Influence de l’accessibilité sur la perception des personnes handicapées

The Influence of Accessibility on Perceptions of People with Disabilities

Julia K. Soetemans, B. A.

jsoetem4 [at] uwo [dot] ca

Lynne M. Jackson, Ph. D.
Département de psychologie, King’s University College de l’Université de Western Ontario

lynne [dot] jackson [at] uwo [dot] ca

Résumé

Des comportements apparemment bénins comme des commentaires évoquant la pitié et l’imposition d’une aide non désirée peuvent masquer les préjugés et la discrimination à l’égard des personnes handicapées. Certaines théories ont avancé que de telles formes de paternalisme peuvent résulter des conditions sociales qui omettent de mettre en valeur les compétences des personnes. En suivant cette logique, la présente étude a évalué la manière dont l’accessibilité d’un environnement façonne la perception des compétences des personnes handicapées et le sentiment de pitié envers elles. Des étudiant·es de premier cycle (N = 111) ont lu des mises en situation qui présentaient une personne ayant un handicap (lié à la mobilité, à la vue ou à l’ouïe, selon la vignette) évoluant dans un environnement accessible ou inaccessible. Ces participant·es ont ensuite rapporté leurs perceptions et leurs réactions à l’égard de la personne présentée dans la mise en situation. Comme l’a avancé notre hypothèse, les personnes sans handicap percevaient les personnes handicapées de manière plus positive lorsqu’elles étaient dans un environnement accessible que lorsqu’elles étaient dans un environnement inaccessible. Plus précisément, elles percevaient les personnes handicapées comme plus compétentes et chaleureuses, et les plaignaient moins que lorsqu’elles se trouvaient dans des environnements inaccessibles ou neutres (contrôle). Les réponses les plus positives envers les personnes handicapées évoluant dans les environnements accessibles par rapport aux environnements inaccessibles étaient largement semblables d’un type d’incapacité à l’autre, bien que la mise en situation présentant une personne sourde ait été la seule à être considérée comme positive tant dans l’environnement neutre (contrôle) que dans l’environnement accessible. Ces résultats indiquent que la mise à disposition d’environnements adéquatement accessibles peut être un outil pour réduire les préjugés.

Abstract

Prejudice and discrimination against people with disabilities can be masked through seemingly benign expressions such as communications of pity and provision of unwanted help. Such forms of paternalism have been theorized to arise in response to social conditions that fail to highlight people’s competencies. Following this logic, the present study assessed how the accessibility of an environment shapes perceptions of competence of, and feelings of pity toward, people with disabilities. Undergraduate students (N= 111) read vignettes that described a person with one of three disabilities (related to mobility, sight or hearing) in either an accessible or an inaccessible environment and subsequently reported their perceptions of, and reactions to, the target person. In support of the hypothesis, non-disabled people viewed people with disabilities more positively in an accessible compared to an inaccessible environment. Specifically, they perceived disabled people as more competent and warm, and pitied them less, compared to in inaccessible or neutral (control) environments. The more positive responses to the disabled targets in accessible environments compared to inaccessible environments was largely consistent across disability types, although the deaf target was uniquely viewed as equally positive in the neutral (control) environment and the accessible one. These findings indicate that provision of appropriately accessible environments can be a tool of prejudice reduction.

Mots-clés: Capacitisme; accessibilité; stéréotypes; préjudice; attitudes; handicap



Remarque de l’autrice

Cette recherche a été menée dans le cadre d’un projet de thèse de spécialisation au King’s University College de l’Université de Western Ontario par la première autrice, sous la supervision de la deuxième autrice. La correspondance peut être adressée à Lynne Jackson à lynne [dot] jackson [at] uwo [dot] ca.

Remerciements

Les autrices remercient Jay Dolmage et les deux personnes réviseures anonymes pour leur soutien à la publication de cette recherche

1. Introduction : Localiser la source du capacitisme paternaliste

On estime qu’un Canadien sur cinq âgé de plus de 15 ans a au moins une incapacité (Morris et coll., 2018). Ce nombre est digne de mention pour une multitude de raisons, notamment parce que les personnes handicapées vivent du capacitisme, un mélange d’attitudes et de comportements problématiques ainsi que d’inégalités systémiques qui désavantagent les personnes handicapées et privilégient les personnes sans handicap (Dunn, 2019). Le capacitisme est composé de plusieurs préjugés pouvant aller de micro-agressions quotidiennes à des formes plus flagrantes d’oppression et d’inégalité. Par exemple, les personnes handicapées ressentent régulièrement la pitié des autres et reçoivent de l’aide non désirée (Nario-Redmond et coll., 2019). Parallèlement, la violence envers les personnes handicapées est 2 à 2,5 fois plus élevée que la violence envers les personnes sans handicap (Cotter, 2014; Mueller et coll., 2019). Malgré l’existence de lois visant à protéger les droits des personnes handicapées, le rapport annuel 2018 de la Commission canadienne des droits de la personne indique que 52 % de toutes les plaintes de discriminations acceptées étaient liées au handicap, soit une augmentation de 33 % par rapport à la moyenne de la décennie. La présente recherche explore le siège des formes d’attitudes négatives communes, mais paternalistes envers les personnes handicapées et suppose qu’elles sont façonnées par les inégalités systémiques, plus précisément l’(in)accessibilité de l’environnement.

2. Revue de littérature : Accessibilité et paternalisme

Certaines formes de préjugés contre les personnes handicapées sont hostiles, comme la ridiculisation, les abus, le harcèlement et les agressions. Il est souvent plus facile de les identifier comme étant nuisibles, pensons à la déshumanisation et aux stéréotypes négatifs. Cependant, une variété des préjugés plus répandus sont plus subtils. Ainsi, de nombreuses personnes pourraient ne pas savoir que leurs actions ou attitudes sont problématiques (Redmond et coll., 2019). Par exemple, les stéréotypes implicites se fondent sur des biais d’évaluation ainsi que sur un ensemble de liens inconscients faits entre les groupes et les attributs, mais qui façonnent la façon dont les gens perçoivent les autres. De nombreuses études ont montré que les personnes blanches qui n’approuvent pas consciemment les attitudes racistes sont néanmoins plus susceptibles de percevoir les hommes noirs comme menaçants par rapport aux hommes blancs dans une même situation (par exemple, Hall et coll., 2016). Deux décennies d’études confirment que les stéréotypes implicites sont répandus et qu’ils prédisent la discrimination (pour une revue, voir Yogeeswaran et coll., 2017). En ce qui a trait au sujet de cet article, une recherche méta-analytique a révélé un schéma constant d’attitudes négatives implicites modérées à fortes envers les personnes handicapées (Wilson & Scior, 2014) et leur augmentation au cours de la dernière décennie malgré une diminution du capacitisme explicite, c’est-à-dire conscient et manifeste (Harder et coll., 2019).

À l’instar des préjugés implicites, qui existent en dehors de la conscience, les formes ambivalentes de préjugés peuvent être difficiles à identifier, mais sont néanmoins problématiques. Ces types de préjugés sont consciemment approuvés, mais il peut être difficile pour certains de les reconnaître comme étant problématiques, car ils fonctionnent comme des « épées à double tranchant » en ce sens qu’ils semblent positifs, mais ont des connotations négatives. La porno d’inspiration, c’est-à-dire l’encensement des personnes handicapées pour quelconque raison, fonctionne de cette manière. Bien qu’elle mette de l’avant les forces des personnes handicapées, en soulignant que le handicap peut être « surmonté », elle permet leur dévalorisation et leur objectification en situant leur valeur dans la transcendance de certains de leurs attributs (Grue, 2016). De même, les personnes handicapées peuvent être perçues comme inspirantes lorsqu’elles effectuent des tâches ordinaires comme aller à l’école ou travailler seulement si les attentes concernant leur capacité à les accomplir étaient faibles au départ (Nario-Redmond et coll., 2019). Une telle évaluation sous-tend son lot de préjugés ambivalents parce qu’elle contient à la fois du contenu positif (par exemple, l’admiration relative à une réalisation) et négatif (par exemple, la faiblesse des attentes).

Le modèle de contenu stéréotypé postule que les attitudes ambivalentes découlent des relations structurelles entre les groupes (Fiske, 2012; Fiske et coll., 2002; Glick & Fiske, 2001). Plus précisément, l’information sur le statut social relatif ainsi que l’interdépendance des groupes façonnent les perceptions, respectivement, des compétences et de la chaleur d’autrui. Identifier les compétences et la chaleur chez autrui est une tâche clé de la perception sociale parce que ces attributs fournissent de l’information sur le statut des autres par rapport au sien ainsi que sur la susceptibilité de l’autre d’être « ami ou ennemi » (Glick & Fiske, 2001, p. 281, traduction libre).

Selon ce modèle, les relations sociales entre les groupes déterminent à quel point les autres sont perçus comme chaleureux (bien intentionnés) et compétents (capables de mettre en œuvre leurs intentions). Au sein des groupes qui entretiennent des relations de coopération (c’est-à-dire non compétitives comme avec les personnes qui restent au foyer versus celles qui travaillent ou les personnes retraitées versus celles nouvellement embauchées), les autres ont tendance à être perçus comme chaleureux. Le statut social des groupes façonne quant à lui la manière dont les membres du groupe sont perçus comme étant compétents, les groupes de statut supérieur étant généralement perçus comme plus compétents que les groupes de statut inférieur. De nombreuses études soutiennent ces principes, affirmant que la grande majorité des groupes stéréotypés sont évalués sur les dimensions de chaleur et de compétence (Fiske, 2012). Il convient toutefois de noter que les données probantes confirment que les stéréotypes associés à de nombreux groupes impliquant la compétence et la chaleur ne se basent pas sur une réelle différence, mais plutôt simplement sur l’information au sujet du statut social des personnes (par exemple, Durante et coll., 2017).

Les attitudes envers les personnes handicapées ont tendance à refléter les perceptions de l’interdépendance coopérative entre les personnes handicapées et sans handicap ainsi que la perception négative du statut des personnes handicapées. Il en résulte une forme de préjugé ambivalent paternaliste qui peut être vu comme étant positif en raison de la perception de chaleur ainsi que de la sympathie envers le groupe cible, même si cela repose sur des suppositions que le groupe est moins compétent (Fiske, 2012). Le paternalisme est une réaction courante envers de nombreux groupes, notamment les personnes handicapées, les personnes âgées et certaines femmes (Cuddy et coll., 2007). Il allie des composantes cognitives, affectives et comportementales. Plus précisément, il se base sur des stéréotypes en lien avec le manque de compétences d’un groupe, des émotions de pitié ou de sympathie ainsi que des réponses comportementales distinctes (par exemple, l’évitement ou l’aide non désirée).

Dans le cadre d’une enquête internationale récente, les personnes handicapées ont identifié le paternalisme des personnes sans handicap à leur égard comme particulièrement répandu (Nario-Redmond et coll., 2019). La composante émotionnelle du paternalisme, la pitié, est problématique, car elle découle en partie de perceptions de supériorité sur une autre personne perçue comme souffrante (Florian et coll., 2000). Cette perception de supériorité est intrinsèquement capacitiste. L’hypothèse selon laquelle les personnes handicapées souffrent davantage que les autres peut être remise en question par des constatations voulant qu’en moyenne, les personnes handicapées et les personnes sans handicap déclarent une satisfaction à l’égard de la vie modérée (Marini & Brklja, 2008). Le sentiment de pitié prédit également une foule de comportements problématiques, y compris l’évitement des personnes qui l’évoquent comme moyen de réguler ses émotions (Florian et coll., 2000) ou l’aide passives (par exemple, la prière) ou non désirée (Cuddy et coll., 2007). Les personnes handicapées rapportent que recevoir de l’aide sans consentement est problématique (Nario-Redmond, et coll., 2019), peut-être parce que cette situation crée un déséquilibre de pouvoir qui subordonne autant qu’il protège ou aide (Nadler, 2002). D’un point de vue critique, les actes de charité peuvent être compris comme intrinsèquement capacitistes. De nombreuses campagnes de financement sont conçues pour évoquer des sentiments de pitié en promouvant des perceptions de souffrance qui reposent sur une notion du handicap comme pathologie (voir Longmore, 2015; Wolbring, 2008).

C’est pourquoi la présente recherche visait à identifier le siège de la pitié envers les personnes handicapées ainsi que la perception qu’elles sont moins compétentes. Le modèle de contenu stéréotypé situe la cause dans les différences de statut entre les groupes, conduisant ainsi les membres des groupes dominants à percevoir les groupes de statut inférieur comme manquant de compétence. Lorsque couplée à des relations intergroupes de coopération (non compétitives), l’attitude qui en résulte est le paternalisme (Fiske, 2012). Ces observations sont plus ou moins cohérentes avec le modèle social du handicap qui situe la cause du handicap dans l’environnement qui ne s’adapte pas aux différentes capacités (Oliver, 1983). Étant donné que les environnements accessibles (par exemple, la présence de mesures d’accommodements comme les rampes, les ouvre-portes automatiques, le braille et l’interprétation en langue des signes) offrent d’autres moyens de naviguer dans l’environnement et permettent l’inclusion de personnes avec différentes capacités corporelles, ils créent une plus grande égalité que les environnements inaccessibles. En s’appuyant sur le modèle de contenu stéréotypé et le modèle social du handicap, la présente recherche s’est penchée sur l’influence de l’accessibilité sur les perceptions des compétences des personnes handicapées et le sentiment de pitié envers celles-ci, en supposant que lorsque les personnes handicapées évoluent dans des environnements accessibles elles sont perçues comme étant plus compétentes et reçoivent moins de pitié que lorsqu’elles se trouvent dans des environnements inaccessibles.

3. Méthodologie

3.1 Participant·es

L’échantillon d’origine comprenait cent quarante-neuf étudiant·es inscrit·es à un cours d’introduction à la psychologie. Les personnes étaient admissibles à recevoir quelques crédits supplémentaires dans leur cours pour avoir terminé un devoir sur leur participation à la recherche. Dix-sept personnes n’ont pas répondu à l’ensemble des sections de l’étude et ont donc été exclues de l’analyse de données. Vingt-et-une personnes ont répondu « oui » à la question « Vous identifiez-vous comme une personne handicapée? » Étant donné que l’hypothèse portait sur les perceptions des personnes handicapées par celles sans handicap, l’analyse s’est concentrée sur le sous-échantillon (N = 111) de personnes qui ont déclaré ne pas avoir de handicap. Cet échantillon comprenait 21 hommes, 84 femmes et 6 participant·es de sexe non spécifié. Les participant·es étaient âgé·es de 16 à 49 ans (M = 19,9, SD = 4,13). La majorité s’est identifiée comme blanche/caucasienne (49 %), suivie par chinoise (13,5 %) et du Moyen-Orient (2,7 %). Les affiliations religieuses autodéclarées étaient « agnostique, athée ou non-religieux/religieuse » (41,4 %), « chrétien·ne/catholique » (34,2 %) et « islamique » (12,6 %).

3.2 Matériel

3.2.1 Vignettes

Neuf courtes vignettes neutres émotionnellement ont été préparées par la première autrice décrivant une personne ayant chacun des trois handicaps (une personne en fauteuil roulant, une personne identifiée comme aveugle et une personne identifiée comme sourde) dans des environnements décrits comme accessibles, inaccessibles ou sans référence à l’accessibilité. Dans la condition « accessible », la cible se déplaçait dans l’environnement avec un accommodement approprié (par exemple, « Vous êtes à une intersection et voulez traverser la rue. De l’autre côté de la rue, vous voyez une personne aveugle qui vous fait face. Lorsque le feu change, vous entendez une tonalité provenant du feu de signalisation pour piétons indiquant que la lumière a changé. La personne aveugle entend la tonalité et traverse la rue. »). Dans la condition « inaccessible », l’absence d’aménagement approprié empêche la cible d’effectuer l’action souhaitée (par exemple, « Vous êtes à une intersection et vous voulez traverser la rue. De l’autre côté de la rue, vous voyez une personne aveugle qui vous fait face. Lorsque le feu change, vous commencez à traverser, mais la personne aveugle continue d’attendre, car il n’y a aucune indication sonore que le feu a changé. »). Dans la condition « contrôle », il n’y avait pas de navigation dans l’environnement décrit dans les trois vignettes, seulement la présence de chaque type de handicap (par exemple, « Vous passez devant une personne aveugle qui attend l’autobus. ») La description des vignettes est fournie au tableau 1.

Tableau 1

Vignettes pour chacune des conditions (accessibilité et type de handicap)

Mobilité réduite Cécité Surdité
Accessibilité En route vers votre cours, vous marchez derrière quelqu’un qui utilise un fauteuil roulant motorisé. La personne s’approche de la porte de la classe et appuie sur le bouton de l’ouvre-porte automatique. Les portes s’ouvrent et la personne entre dans la salle de classe. Vous êtes à une intersection et vous voulez traverser la rue. De l’autre côté de la rue, vous voyez une personne aveugle qui vous fait face. Lorsque le feu change, vous entendez une tonalité provenant du feu de signalisation pour piétons indiquant que la lumière a changé. La personne aveugle entend la tonalité et traverse la rue. Lors de votre premier cours, vous voyez un·e interprète en langue des signes américaine à l’avant qui traduit les paroles de l’enseignant·e en langue des signes américaine pour une personne de la classe qui est sourde.
Inaccessibilité En route vers votre cours, vous marchez derrière quelqu’un qui utilise un fauteuil roulant motorisé. La personne s’approche des portes de la classe et se rend compte qu’il n’y a pas d’ouvre-porte automatique. Elle reste devant la porte, incapable d’entrer dans la salle de classe. Vous êtes à une intersection et vous voulez traverser la rue. De l’autre côté de la rue, vous voyez une personne aveugle qui vous fait face. Lorsque le feu change, vous commencez à traverser, mais la personne aveugle continue d’attendre, car il n’y a aucune indication sonore que le feu a changé. Une personne sourde s’inscrit à un cours que vous suivez. Plus tard, vous apprenez qu’après le premier cours, elle l’a abandonné parce qu’elle n’a pas trouvé d’interprète en langue des signes américaine disponible à ce créneau horaire.
Condition de contrôle Vous passez devant une personne utilisant un fauteuil roulant motorisé qui attend l’autobus. Vous passez devant une personne aveugle qui attend l’autobus. En route vers votre cours, vous voyez deux personnes sourdes signer ensemble.

3.2.2 Mesures dépendantes

Des échelles ont été créées pour explorer la perception de chaleur et de compétence des cibles dans chaque vignette ainsi que les réactions émotionnelles, en particulier la pitié, à leur égard. Pour chacune des échelles, les participant·es indiquaient leur degré d’accord avec les énoncés en utilisant une échelle de sept points. Quatre éléments mesuraient la perception de chaleur (par exemple, « Cette personne est chaleureuse ») alors que cinq éléments mesuraient la perception de compétence (par exemple, « Cette personne est compétente »). La fiabilité des échelles de chaleur et de compétence variait de 0,84 à 0,91 pour l’ensemble des vignettes. Vingt autres éléments ont été inclus pour explorer la réaction émotionnelle de pitié (par exemple, « Je plains cette personne »). Ces éléments ont été générés sur la base de la conceptualisation de la pitié de Florian et coll. (2000) qui la décrit comme un mélange de compassion, de bienveillance et de fausse supériorité. La fiabilité de l’échelle évaluant la pitié variait de 0,89 à 0,92 pour l’ensemble des vignettes (voir l’annexe).

3.3 Procédure

L’étude a été approuvée par le comité d’éthique de la recherche de l’université d’accueil. Après avoir lu une description de l’étude, les étudiant·es intéressé·es à y participer ont envoyé un courriel à la chercheuse pour recevoir un lien vers l’enquête en ligne. Chaque personne a été affectée à une condition d’accessibilité différente à l’aide d’un générateur de nombres aléatoires. Le consentement a été recueilli au début de la participation en cliquant sur « Continuer » à l’écran après avoir lu le formulaire de consentement. Les personnes ont ensuite lu trois vignettes décrivant chaque type de handicap dans la condition d’accessibilité qui leur avait été assignée et elles ont répondu à des questions. L’ordre des handicaps était fixe (mobilité réduite, cécité, surdité). Après chaque vignette, chaque personne a répondu aux mesures dépendantes. Un formulaire démographique était inclus à la fin de l’enquête. Une fois l’enquête terminée, les participant·es ont reçu un formulaire de débreffage.

4. Résultats

Les moyennes, les écarts-types et les corrélations interéléments pour l’ensemble des variables dépendantes par type de handicap sont présentés au tableau 2. En faisant la moyenne des types de handicap, les cibles des vignettes étaient perçues comme modérément compétentes (M = 4,70, ÉT = 1,30) et chaleureuses (M = 4,78, ÉT = 1,20). L’évaluation de la pitié était également proche du point médian de l’échelle (M = 4,23, ÉT = 1,09). Les perceptions de compétence et de chaleur étaient positivement corrélées, r (109) = 0,69, p < 0,01. La pitié était corrélée négativement avec la perception de compétence, r (109) = -.30, p < 0,01, et elle n’était pas associée à la perception de chaleur, r (109) = -0,04, ns.

Tableau 2

Moyennes et écarts-types des évaluations de la compétence, de la chaleur et de la pitié

Type de handicap de la cible
Mobilité réduite Cécité Surdité
Compétence 4,57 (1,41) 4,63 (1,36) 4,91 (1,45)
Chaleur 4,73 (1,27) 4,73 (1,26) 4,87 (1,35)
Pitié 4,22 (1,10) 4,42 (1,45) 4,06 (1,23)
Remarque : L’écart-type est indiqué entre parenthèses.

L’hypothèse selon laquelle les personnes sans handicap considèrent les personnes handicapées comme plus compétentes et chaleureuses, et les plaindraient moins, dans un environnement accessible comparativement à un environnement inaccessible a été testée avec un ensemble d’analyse de la variance à plan mixte de trois (type de handicap : mobilité réduite, cécité, surdité) par trois (condition d’accessibilité : accessible, inaccessible, contrôle) avec mesures répétées par type de handicap. Pour chaque analyse, le test de sphéricité de Mauchly a indiqué que l’hypothèse de sphéricité était violée. Ainsi, les degrés de liberté corrigés sont indiqués ci-dessous.

L’analyse de la perception de la compétence des cibles a permis de révéler les principaux effets de l’accessibilité, F(2, 108) = 36,41, p < 0,001, et du type de handicap, F(1,83, 197,24) = 9,29, p < 0,001. Comme énoncé dans l’hypothèse, la perception de compétence s’est avérée plus forte dans la condition « accessible » que dans la condition « inaccessible » pour chaque type de handicap (voir la Figure 1). Cependant, ces principaux effets ont été nuancés par une interaction significative entre la condition et le type de handicap, F(3,65, 197,24) = 8,22, p < 0,001. Des comparaisons post-hoc utilisant le test de Tukey ont révélé que la perception de la compétence des handicaps « mobilité réduite » et « cécité » était significativement plus élevée dans la condition « accessibles » que dans la condition de contrôle, qui à son tour était plus élevée que dans la condition « inaccessible » (ps < 0,001). Pour la cible « surdité », la perception de la compétence était aussi élevée dans la condition « contrôle » que dans la condition « accessible », les deux étant plus élevées que dans la condition « inaccessible » (ps < 0,001).

Diagramme à barres des scores moyens de compétence sur l'axe vertical selon les conditions d'accessibilité (inaccessible, accessible et contrôle) et le type de handicap (mobilité, cécité, surdité) sur l'axe horizontal. L'erreur type est indiquée par des barres d'erreur en haut de chacune des barres.
Figure 1. Scores de compétence selon les conditions d’accessibilité et le type de handicap. L’erreur type est indiquée par les barres d’erreur.

L’analyse de la variance pour la pitié a révélé les principaux effets de l’accessibilité, F(2, 108) = 4,62, p = 0,01, et du type de handicap, F(1,74, 188,24) = 4,30, p < 0,001. Pour tous les types de handicap, la pitié était la plus élevée dans la condition « inaccessible ». De plus, elle apparaissait légèrement plus élevée pour la cible « cécité » par rapport aux autres cibles (voir la Figure 2). Cependant, ces principaux effets ont été influencés par une interaction significative entre le type d’incapacité et la condition d’accessibilité, F(3,49, 188,24) = 2,96, p = 0,03. Pour le type de handicap « mobilité réduite », la comparaison des moyennes a montré que les scores de pitié étaient significativement plus élevés dans la condition « inaccessible » (M = 4,64, ÉT = 0,97) par rapport à la condition « contrôle » (M = 3,98, ÉT = 1,25, p = 0,01). Les différences entre la condition « contrôle » et la condition « accessible » (M = 4,09, ÉT = 0,96) ainsi qu’entre la condition « accessible » et la condition « inaccessible » n’étaient pas significatives. Pour la cible « cécité », les différences entre les scores de pitié dans les conditions « inaccessible » (M = 4,73, ÉT = 1,04), « contrôle » (M = 4,22, ÉT = 1,36) et « accessible » (M = 4,33, ÉT = 0,97) n’étaient pas significatives. Enfin, pour la cible « surdité », les scores de pitié étaient significativement plus élevés dans la condition « inaccessible » (M = 4,64, ÉT = 1,05) par rapport à la condition « contrôle » (M = 3,61, ÉT = 1,34, p = 0,01) et à la condition « accessible » (M = 3,96, ÉT = 1,07, p = 0,01).

Diagramme à barres des scores moyens de pitié sur l'axe vertical selon les conditions d'accessibilité (inaccessible, accessible et contrôle) et le type de handicap (mobilité réduite, cécité, surdité) sur l'axe horizontal. L'erreur type est indiquée par des barres d'erreur en haut de chacune des barres.
Figure 2. Scores de pitié par conditions d’accessibilité et type de handicap. L’erreur type est indiquée par les barres d’erreur.

L’analyse de la perception de chaleur a révélé un effet principal de l’accessibilité uniquement sur les scores de chaleur, F(2, 108) = 9,75, p < 0,001. Une comparaison posthoc à l’aide du test de Tukey a révélé que la perception de chaleur était plus élevée dans la condition « accessible » (M = 5,04, ÉT = 0,18) que dans la condition « inaccessible » (M = 4,09, ÉT = 0,19, p < 0,001). La perception de chaleur était également plus élevée dans la condition « contrôle » (M = 5,14, ÉT = 0,18).

5. Discussion

Comme nous l’avons avancé dans notre hypothèse, la perception des personnes sans handicap envers les personnes handicapées était plus positive lorsque ces dernières évoluaient dans un environnement accessible que lorsqu’elles étaient dans un environnement inaccessible. Plus précisément, un environnement accessible donnait lieu à une perception de la compétence et de chaleur plus fortes ainsi qu’à moins de pitié envers les cibles handicapées par rapport aux environnements inaccessibles ou neutres (contrôle). À l’inverse, la condition « inaccessible » était associée à des perceptions plus négatives et à plus de pitié que la condition « contrôle ». Ces résultats soutiennent la prédiction voulant que l’accessibilité environnementale façonne de manière réaliste et constructive les perceptions et les réactions des personnes sans handicap à l’égard des personnes handicapées, et ainsi que l’inaccessibilité peut être une source de paternalisme problématique. Par conséquent, la supposition admise voulant que l’égalité soit le résultat d’une amélioration des attitudes envers les personnes mériterait peut-être d’être inversée : le respect envers les personnes handicapées découle de l’accès à l’égalité.

Les effets de l’accessibilité sur les réactions aux cibles étaient largement comparables d’un type de handicap à l’autre, sauf pour la mise en situation présentant une personne sourde qui a été la seule à être considérée comme positive tant dans l’environnement neutre (contrôle) que dans l’environnement accessible. En d’autres termes, alors que les perceptions de la cible à mobilité réduite et de la cible aveugle étaient plus positives dans un environnement accessible et plus négatives dans un environnement inaccessible, les perceptions de la cible sourde n’étaient impactées négativement que par l’inaccessibilité, car elles étaient déjà positives dans l’environnement de contrôle. Bien que ce constat semble encourageant pour les perceptions des personnes sourdes, cela fait craindre que les perceptions étaient positives dans l’environnement de contrôle parce que les obstacles auxquels sont confrontées les personnes sourdes sont moins évidents pour les personnes sans handicap que les obstacles auxquels sont confrontées les personnes ayant d’autres types de handicap. Dans notre vignette de contrôle pour la cible sourde, la personne communiquait en utilisant la langue des signes. Ainsi, les obstacles rencontrés par les personnes sourdes dans un environnement où la langue orale est dominante (par exemple, la difficulté à accéder facilement à des services médicaux ou récréatifs, le fardeau supplémentaire de réserver les services d’interprétation pour le travail ou les interactions sociales) peuvent ne pas avoir été assez évidents pour les personnes qui se sont vu assigner cette condition. En dehors de l’étude, les personnes sourdes continuent de faire face à une myriade de défis importants et n’ont pas un accès égal à de nombreux services que la plupart des personnes tiennent pour acquis (par exemple, De Feu & Chovaz, 2014). Cependant, un désalignement avec les stéréotypes culturels du handicap peut conduire les personnes entendantes à ne pas percevoir les barrières auxquelles font face les personnes sourdes (voir Calder-Dawe et coll., 2019). Bien que cette hypothèse doive être étudiée, il est possible que les perceptions relativement positives de la cible sourde qui ont émergé de cette recherche soient en réalité une arme à double tranchant à laquelle sont confrontées les personnes sourdes qui sont considérées comme compétentes au détriment de l’obtention des accommodements nécessaires.

La principale conclusion selon laquelle l’accessibilité façonne les perceptions des personnes handicapées et les réactions à leur égard est conforme à un ensemble de données probantes liées au modèle de contenu stéréotypé. Dans ce modèle de préjugés, les attitudes problématiques envers les personnes handicapées sont situées au sein des préjugés envers différents groupes confrontés au paternalisme. Le paternalisme est la forme de capacitisme la plus courante signalée par un échantillon international de personnes handicapées et se manifeste notamment par de l’aide non désirée, de la surprotection, de l’invalidation et de la pitié (Nario-Redmond et coll., 2019). D’autres travaux portant sur le modèle de contenu stéréotypé ont montré que cette forme de préjugé est dirigée contre des personnes qui sont appréciées sans être particulièrement respectées, non seulement comme les personnes handicapées, mais aussi comme les personnes âgées et les femmes traditionnelles. Par exemple, à l’instar du capacitisme paternaliste, une forme apparemment bienveillante de sexisme dépeint les femmes comme vertueuses, gentilles, cultivées, orientées vers les relations interpersonnelles, mais faibles et ayant besoin de protection (Connor et coll., 2017; Glick & Fiske, 1996). L’âgisme prend également des formes de condescendance et d’ambivalence, telles que le stéréotype que les personnes âgées sont « séniles, mais attendrissantes » (Cuddy & Fiske, 2002, p. 3, traduction libre). Les stéréotypes paternalistes sont dégradants, peu importe le groupe de personne visé. Ils sont néanmoins encore tolérés en raison de leurs composantes apparemment positives.

À l’instar des modèles sociaux du handicap qui décrivent la manière dont les barrières environnementales produisent la perception que le handicap est un déficit (p. ex., Oliver, 1983), le modèle de contenu stéréotypé démontre que les variables structurelles sociales déterminent la forme que prennent les préjugés. Le paternalisme est commun à plusieurs groupes parce qu’ils partagent un statut social contesté. Plus précisément, le modèle prédit que les groupes perçus comme ayant un statut inférieur ont tendance à être considérés comme manquant de compétence et ne sont donc pas respectés. À l’inverse, les groupes dont la relation intergroupe avec le détenteur de l’attitude est non compétitive (c’est-à-dire que les groupes ne sont pas en compétition pour les mêmes ressources) auront tendance à être perçus comme chaleureux et sympathiques. Les groupes qui correspondent aux deux perceptions sont, par conséquent, confrontés au paternalisme; ils sont aimés sans être respectés. Étant donné que le paternalisme découle de la position sociale et non des attributs réels du groupe, une implication logique du modèle est que la modification directe de la structure sociale est une voie efficace vers un changement d’attitude. Le présent travail soutient cette position en montrant l’impact direct de l’accessibilité sur les perceptions des personnes handicapées et donc sur la réduction du paternalisme.

Les stratégies traditionnelles de réduction des préjugés peuvent s’avérer inefficaces pour combattre le paternalisme, car ce dernier se cache derrière l’apparence de gentillesse et est donc souvent interprété comme étant positif. Cette affirmation est bien documentée dans le contexte des attitudes envers la diversité de genre (pour des exemples, voir Jackson, 2020). Par exemple, des données récentes montrent que les femmes confondent souvent des formes de sexisme apparemment bienveillantes, comme la surprotection, avec de la gentillesse et considèrent les hommes qui expriment le paternalisme comme leurs alliés (Hopkins-Doyle et coll., 2019; Rudman & Fetterolf, 2014). En réalité, des études partout dans le monde ont démontré que le paternalisme est corrélé à des formes graves de préjugés et de discrimination (par exemple, Connor et coll., 2017; Glick et coll., 2000; Napier et coll., 2010; Nelson et coll., 2016), et tous les « ismes », y compris le capacitisme, sont à la base d’une foule d’enjeux connexes, notamment un moins bon état de santé et bien-être pour les personnes qui en sont les cibles (par exemple, Branco et coll., 2019). Exposer les effets néfastes du paternalisme par le biais de l’éducation peut aider à le réduire (Becker et Swim, 2012), mais les interventions directes visant à modifier les structures sociales qui le créent, comme l’amélioration de l’accessibilité, ont l’avantage supplémentaire d’engendrer une plus grande égalité.

En résumé, les résultats de cette recherche montrent que l’accessibilité environnementale a un impact sur les perceptions de compétence et de chaleur ainsi que sur la pitié ressentie envers les personnes handicapées. Les environnements accessibles favorisent des réactions plus respectueuses tandis que les environnements inaccessibles peuvent contribuer aux stéréotypes négatifs et à des réactions émotionnelles de condescendance. Par conséquent, veiller à ce que tous les environnements soient accessibles est non seulement un moyen d’assurer le respect des droits fondamentaux, mais peut également être considéré comme l’une des nombreuses stratégies visant à réduire le paternalisme envers les personnes handicapées et à promouvoir le respect.

Références



Annexe : Enquête sur la pitié

Les participants ont noté leur degré d’accord avec les éléments 1 à 19 à l’aide d’une échelle de 1 à 7 où 1 signifie fortement en désaccord et 7 signifie fortement en accord. L’élément 20 a été noté à l’aide d’une échelle de 1 à 7 où 1 signifie aucune et 7 signifie beaucoup.

  1. Cette situation m’a mis·e mal à l’aise
  2. Je me sens mal pour cette personne
  3. Je suis content·e de ne pas vivre ce que vit cette personne
  4. J’ai plus de chance que cette personne
  5. Cette personne est malheureuse
  6. L’autre personne doit être misérable
  7. Je me sens obligé·e d’aider cette personne
  8. Je veux faire quelque chose pour remonter le moral de cette personne
  9. Je me sens coupable
  10. Je plains cette personne
  11. Je ne peux pas imaginer à quoi ressemble la vie de cette personne
  12. La vie de cette personne doit être pire que la mienne
  13. Je suis content·e de ne pas être dans la même situation que cette personne
  14. Je me sens mal pour sa situation malheureuse
  15. J’aimerais ne pas avoir vu ça
  16. J’ai peur que cette situation m’arrive
  17. Je veux aider cette personne
  18. Je veux réduire la souffrance de cette personne
  19. Je souhaite le bien-être de cette personne
  20. (Évaluez à quelle intensité vous avez ressenti l’émotion suivante en voyant chacune des vignettes) : Pitié