements liées à la COVID19 qui ont été imposées par après.

Compte tenu de l’importance de poursuivre le travail de mise en accessibilité des réseaux de transport, mais aussi de s’assurer que le personnel et le reste de la clientèle soient sensibilisés, certains participants à la formation ont recommandé que soit créé une campagne publique de sensibilisation qui prenne en compte l’augmentation souhaitée de l’utilisation du transport régulier par les personnes ayant une limitation fonctionnelle.

Conclusion

Le présent article fait ressortir de nombreux obstacles environnementaux (tant physiques et sociaux) qui nuisent à l’accès au transport régulier et auxquels la formation ne peut répondre. Ces éléments semblent confirmer la thèse d’un accès spatial différentiel pour les personnes utilisant des aides à la mobilité et ainsi une « citoyenneté sociologique » (McAll 1995) qui n’est pas pleine et entière lorsqu’il est question de transport. Ces éléments viennent soutenir l’importance de maintenir le travail de mise en accessibilité qui est présentement à l’œuvre à Montréal puisqu’une telle accessibilité vient ouvrir le champ des possibles à de nombreuses personnes. Les témoignages recueillis à la suite de la formation soulèvent aussi l’apport que peuvent avoir de telles formations dans la construction d’une société plus inclusive pour les personnes ayant une limitation fonctionnelle motrice.

Ainsi, les données présentées dans cet article concordent avec la littérature qui relève les impacts positifs au sujet de la participation sociale de ce type de programme. Ces données sont cependant principalement qualitatives et ne répondent pas aux soucis exprimés par Lindsay et Lamptey (2019) de procéder à une évaluation plus complète des impacts des formations, notamment à l’aide d’indicateurs objectifs pouvant venir soutenir les témoignages collectés. Ces auteurs recommandent aussi que soit pratiquée une comparaison entre les types de formations qui existent et que soit mieux étudié l’effet à long terme et dans des environnements différents de ces formations. Compte tenu du contexte québécois, il serait aussi approprié de mieux étudier et comparer comment les différents climats (ex, hivernaux vs tempéré) et au plan social, les attitudes peuvent influencer l’efficacité des formations. Finalement, étant donné la pertinence des objectifs de la formation pour d’autres groupes d’utilisateurs, il aurait été intéressant d’élargir la population ciblée par la recherche.

Cet article permet cependant d’établir certains éléments centraux auxquels une telle formation doit s’attarder. Parmi eux, l’importance de multiplier les exercices pratiques et les mises en situation; accorder une attention au développement de compétences en orientation, en planification des déplacements, en résolution de problèmes, au niveau de faire valoir ses droits comme usager ainsi que de développer un sentiment et de confiance en soi fort par apport à l’utilisation du réseau de transport. Il corrobore aussi l’importance de prendre en compte les caractéristiques personnelles des participants de même que leurs objectifs et d’adapter l’offre de formation à ces derniers.

Compte tenu des ressources nécessaires pour répondre à ces éléments, certaines approches de formations proposent un enseignement par l’intermédiaire des jeux sérieux (serious games [15]), peu importe l’âge de l’utilisateur (Alaribe, 2014; Bernandes, Barros, Simões et Castelo-Brancon, 2015; Cano, Fernández-Manjón et García-Tejedor, 2018). Ces jeux sérieux encouragent l’apprentissage actif, augmentent la motivation et la collaboration, ainsi que l’ajustement des stratégies d’enseignement (Alaribe, 2014; Bernandes, Barros, Simões et Castelo-Brancon, 2015; Cano, Fernández-Manjón et García-Tejedor, 2018).

Endnotes

  1. La première initiative portant sur le transport adapté à Montréal et subventionné par le gouvernement remonte cependant à 1973 avec l’entreprise Minibus Forest (Di Genova 2016).
  2. Soit une augmentation de près de 2000 clients par apport à l’année précédente.
  3. Ex, en 2019, 17 millions de dollars ont été investis afin d’améliorer l’accessibilité du réseau de métro à Montréal (STM 2019).
  4. Contrairement à, par exemple, la clientèle ayant une déficience visuelle qui reçoit des services à cet effet par le biais du réseau de la santé et des services sociaux.
  5. Comme celles de Toronto, de Philadelphie, etc.
  6. Ex, les personnes utilisant un fauteuil roulant ou les personnes ayant une déficience intellectuelle.
  7. Comme la validation des billets ou laissez-passer, la communication avec les chauffeurs et les autres usagers, les sièges prioritaires, comment monter et descendre de l’autobus et se placer dans celui-ci avec une aide à la mobilité, où quand et comment demander un arrêt et la gestion de situation d’urgences ou imprévues
  8. Par exemple, à Toronto, Metrolinx (2014) présente trois approches de formations, adaptées et adaptables en fonction des besoins de la personne : le General Orientation Training, qui donne aux élèves un aperçu général d’un système de transport en commun local et qui est axé sur l’orientation; le Personal Mobility Device Training, qui enseigne aux participants qui utilisent des aides à la mobilité comment monter, se déplacer et descendre des véhicules; et le Destination Training où les enseignants et les élèves voyagent et travaillent ensemble pour déterminer la meilleure façon de parcourir cet itinéraire spécifique
  9. Tel que mentionné plus haut, les objectifs étaient de 1) valider le contenu et le format de la formation, 2) étudier les impacts de la formation sur l’utilisation du transport régulier, et 3) documenter les obstacles et facilitateurs rencontrés par les participants dans leur utilisation du transport régulier.
  10. Les questions portaient principalement sur l’expérience qu’ont eue les participants de la formation et de l’entraînement ainsi que lors des déplacements qu’ils ont faits en transport régulier par la suite. Une attention était porté aux liens que les participants faisaient entre le contenu de la formation et leur expérience de déplacement ainsi que sur leur vision des points forts et points faibles du programme de formation/entraînement.
  11. Bien qu’un entraînement individuel en environnement réel suivait la formation.
  12. L’anthropologue Patrick Fougeyrollas (2010) définit un facteur protecteur comme étant un élément personnel (comme la résilience) ou environnemental (ex, une politique institutionnelle d’accessibilité) qui vient diminuer la situation de handicap d’une personne.
  13. Notamment via le groupe Transport mésadapté (Parent et Veilleux, 2016) qui porte principalement sur le transport adapté, mais aussi sur le réseau régulier de la STM. Plusieurs articles académiques portent aussi sur les obstacles rencontrés par les personnes utilisatrices d’un fauteuil roulant (ex, Velho, 2019; Pyer et Tucker, 2017)
  14. Ex, si l’on prend une ligne d’autobus en direction Est, de quel côté de la rue doit-on prendre l’autobus?
  15. Les jeux sérieux se déroulent dans des environnements réalistes et sont habituellement configurés pour tenir compte des différentes limitations des personnes. Ils peuvent être en vue subjective (ou vue « à la première personne », le joueur voit par les yeux du personnage), vue objective (ou vue « à la troisième personne », le joueur voit l’avatar qu’il contrôle) et/ou présenter un plan de la ville ou du réseau de transport (Alaribe, 2014; Bernandes, Barros, Simões et Castelo-Brancon, 2015; Cano, Fernández-Manjón et García-Tejedor, 2016; 2018; Simões, Bernardes, Barros et Castelo-Branco, 2018). Des auteurs tels que Fernández-Manjón et García-Tejedor, (2018) soulignent l’existence de guides d’accessibilité (Game Accessibility Guidelines, Ablegamers Foundation, 2012-2017) de même que la possibilité d’adapter les options de jeu pour chaque individu (rythme du jeu, taille du texte, couleurs du texte et du fond et volume des dialogues et de la musique). Certains auteurs conseillent aussi des systèmes de jeux ou des applications permettant d’évaluer en continu les actions des joueurs – et parfois même aussi leur niveau d’anxiété – en compilant des données dans une interface web en temps réel (Bernandes, Barros, Simões et Castelo-Brancon, 2015; Cano, Fernández-Manjón et García-Tejedor, 2018; Haveman et al., 2013).

References