Obstacles liés au handicap en milieu universitaire : une analyse des politiques d’accommodement destinées aux personnes handicapées pour le corps professoral des universités canadiennes

Natasha Saltes, Ph. D.
Département de communication, Université d’Ottawa

nsaltes [at] uottawa [dot] ca


Résumé

Cet article examine les politiques d’accommodement destinées aux personnes handicapées au sein du corps professoral de 42 universités canadiennes. Bien que les universités au Canada soient légalement tenues d’accommoder le personnel handicapé, moins de la moitié d’entre elles mettent à la disposition du personnel une politique d’accommodement écrite. L’examen des politiques d’accommodement pour les personnes handicapées a révélé un manque de cohérence tant dans leur mise en œuvre que dans leur vocabulaire et leur contenu. L’analyse a montré que les politiques d’accommodement pour les personnes handicapées contiennent des dispositions et un vocabulaire médicaux évidents qui en viennent à isoler le personnel enseignant handicapé en renforçant une notion de compétence fondée sur la personne sans handicap et en perpétuant la confusion entre handicap, santé et médecine. Cet article encourage les universités à reconnaitre leur rôle dans la création de milieux de travail accessibles et inclusifs et se termine par des recommandations visant à combler certaines lacunes et incohérences dans les politiques d’accommodement pour les personnes handicapées.


Mots-clés : Handicap, politique, accessibilité, accommodement, milieu universitaire, corps professoral, enseignement supérieur



Introduction

La plupart, sinon la totalité, des universités au Canada se sont dotées d’une page sur l’accessibilité ainsi que de politiques d’accommodement scolaire pour les étudiantes et étudiants handicapés. L’augmentation des services fournis aux personnes handicapées qui étudient dans un programme postsecondaire au Canada et à l’étranger a suscité l’intérêt des scientifiques sur la façon dont les étudiantes et étudiants handicapés naviguent dans l’environnement universitaire (Borland et James, 1999; Goode, 2007; Harpur et Loudoun, 2011; Mullins et Preyde, 2013). Compte tenu du large éventail d’expériences, de nombreuses études empiriques se concentrent sur des déficiences spécifiques (par exemple, l’apprentissage, la vision, l’audition, la mobilité, l’humeur, etc.), tandis que d’autres considèrent le handicap d’une manière globale comme une expérience plus large d’exclusion du courant dominant (voir Hampton et Gosden, 2004; Madriaga, Hanson, Kay et Walker, 2011; Demery, Thirlaway et Mercer, 2012; Gibson, 2012; Magnus et Tøssebro, 2014).

À ce jour, la littérature sur le handicap et l’enseignement supérieur s’est concentrée principalement sur l’expérience de la communauté étudiante, et une attention moindre a été accordée à l’examen des mesures d’accommodement dont peut se prévaloir le corps professoral. Smith et Andrews (2015) soulignent que « les établissements d’enseignement supérieur sont souvent bien préparés en termes de politiques et de mesures d’accommodement pour les étudiantes et étudiants handicapés. Ironiquement, les campus ne sont souvent pas préparés une fois que les universitaires handicapés reviennent y enseigner » (p. 1521). En examinant les processus d’accommodement sur les campus, Dolmage (2017) illustre les façons dont le milieu universitaire promeut et valorise la capacité physique et mentale, et remarque que « le principal message concernant les accommodements est que le handicap isole et individualise, se situe dans un seul corps particulier[1] » (p. 72). Une étude récente menée par Waterfield, Beagan et Weinberg (2018) a illustré cette situation en révélant que les universitaires au Canada reçoivent peu de soutien institutionnel pour obtenir des accommodements en matière de handicap. De plus, les personnes ayant participé à leur étude se sont senties obligées de démontrer qu’elles étaient des universitaires compétentes et productives.

Le présent article examine les politiques d’accommodement pour les personnes handicapées qui font partie du corps professoral de 42 universités canadiennes. Bien que les universités au Canada soient légalement tenues d’accommoder les membres handicapés de leur corps professoral, moins de la moitié d’entre elles sont dotées d’une politique d’accommodement. L’examen des politiques d’accommodement pour les personnes handicapées a révélé un manque de cohérence tant dans leur mise en œuvre que dans leur vocabulaire et leur contenu. L’analyse a montré que les politiques d’accommodement pour les personnes handicapées contiennent des dispositions et un vocabulaire médicaux évidents qui en viennent à isoler le personnel enseignant handicapé en renforçant une notion de compétence fondée sur la personne sans handicap et en perpétuant la confusion entre handicap, santé et médecine.

Les deux principales questions qui guident cette analyse des politiques sont les suivantes : Comment les politiques en lien avec le handicap encadrent-elles et situent-elles le handicap dans le discours? Quels types de ressources, de soutien et d’accommodements sont fournis au corps professoral? Pour tenter de répondre à ces questions, les politiques de travail relatives aux accommodements pour les personnes handicapées des universités ont été analysées en fonction de facteurs tels que l’influence du vocabulaire utilisé pour encadrer et définir le handicap, les types d’accommodements disponibles et les exigences de divulgation et de documentation médicale par le personnel. Le but de cette analyse était d’identifier et de documenter les modèles en fonction du contenu de ces politiques, de la façon dont elles sont mises en œuvre et diffusées, et de leur utilisation pour favoriser l’égalité et l’inclusion au sein de la profession universitaire.

Cet article remet en question les façons binaires de penser l’éducation, qui opèrent une distinction conceptuelle entre l’apprentissage et la recherche et l’enseignement. Messiou (2016) observe qu’une grande partie de la littérature existante sur l’éducation inclusive se concentre sur certains types de personnes apprenantes. Elle soutient que le fait de concentrer notre attention sur quelques étudiants au lieu d’aborder l’inclusion d’une manière collective en examinant la situation de l’ensemble des étudiantes et étudiants est contraire aux principes de l’éducation inclusive. Le présent article élargit l’argument de Messiou en suggérant que l’accent mis uniquement sur la communauté étudiante en excluant le corps professoral est également contraire aux principes de l’éducation inclusive. L’éducation inclusive devrait tenir compte de l’expérience du corps professoral et ne pas se concentrer exclusivement sur la communauté étudiante. Cet article se termine par 12 recommandations visant à éliminer les obstacles liés au handicap au sein du milieu universitaire grâce à la mise en œuvre de politiques qui reconnaissent les subjectivités relatives au handicap et le rôle des institutions dans la création de milieux de travail accessibles et inclusifs.

Accommodements pour les personnes handicapées

Les politiques d’accommodement pour les personnes handicapées reconnaissent que les espaces et les environnements ne sont pas accessibles à tous et toutes, et que des modifications au niveau individuel peuvent être nécessaires pour que certaines personnes puissent y accéder ou être en mesure de participer pleinement. DePoy et Gilson (2014) définissent les accommodements comme « des ajustements au cas par cas à un monde standardisé » (p. 119). Les auteurs affirment que bien que les accommodements puissent être utiles, ils peuvent également être aliénants lorsqu’ils sont fondés sur des notions erronées quant à ce qu’implique une mesure adéquate d’accommodement. Par exemple, des interprètes en langue des signes peuvent être disponibles sur les campus comme forme d’accommodement pour les personnes sourdes ou malentendantes, mais toutes les personnes sourdes ou malentendantes ne connaissent pas la langue des signes. Il s’agit d’une idée fausse répandue qui peut être aliénante pour les personnes qui trouveraient d’autres formes d’accommodements plus adéquates, comme le sous-titrage codé en temps réel.

L’accessibilité diffère de l’accommodement en ce qu’elle ne repose pas sur des modifications au niveau individuel. Titchkosky (2011) définit l’accessibilité comme étant « une relation d’interprétation entre les corps » (p. 5). Elle ajoute que « l’accessibilité est pour les gens une façon d’entrer en relation avec ce qu’ils incarnent dans les espaces où ils se trouvent » (p. 5). Il est possible d’aller plus loin et de considérer l’accessibilité comme une relation d’interprétation entre les corps, les espaces et les objets physiques. Par exemple, un ordinateur qui nécessite de l’équipement couteux pour être utilisable par les personnes aveugles n’est pas accessible. Un campus qui a des salles de classe, des bureaux ou des toilettes à l’étage sans que des ascenseurs ou des rampes d’accès soient disponibles n’est pas accessible. À propos de l’accessibilité du monde universitaire, Titchkosky donne plus de détails sur les nombreuses façons dont l’accessibilité peut être envisagée :

À l’université, par exemple, les gens doivent avoir accès aux bâtiments, aux toilettes, aux salles de classe et aux bureaux, mais également pouvoir remplir des formulaires. Les gens ont besoin d’avoir accès aux nouvelles, aux politiques, aux listes de lecture ainsi qu’au personnel enseignant. De plus, l’accès aux évènements, mais également au sentiment de camaraderie, aux conversations et aux relations qui accompagnent la vie universitaire doit être garanti. En bref, les gens ont besoin de sentir que leur participation est légitime et porteuse de sens et d’appartenance. Une salle de classe, une politique ou une professeure peuvent toutes être examinées du point de vue de l’accessibilité. (p. 7)

Comprendre l’accès comme une relation d’interprétation entre les corps signifie que les perceptions de l’accessibilité peuvent différer. Par exemple, un bâtiment pourrait être conçu pour être entièrement accessible aux personnes en fauteuil roulant et en même temps inaccessible aux personnes aveugles et malvoyantes. De même qu’une conférence peut être accessible aux personnes aveugles, mais inaccessible aux personnes sourdes ou malentendantes. Les accommodements peuvent donc être compris comme un moyen de combler les lacunes en matière d’accessibilité.

Il faut savoir cependant que les accommodements sont soumis à une analyse des couts. Au Canada, les employeurs ont l’obligation légale d’accommoder leur personnel à moins que l’accommodement n’entraine une contrainte excessive. Le critère de la contrainte excessive est déterminé en examinant les couts liés à l’accommodement ainsi que d’autres facteurs tels que la perturbation des activités, les risques pour la santé et la sécurité et l’atteinte à d’autres droits du personnel (Commission ontarienne des droits de la personne, 2018). DePoy et Gilson (2014) remarquent que « [b]ien que souvent interprété comme une mesure d’équité et d’égalité, l’accommodement raisonnable n’est qu’un autre synonyme d’avantage amoindri […], notez que le terme “raisonnable” précède l’avantage de l’accommodement[2] » (p. 119). Le problème avec les concepts juridiques d’accommodement raisonnable et de contrainte excessive est qu’ils justifient un traitement inégal entre les personnes handicapées et les personnes sans handicap. DePoy et Gilson notent également que le manque de mécanismes de soutien pour obtenir un accommodement peut être aliénant. Ceci a aussi fait partie des conclusions de l’étude de Waterfield, Beagan et Weinberg (2018). Les auteurs ont constaté que les universitaires handicapés n’étaient pas pleinement accueillis et qu’ils et elles ne recevaient pas non plus de soutien de leurs universités respectives lorsqu’ils et elles tentaient d’obtenir un accommodement.

Législation en matière de handicap au Canada :

Au Canada, la législation en matière de handicap relève à la fois de la compétence fédérale et provinciale. Les principales lois fédérales visant les personnes handicapées comprennent la Loi canadienne sur l’accessibilité, la Charte canadienne des droits et libertés, la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Loi sur l’équité en matière d’emploi. La portée de ces lois est limitée dans la mesure où elles relèvent de la compétence fédérale et visent ainsi les entreprises, les industries sous juridiction fédérale ainsi que le personnel du secteur public.

Les lois provinciales, telles que le Code des droits de la personne de l’Ontario (le Code) et la Loi sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario (LAPHO), s’appliquent à toutes les organisations en Ontario. L’objectif du Code est de promouvoir l’égalité ainsi que l’égalité des droits et de veiller à ce que les personnes handicapées « soient exemptes de discrimination là où elles travaillent, vivent et reçoivent des services, et que leurs besoins soient satisfaits » (Code des droits de la personne de l’Ontario, 1990). Lorsqu’une personne a besoin d’accommodement pour l’une des activités énumérées ci-dessus, le Code impose une obligation d’accommodement. Toutes les provinces et tous les territoires du Canada disposent d’une loi provinciale sur les droits de la personne qui offre une protection contre la discrimination fondée sur le handicap.

Ce qui distingue l’Ontario des autres provinces, c’est la LAPHO. L’objectif de la LAPHO est d’atteindre la pleine accessibilité dans la province de l’Ontario d’ici 2025. La LAPHO s’applique aux organisations publiques et privées. Elle peut être caractérisée comme une forme de législation proactive en ce sens qu’elle reconnait que les organisations ont la responsabilité d’éliminer les obstacles et qu’elle oblige les organisations à identifier, prévenir et éliminer les obstacles à l’interne (Loi sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario, 2005). Les universités ontariennes ont déjà commencé à adhérer aux normes de la LAPHO ainsi qu’à citer la loi sur leurs sites Web et dans leurs politiques d’accommodement. Des lois similaires sur l’accessibilité ont récemment été mises en œuvre au Manitoba et en Nouvelle-Écosse. Cependant, il faut noter que les lois contre la discrimination ne fournissent pas de conseils pratiques sur l’élaboration et la mise en œuvre des politiques, ce qui conduit à des incohérences dans la façon dont le handicap est encadré et compris ainsi que dans la manière dont les établissements répondent aux demandes d’accommodement.

Méthodes

Cette analyse des politiques s’est concentrée exclusivement sur les universités au Canada. Les politiques d’accommodement pour les personnes handicapées ont été obtenues au cours de l’année universitaire 2017-2018 en consultant les sites Web de 96 universités membres d’Universités Canada, une organisation nationale qui représente les universités publiques et privées à but non lucratif et qui assure le leadeurship dans l’élaboration de politiques publiques sur l’enseignement supérieur.

Le processus de localisation des politiques d’accommodement pour les personnes handicapées membres du corps enseignant a nécessité diverses recherches par mots-clés et en suivant une série de liens. De nombreuses universités disposaient d’un portail sur l’accessibilité que nous avons trouvé facilement en consultant la liste A à Z sur la page d’accueil de l’université. Alors que certains des portails sur l’accessibilité fournissaient des liens vers le Bureau de l’équité où l’on pouvait trouver des informations sur les mesures d’accommodement offertes au personnel handicapé, ces sites centralisés étaient généralement destinés à la communauté étudiante. Le contenu portait sur le processus d’inscription auprès du Bureau de soutien aux personnes handicapées ainsi que sur les types d’accommodements offerts à la communauté étudiante comme la prolongation du délai pour remettre les travaux et des services de prise de notes. De nombreuses pages sur l’accessibilité comportaient un lien pour le corps professoral, mais l’information se limitait à la façon dont le personnel enseignant pouvait rendre la salle de classe accessible aux étudiantes et étudiants. Aucune information n’était donnée sur la façon dont les membres du corps professoral pourraient eux-mêmes bénéficier d’accommodements et de soutien dans l’exercice de leurs fonctions universitaires.

L’emplacement des politiques d’accommodement pour le personnel enseignant handicapé variait quelque peu d’une université à l’autre, mais on les trouvait généralement via un lien sur la page des ressources humaines de l’université. C’était la norme pour les universités qui s’étaient dotées d’une politique. Lorsqu’il a été impossible de localiser une politique sur le site Web d’une université, un courriel a été envoyé aux ressources humaines demandant un lien ou une copie de la politique en vigueur. Au total, 42 politiques d’accommodement pour les personnes handicapées ont été obtenues et analysées. Au total, 16 universités ont confirmé par courriel qu’elles n’avaient pas de politique d’accommodement officielle en vigueur pour le personnel enseignant. Quelques-unes de ces universités ont mentionné qu’elles étaient en train d’élaborer une politique. L’une d’entre elles a expliqué qu’en raison de la petite taille de l’établissement, aucune demande officielle d’accommodement n’avait été reçue de la part du personnel enseignant. Cette réponse a révélé que les croyances entourant le handicap peuvent avoir un impact négatif sur l’existence ou non d’une politique d’accommodement. Les autres universités n’ont pas répondu ou ont fourni des informations vagues. Le tableau ci-dessous présente le nombre d’universités ainsi que le nombre de politiques d’accommodement obtenues par province.

Tableau 1. Nombre d’universités au Canada ayant des politiques d’accommodement pour les personnes handicapées par province.

Province Nombre d’universités Nombre d’universités où une politique a été localisée/obtenue Nombre d’universités qui ont confirmé qu’elles n’avaient pas de politique en vigueur
Alberta 8 1 3
Colombie-Britannique 11 4 1
Manitoba 6 4
Nouveau-Brunswick 4 0 1
Nouvelle-Écosse 9 1 2
Terre-Neuve-et-Labrador 1 1
Île-du-Prince-Édouard 1 0 1
Québec 19 2 8
Saskatchewan 6 3


Une analyse thématique (Braun et Clarke, 2006) des données a été menée afin d’identifier le sens et d’analyser et présenter les modèles (thèmes) qui y sont abordés. Braun et Clarke expliquent qu’un « thème capte quelque chose d’important à propos des données par rapport à la question de recherche et représente un certain schéma au niveau des réponses ou des significations dans l’ensemble de données » (p. 82). Ils expliquent que l’analyse thématique au niveau latent cherche à découvrir « les idées, hypothèses et conceptualisations – et les idéologies – sous-jacentes qui sont théorisées comme élaborant ou orientant le contenu sémantique des données » (p. 84). Cette analyse a révélé trois thèmes principaux liés aux hypothèses, conceptions et idéologies sous-jacentes. Ces thèmes portaient sur le contenu des politiques, le vocabulaire et les termes clés ainsi que la médicalisation du handicap. Ce qui suit est une discussion de ces trois thèmes. Une attention particulière est accordée au troisième thème, à savoir la conceptualisation médicale du handicap dans les politiques d’accommodement.

Résultats

Malgré l’obligation légale pour les employeurs de fournir des mesures d’accommodement aux personnes handicapées en milieu de travail, seulement 43,75 % des universités au Canada ont une politique écrite d’accommodement pour les membres du corps professoral. Ces données vont dans le même sens que les données d’une étude antérieure portant sur les universitaires canadiens atteints de sclérose en plaques, qui ont révélé qu’en 2013, seulement 27 % des universités au Canada étaient dotées d’un bureau dédié pour aider le personnel enseignant à obtenir un accommodement et que seulement 42 % des universités au Canada avaient une politique écrite (Stone, Crooks et Owen, 2013).

Contenu des politiques sur le handicap

Le contenu des politiques d’accommodement pour les personnes handicapées variait considérablement d’une université à l’autre. L’objectif et la portée des politiques renvoyaient à la législation applicable aux personnes handicapées, comme le Code et la LAPHO (pour les universités ontariennes). Cependant, dans certains cas, la politique réunissait tous les groupes minoritaires et ne concernait pas uniquement ou spécifiquement les personnes handicapées. Par exemple, l’Université de l’ile de Vancouver a une politique intitulée « Mesures d’accommodement pour le personnel ». La politique est brève et commence par la déclaration suivante :

L’Université de l’ile de Vancouver s’engage à traiter l’ensemble des membres de son personnel de manière équitable et à tenir compte des différences individuelles de chacun en lien aux motifs protégés par les droits de la personne, tels que le handicap permanent ou temporaire, la religion et le genre. Les mesures d’accommodement sont une adaptation raisonnable du lieu de travail, des responsabilités, de l’horaire ou de l’affectation d’une personne pour tenir compte de ces différences individuelles. (Université de l’ile de Vancouver, 2016)

Dans le même ordre d’idées, la politique de l’Université de Winnipeg intitulée « Politique d’accommodement en milieu de travail » présente la définition des caractéristiques protégées suivante :

Ascendance, y compris la couleur et la race perçue; nationalité ou origine nationale, religion ou croyance religieuse, association ou activité religieuse; âge; sexe, y compris la grossesse; identité de genre, orientation sexuelle, état matrimonial et familial, source de revenus, convictions politiques, handicap physique ou mental et désavantage social. (Université de Winnipeg, 2016)

La politique de l’Université de Winnipeg ne concerne pas spécifiquement les accommodements destinés aux personnes handicapées, mais est plus largement axée sur les accommodements fondés sur un motif protégé. De même, la politique de l’Université de l’Alberta s’intitule « Politique relative à la discrimination, au harcèlement et à l’obligation d’accommodement ». La section sur l’objet stipule ce qui suit :

Cette politique exprime l’engagement de l’université pour favoriser un environnement de travail, d’études et de vie exempt de discrimination et de harcèlement, et garantit que l’Université de l’Alberta respectera à la fois ses obligations en vertu de la loi et ses responsabilités éthiques en tant qu’établissement d’enseignement supérieur. Ces responsabilités juridiques et éthiques comprennent l’obligation d’accommodement et l’offre de possibilités aux personnes qui ont besoin d’un accommodement en raison d’un motif protégé par la loi. (Caractère gras dans l’original) (Université de l’Alberta, 2017)

Un autre exemple peut être trouvé dans l’énoncé de l’objectif de la « Politique d’accommodement en emploi » de l’Université Brock, qui se lit comme suit :

L’objectif de cette politique est de souligner l’engagement de l’Université Brock (l’université) à fournir un environnement inclusif et exempt d’obstacles fondés sur l’âge, la race, l’ascendance, le lieu ou l’origine, la couleur, l’origine ethnique, la citoyenneté, la croyance, le sexe, l’identité de genre, l’expression de genre, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation familiale et le handicap, en remplissant son obligation de fournir au personnel des accommodements appropriés en milieu de travail, qu’ils soient de nature temporaire ou permanente. (Université Brock, 2016)

Les politiques citées ci-dessus abordent les accommodements d’un point de vue plus large. Bien qu’elles reconnaissent l’importance de la diversité, les politiques globales sont problématiques dans la mesure où elles ne parviennent pas à éliminer les obstacles uniques et de grande envergure auxquels les personnes handicapées sont confrontées.

Un thème récurrent dans certaines des politiques était la notion de fournir l’accommodement avec dignité. Par exemple, l’Université de l’École d’art et de design de l’Ontario affirme que

[l]e personnel handicapé a le droit de travailler dans un environnement respectueux de leur dignité. La dignité humaine englobe le respect de soi et l’estime de soi. Elle concerne l’intégrité physique et psychologique ainsi que l’émancipation. L’université élaborera des mesures d’accommodement dans le respect de la dignité du personnel handicapé. (OCAD, 2010)

La politique d’accessibilité du Collège Trinity fait écho à ce sentiment et stipule que « le collège s’engage à créer un environnement accessible et inclusif pour tout le monde qui respecte la dignité et l’indépendance des personnes handicapées » (Trinity College, 2015). L’Université Saint-Paul déclare au début de sa politique qu’elle « s’engage à fournir des biens et des services d’une manière qui respecte la dignité et l’autonomie de chaque membre du personnel administratif, du personnel enseignant, de la population étudiante ainsi que des visiteurs et visiteuses » (Université Saint-Paul, 2014). Le premier élément de la politique du Collège universitaire Brescia stipule ce qui suit :

Le Collège universitaire Brescia s’engage à reconnaitre la dignité et l’indépendance de tout le personnel, de la communauté étudiante, du corps professoral et des visiteurs et visiteuses, et cherche à garantir que les personnes handicapées aient un accès réel, ouvert et sans entrave aux biens, services, installations, logements, emplois, bâtiments, structures et locaux de l’université. (Brescia, 2010)

Parfois, l’utilisation du mot « dignité » contredisait d’autres termes dans la politique. Par exemple, la politique de l’Université d’Ottawa stipule que l’université « s’engage à créer et à maintenir un environnement de travail, d’enseignement et d’apprentissage accessible et sans obstacle, et d’adhérer aux principes d’intégration, de dignité et d’égalité des chances pour les employées ayant un handicap » (Université d’Ottawa, 2018). Le handicap est ensuite défini en utilisant la définition prévue par le Code. Cette définition comprend des termes comme infirmité, malformation, défigurement, anomalie et maladie (Code des droits de la personne de l’Ontario, 1990). L’incapacité à définir le handicap d’une manière qui s’écarte des définitions médicales et dénigrantes contredit l’engagement de l’université à maintenir la dignité.

Ahmed (2012) examine les déclarations sur la diversité au sein des universités et soutient que même si elles s’engagent à valoriser la diversité, ce qui est communiqué dans les rapports, les énoncés de mission et les politiques est souvent très différent de ce qui est vécu. Ahmed explique que l’un des problèmes avec « le vocabulaire relatif à l’engagement » est qu’en fait, il n’engage les universités à rien (p. 114). Ahmed qualifie les déclarations d’engagement de « non performatifs » en ce sens qu’elles n’entrainent pas nécessairement d’actions concrètes (p. 117). Pour que les déclarations d’engagement soient performatives, d’autres pratiques et procédures institutionnelles doivent être mises en œuvre. De plus, Ahmed souligne que le vocabulaire relatif à l’engagement peut parfois « freiner l’action en présentant l’université ou l’organisation comme étant “déjà engagée” » […] (p. 129). Par exemple, une université dotée d’une politique d’accommodement pour les personnes handicapées pourrait diminuer ses efforts pour rendre son campus plus accessible et surveiller les pratiques en matière d’accessibilité. Ahmed suggère que l’adoption de politiques est considérée par les universités comme une action entreprise pour atteindre la diversité. Cependant, elles doivent aller au-delà de l’adoption de politiques pour parvenir à une réelle mise en application des dispositions de ces dernières et fournir des mesures d’accommodement. Ahmed souligne également que l’engagement des établissements évolue en parallèle aux exigences juridiques. En fin de compte, les universités « s’engagent » envers la diversité parce qu’elles sont légalement tenues de le faire.

En plus d’énoncer leur engagement envers les accommodements, certaines politiques présentent une liste des mesures d’accommodement disponibles. Par exemple, l’OCAD fournit les exemples d’accommodements suivants :


  • Services de soutien humain tels que des interprètes en langue des signes, des lecteurs, etc.;

  • Aides et dispositifs techniques et technologies adaptées;

  • Modifications mineures du poste de travail ou du bureau;

  • Refonte du poste;

  • Réaffectation et autre emploi;

  • Horaire de travail flexible ou réaménagé;

  • Affectations temporaires de réadaptation;

  • Plans de reclassement (OCAD, 2010)

  • D’autres politiques mentionnent l’importance de travailler étroitement avec les individus pour mettre en place des mesures d’accommodement qui répondent à leurs besoins spécifiques. Par exemple, l’Université Carleton déclare que « [l]es mesures d’accommodement en matière d’emploi sont évaluées sur une base individuelle puisque les limitations qui sont traditionnellement attribuées à une condition invalidante donnée ne peuvent pas être généralisées » (Université Carleton, 2018). Toutefois, l’absence d’accommodements standardisés était un problème noté par Waterfield, Beagan et Weinberg (2018). Les auteurs rapportent l’expérience suivante d’une participante de leur étude :

    […] en cherchant à obtenir des accommodements pour sa maladie chronique, Lana a constaté qu’elle ne recevait aucun soutien de son université et qu’il lui incombait de déterminer ce dont elle avait besoin et comment y avoir accès. À l’époque, Lana était assez malade, ce qui rendait le processus lourd et imprévisible. (p. 336)

    Les auteurs ont constaté que l’absence d’une liste d’accommodements standardisés disponibles suggère que le handicap est un problème individuel que les personnes handicapées doivent prendre en charge elles-mêmes. À propos d’une autre participante, Kathryn, ils décrivent son expérience comme suit :

    Kathryn devait identifier les adaptations nécessaires et les proposer aux ressources humaines de son université. Elle avait souvent l’impression d’être perçue comme une « quêteuse » lorsqu’elle demandait de nouveaux accommodements, et elle trouvait cela difficile sur le plan émotionnel de devoir constamment identifier ses besoins pour que l’administration les évalue et les approuve. (p. 336)

    Le récit de Lana et Kathryn illustre que l’individualisation des accommodements et l’exigence que le personnel enseignant identifie les accommodements nécessaires peuvent avoir comme conséquence de contribuer à l’expérience négative du handicap.

    Une autre situation à considérer est que certaines personnes pourraient ne pas savoir ce dont elles ont besoin ou les types d’accommodements qui sont disponibles. Smith et Andrews (2015) soulignent que les professeures et professeurs qui acquièrent un handicap plus tard dans leur carrière peuvent ne pas savoir que des accommodements sont à leur disposition. Pourtant, d’autres préfèrent identifier eux-mêmes les accommodements qui leur conviennent. Smith et Andrews ont examiné l’expérience d’universitaires sourds et malentendants et ont rapporté que « le besoin réel d’adaptation et de ressources peut varier selon le type et le niveau de perte auditive ainsi que les préférences de communication et les compétences de l’individu » (1524). Smith et Andrews (2015, p. 1524) mettent en garde contre les suppositions en ce qui a trait au type d’accommodement qui serait utile et recommandent de demander aux personnes enseignantes ce dont elles ont besoin :

    […] D’après notre expérience, certains responsables du campus préfèrent décider des mesures d’accommodement dont les membres du personnel enseignant sourds ou malentendants ont besoin. Cela est arrivé à une membre du corps professoral devenue sourde qui a vu ses demandes de transcription en temps réel être refusées à plusieurs reprises. Au lieu de cela, les fonctionnaires ont insisté pour qu’elle ait recours à un transcripteur qui portait un petit microphone et un seul hautparleur (Akers vs University of Nebraska, U.S. District Court for the District of Nebraska 2011). Un autre exemple dans lequel des responsables du campus ont dépassé les limites est celui où ils ont recommandé à une membre sourde du corps professoral de suivre une thérapie en orthophonie « pour améliorer ses compétences en lecture labiale afin qu’elle n’ait pas besoin d’un interprète en langue des signes » (Harbour 2013).

    La citation ci-dessus illustre l’importance de reconnaitre l’expérience subjective du handicap lors de la proposition d’un accommodement et révèle à quel point un accommodement inapproprié peut être aliénant. Il peut être fastidieux pour les membres du corps enseignant de devoir déterminer leurs propres accommodements s’ils ne connaissent pas les accommodements qui pourraient leur convenir. L’université doit soutenir le personnel enseignant en fournissant des options et des idées sur la manière dont les personnes peuvent être accommodées, mais ces dernières doivent également avoir le pouvoir de demander l’accommodement spécifique dont elles ont besoin.

    Certaines des politiques d’accommodement pour les personnes handicapées qui ont été analysées décrivaient les sources de financement au sein de l’université et les dépenses admissibles ainsi que le rôle des ressources humaines et du syndicat, tandis que d’autres politiques étaient assez brèves et ressemblaient davantage à une déclaration de l’engagement de l’université à fournir des mesures d’accommodement plutôt qu’à une politique à proprement parler. Dans ces cas, on encourageait le personnel à communiquer avec un bureau spécifique, comme le Service d’équité en matière d’emploi et d’accessibilité.

    Les variations d’une université à l’autre en ce qui concerne le contenu des politiques étaient quelque peu surprenantes étant donné l’obligation légale pour toutes les universités de se conformer à la législation en vigueur et de fournir des accommodements à leur personnel handicapé. L’élément qui était uniforme dans toutes les universités était les références à la législation provinciale. Des définitions juridiques de termes comme « obligation d’accommodement », « accommodement raisonnable » et « contrainte excessive » sont fournies pour illustrer la façon dont l’accommodement est évalué. La section suivante examine certains éléments du vocabulaire et des termes clés utilisés dans les politiques d’accommodement dans le but de mieux comprendre la façon dont le handicap est encadré et situé dans le discours.

    Vocabulaire et termes clés

    Pour qu’une politique décrive efficacement la façon dont un établissement ou une organisation réagit à une situation particulière, il est nécessaire d’articuler des définitions claires et pertinentes des termes clés. Cette analyse des politiques a révélé un manque général de cohérence entre les universités lorsqu’il s’agit de fournir des définitions des termes clés, tels que « handicap » et « accommodement ». Sur une note plus positive, les définitions d’« accommodement » qui ont été présentées mettaient l’accent sur l’élimination des obstacles, l’adaptation des espaces de travail et la prévention de la discrimination. Prenons les définitions suivantes :

    Accommodement : devoir de l’Université de ne pas discriminer un membre du personnel ou une personne candidate à un poste. Il peut s’agir de toute mesure temporaire ou permanente utilisée pour éliminer les obstacles qui empêchent une personne par ailleurs qualifiée d’accomplir ou de remplir les fonctions essentielles à un emploi. L’université tente de répondre aux besoins liés à l’emploi des personnes candidates et des membres du personnel qui sont visés par la Loi de 2010 sur les droits de la personne, à moins que cela n’entraine une contrainte excessive. (Université Memorial, 2015)

    [L’accommodement] fait référence à la conception et à l’adaptation de l’environnement de travail aux besoins du plus grand nombre possible de types de personnes et, selon la Cour suprême du Canada, fait référence à ce qui est requis dans les circonstances de chaque cas pour éviter la discrimination. (Université Western, 2018)

    L’accommodement est un moyen de prévenir et d’éliminer les obstacles qui entravent la pleine participation et l’accès sur la base des motifs de discrimination interdits. Il ne s’agit pas d’un geste de courtoisie ou d’une faveur. Ce n’est pas non plus un nivèlement vers le bas. L’adaptation est plutôt une reconnaissance du fait que les individus peuvent avoir besoin de certains ajustements pour soutenir leur performance au travail ou en classe. L’offre d’accommodement repose sur les trois principes suivants : dignité, individualisation [et] inclusion. (Université McMaster, 2015)

    La définition de la politique de l’Université McMaster décrit clairement ce qu’est un accommodement et ce que ce n’est pas. Ceci est particulièrement utile pour établir que l’accommodement ne consiste pas à réduire les standards, mais plutôt à modifier l’environnement de manière à rendre la participation possible.

    L’Université de la Saskatchewan fournit une définition du terme « accommodement » qui diffère en ce qu’elle se situe dans un cadre légal et médical :

    Selon la Loi sur l’emploi de la Saskatchewan, l’accommodement est défini comme « la modification des tâches ou la réaffectation du membre du personnel ». Par conséquent, un accommodement dépendra d’un certain nombre de facteurs, notamment la nature de l’invalidité, le pronostic, les restrictions/limitations médicales et les capacités ainsi que les activités de l’employeur, la disponibilité du travail et les ressources financières et humaines. Un accommodement peut être temporaire ou permanent. (Caractère gras dans l’original) (Université de la Saskatchewan, 2017)

    La première difficulté que nous avons avec cette définition est qu’elle définit à tort l’accommodement comme « la modification des tâches ou la réaffectation d’un membre du personnel ». Un accommodement ne prend pas nécessairement la forme d’une modification ou d’une réaffectation. Par exemple, une personne qui utilise un fauteuil roulant peut avoir besoin d’être accommodée en programmant ses cours dans des salles de classe auxquelles elle peut accéder. Un membre du corps professoral qui est sourd ou malentendant peut avoir besoin d’interprétation en langue des signes ou de services de sous-titrage en direct pour pouvoir communiquer avec les étudiantes et étudiants. De même, un membre du corps professoral malvoyant ou aveugle peut avoir besoin d’un logiciel de lecture d’écran, de livres audios, d’agrandissement de texte ou de braille. Dans ces exemples, il n’est pas nécessaire de modifier les tâches ou de réaffecter la personne. Ainsi, l’utilisation d’autres moyens pour accomplir des tâches peut également constituer un accommodement.

    La deuxième difficulté avec la définition de l’accommodement de l’Université de la Saskatchewan est qu’elle met l’accent sur la pathologie individuelle en suggérant que l’accommodement dépend de facteurs tels que « la nature de l’invalidité de la personne, son pronostic, ses restrictions/limitations médicales et ses capacités ». Cela implique que l’accommodement est offert pour des raisons médicales. La réalité est que le handicap n’est pas nécessairement de nature médicale. Haegele et Hodge (2016) soulignent que « certaines déficiences ne peuvent être éliminées ou améliorées grâce aux avancées médicales » (p. 195). Enfin, cette définition semble vouloir justifier les cas où un accommodement ne serait pas fourni en raison « des activités de l’employeur, de la disponibilité du travail et des ressources financières et humaines ». Ceci ne traduit pas le soutien et l’engagement de l’institution à fournir l’accommodement, mais laisse plutôt penser que l’accommodement pourrait être un inconvénient pour l’université et pourrait ne pas être disponible en fonction des ressources nécessaires.

    Ces définitions du terme « accommodement » mettent en évidence la multitude de facteurs qui influencent et façonnent le processus d’accommodement. Par ailleurs, la définition de l’Université McMaster reflète les principes de dignité, d’individualisation et d’inclusion, tandis que celle de l’Université Western fait allusion à une obligation légale de prévenir la discrimination. L’Université de la Saskatchewan présente quant à elle une définition de l’accommodement qui met l’accent sur les perspectives juridiques et médicales. L’accommodement se situe dans une approche fondée sur les droits et comme moyen d’obtenir l’inclusion dans certaines politiques et comme réponse à une pathologie individuelle dans d’autres. La façon dont une université présente les mesures d’accommodement offertes est importante en ce sens qu’elle influence la façon dont les membres du personnel vivront le handicap et si les personnes se sentiront soutenues dans le processus d’obtention d’accommodements.

    Médicalisation du handicap

    Un thème clé qui est ressorti de cette analyse des politiques est l’utilisation d’un vocabulaire et de termes médicaux pour définir le handicap. Ce thème, recoupant le vocabulaire et les termes clés, mérite d’être approfondi. Le problème avec une vision majoritairement médicalisée est qu’elle situe le handicap dans un paradigme de normalité. En examinant la construction de la normalité, Davis (2006) affirme que « le “problème” n’est pas la personne handicapée; le problème est la façon dont la normalité est construite pour créer le “problème” de la personne handicapée » (p. 3). Lorsqu’il est évalué par rapport à des normes ontologiques, le corps handicapé est considéré comme un problème qui doit être réglé. Les personnes handicapées sont souvent encouragées à avoir un corps idéal ou « normal » grâce à un traitement médical, à la réadaptation et à l’utilisation de diverses technologies d’assistance qui visent toutes à aider, réparer, réhabiliter ou fournir un certain fonctionnement « normal » (Oliver, 1990; Patterson, 2000; Moser, 2006; Hansen et Philo, 2009).

    Le modèle social a émergé en réponse à la médicalisation du handicap et postule que le handicap n’est pas causé par une déficience, mais qu’il est socialement construit à travers des barrières architecturales, environnementales et comportementales qui ne tiennent pas compte de la déficience (Oliver 1990, Davis 2018). Davis (2018) fait la distinction entre « avoir une déficience » et « être handicapé·e » comme suit :

    Une déficience est une limitation physique ou mentale. Il se peut donc que vous ne puissiez pas marcher et que vous deviez utiliser un fauteuil roulant. Il s’agit d’une déficience qui vous est propre, mais dans une université ou une ville dotée de rampes et d’ascenseurs, cette déficience ne vous limite pas vraiment. […] Vos roues font le travail! Mais elles ne le font pas lorsqu’elles s’arrêtent brusquement devant un escalier. Dans le modèle social, la déficience devient un handicap lorsque l’environnement n’est pas accessible (p. 7).

    Hansen et Philo (2009) reconnaissent la pertinence de l’expérience corporelle et examinent la vision et la compréhension des corps et des espaces à travers une lentille normative. Ils plaident pour le retour du corps dans les discussions entourant le handicap et affirment qu’en regardant le corps et ses interactions avec les environnements sociospatiaux, nous pouvons comprendre la manière dont les espaces et les attitudes sociales excluent les personnes handicapées. Hansen et Philo plaident pour un changement de paradigme passant de l’accommodement qui « aide » les personnes handicapées à faire les choses « normalement » à la reconnaissance de la « normalité de faire les choses différemment » (p. 251).

    La façon de définir le handicap est importante dans la mesure où elle a un impact sur la façon dont les personnes handicapées sont perçues par les autres, les attentes de ces derniers à leur sujet et leur manière d’interagir avec les personnes handicapées (Haegele et Hodge, 2016). Le vocabulaire enraciné dans la médicalisation perpétue une vision pathologique du handicap, que l’on conçoit comme associé à un « corps problématique » plutôt que comme une combinaison d’attributs incarnés et d’arrangements sociaux et environnementaux. Par exemple, l’Université des Premières Nations du Canada désigne le personnel handicapé comme des « employé.es ayant une déficience médicale ». Certains des rôles et responsabilités décrits sont de nature ouvertement médicale :

  • Obtenir en temps opportun un traitement médical approprié et fournir à l’université des informations relatives aux capacités, limitations ou restrictions actuelles et au pronostic de récupération.

  • Suivre tous les traitements et rééducations prescrits par les professionnel·les de la santé et les professionnel·les paramédicaux. (Université des Premières Nations du Canada, 2014)

  • L’utilisation d’un vocabulaire médical faisant appel à des termes tels que « traitement médical », « capacités », « limitations », « restrictions » et « réadaptation » implique que le handicap est une condition médicale inhérente à l’individu plutôt qu’une expérience dans laquelle les facteurs sociaux jouent un rôle. En outre, des termes tels que « traitements », « prescrits », « professionnel·les de la santé et professionnel·les paramédicaux » attribuent le statut de « patient » à la personne qui demande un accommodement. Le problème avec cette situation est que la prolongation de la déficience dans le temps peut être considérée par l’université comme le manquement du « patient » ou de la « patiente » à se conformer au traitement médical. Les deux éléments ci-dessus sont rédigés de manière à suggérer que la déficience n’est pas permanente et peut être traitée par la réadaptation, ce qui n’est pas nécessairement le cas. Par exemple, la cécité, la surdité et un large éventail de conditions physiques ne peuvent être traitées par la réadaptation.

    Toutes les politiques ne fournissaient pas une définition du handicap. Celles qui en présentaient une avaient tendance à mettre l’accent sur les déficiences physiques, sensorielles et cognitives et à ne pas aborder les facteurs sociaux qui contribuent au handicap comme les barrières comportementales et environnementales. Prenons la définition suivante qui se trouve dans la politique d’accommodement de l’Université du Manitoba :

    Aux fins de cette politique et de la procédure connexe, un membre handicapé du personnel ou de la communauté étudiante est une personne qui a une déficience mentale, cognitive, physique ou sensorielle pour laquelle elle peut avoir besoin d’un accommodement. (Université du Manitoba, 2010)

    La définition ci-dessus, bien qu’utile pour déterminer qui pourrait demander un accommodement et en bénéficier, ne permet pas d’expliquer la contribution des attitudes négatives, des pratiques capacitistes et des barrières environnementales au handicap et la manière dont les accommodements peuvent s’intégrer aux pratiques et dispositions environnementales et sociales pour faciliter l’accès.

    La législation pour prévenir la discrimination joue un rôle clé dans la façon dont les universités prennent en charge le handicap et contribue même parfois à la compréhension ouvertement médicale du handicap. Plus d’un tiers des politiques d’accommodement dans les universités de l’Ontario n’incluaient pas de définition du handicap, alors que plus de la moitié des politiques d’accommodement des universités ontariennes utilisaient la définition de handicap proposée par le Code. Le Code interdit les actes de discrimination fondés sur le handicap. Cependant, il utilise une définition pathologique qui catégorise le handicap dans un cadre conceptuel de normalité. Le handicap est défini à l’article 10 du Code comme :

    (a) tout degré d’incapacité physique, d’infirmité, de malformation ou de défigurement dû à une lésion corporelle, une anomalie congénitale ou une maladie, et, notamment, le diabète sucré, l’épilepsie, un traumatisme crânien, tout degré de paralysie, une amputation, l’incoordination motrice, la cécité ou une déficience visuelle, la surdité ou une déficience auditive, la mutité ou un trouble de la parole, ou la nécessité de recourir à un chien-guide ou à un autre animal, à un fauteuil roulant ou à un autre appareil ou dispositif correctif; (b) un état d’affaiblissement mental ou une déficience intellectuelle; (c) une difficulté d’apprentissage ou un dysfonctionnement d’un ou de plusieurs des processus de la compréhension ou de l’utilisation de symboles ou de la langue parlée; (d) un trouble mental; (e) une lésion ou une invalidité pour lesquelles des prestations ont été demandées ou reçues dans le cadre du régime d’assurance créé aux termes de la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail. (Code des droits de la personne de l’Ontario, 1990)

    Des termes tels que « anomalie », « dysfonctionnement », « trouble », « défigurement » et « malformation » sont utilisés comme un moyen de distinguer le fonctionnement normal de ce qui est considéré comme « anormal » (Saltes, 2013). Réduire le handicap à des corps défectueux qui s’écartent des normes ontologiques établies a été contesté par les spécialistes du handicap qui ont cherché à recadrer les conceptions du handicap de manière à reconnaitre les dimensions sociales, culturelles, environnementales, économiques et politiques (voir, Shakespeare et Watson, 2001; Thomas, 2002; Oliver, 1990; Goodley, 2012; Saltes, 2013).

    La médicalisation du handicap renforce ce que Siebers (2008) appelle « l’idéologie des capacités » (p. 8). Siebers postule que fondamentalement, l’idéologie des capacités peut être définie comme une préférence pour les capacités physiques. Il explique que la différence entre handicap et capacités peut être comprise par « l’idée que le handicap est essentiellement une “question médicale” alors que les capacités concernent les dons naturels, les talents, l’intelligence, la créativité, les prouesses physiques, l’imagination, le dévouement, l’aspiration, y compris la capacité et le désir d’aspirer à mieux. En bref, l’essence de l’esprit humain » (p. 8). Siebers propose une théorie de « l’incarnation complexe », qui vise à faire la lumière sur l’impact des barrières environnementales sur « l’expérience vécue du corps par les gens » (p. 8). De même, Davis (2018) remarque qu’« une façon de penser le handicap est de le concevoir comme un ensemble de relations sociales » (p. 3). Reconnaitre que le handicap découle de la relation entre les corps, les déficiences et les barrières socialement construites est important, car la responsabilité se trouve transférée de l’individu à l’établissement, ce qui permet un examen critique du rôle des universités dans l’accessibilité de l’environnement universitaire.

    Le langage médicalisé utilisé dans les politiques d’accommodement perpétue l’idéologie dominante de la normalité et des capacités physiques comme marqueurs de « l’aptitude physique » et de la compétence. La compétence des membres du corps professoral est comprise en relation avec l’intellect, la capacité d’enseignement et le service, et est implicitement mesurée à travers les capacités physiques, sensorielles et cognitives. Par conséquent, pour bénéficier d’un accommodement, le corps professoral est tenu d’obtenir un diagnostic médical qui s’inscrit à l’intérieur de la définition du handicap des universités.

    Comme c’est le cas pour la communauté étudiante, pour bénéficier d’accommodements, le corps professoral handicapé doit soumettre une demande accompagnée de documents médicaux. La politique de l’Université de la Saskatchewan exige que « les parties prenantes, et en particulier le personnel, sollicitent de leurs prestataires de soins médicaux respectifs (le cas échéant) des documents médicaux clairs et suffisants en temps opportun pour aider à déterminer le travail approprié par rapport aux limites, restrictions et pronostic. » De même, l’Université Lakehead déclare que « [l]a demande d’accommodement doit être appuyée par des documents médicaux appropriés ». La politique stipule en outre ce qui suit :


    Un accommodement ne sera pas mis en place tant que l’université n’aura pas reçu la documentation médicale requise. La documentation doit :

  • confirmer une déficience qui empêche l’employé·e d’accomplir toutes les tâches associées à son emploi actuel

  • décrire les restrictions et limitations spécifiques qui doivent être prises en compte

  • préciser la durée de l’accommodement (Université Lakehead, 2015).

  • Ici, l’obligation de confirmer qu’en raison d’un handicap, l’employé·e est incapable d’accomplir « toutes les tâches associées à son emploi actuel » est particulièrement problématique. La réalité est qu’un handicap peut empêcher un membre du personnel d’accomplir certains aspects de ses fonctions, mais pas nécessairement « toutes les tâches ». Cette exigence est difficile à satisfaire et a pour effet de renforcer les stéréotypes négatifs et inexacts sur le handicap dépeignant les personnes handicapées comme des personnes incompétentes. De plus, cette exigence ne tient pas compte du fait qu’une capacité limitée à exécuter certains aspects de ses fonctions pourrait être le résultat de modifications ou de conditions changeantes liées à l’environnement de travail.

    L’Université de la Saskatchewan situe l’accommodement dans un contexte purement médical, intitulant même sa politique « Lignes directrices pour les accommodements médicaux », et déclare que « l’employeur a une obligation légale et a la responsabilité principale d’examiner des pistes d’accommodements raisonnables lorsque le personnel a des besoins médicaux » (Université de la Saskatchewan, 2017). Les définitions des termes clés sont fournies dans la politique, mais elles sont ancrées dans un contexte médical. Rappelons-nous, par exemple, la définition du terme « accommodement » présentée plus tôt qui mettait l’accent sur « la nature de l’invalidité de la personne, son pronostic, ses restrictions/limitations médicales et ses capacités » (Université de la Saskatchewan, 2017).

    De plus, la politique ne présente pas de définition du terme « handicap ». Ce terme apparait à la première page comme suit : « il y a un accommodement permanent lorsqu’un membre du personnel a des restrictions et des limitations permanentes et nécessite des ajustements continus à l’emploi et/ou aux heures de travail qu’il/elle avait avant son handicap ou pourrait nécessiter un autre emploi » (caractère gras dans l’original) (Université de la Saskatchewan, 2017). Le terme « avant son handicap » implique que le handicap est quelque chose qui s’acquiert après le début de l’emploi. L’idée que les employés pourraient avoir besoin d’un accommodement dès leur embauche semble être négligée. De plus, le ton ouvertement médical de la politique situe le handicap à l’intérieur de l’individu comme un « problème » d’ordre biomédical. En se référant au handicap en termes strictement médicaux, la politique définit implicitement le handicap comme une déficience et omet de reconnaitre que la situation de handicap se produit lorsque les barrières architecturales, environnementales et comportementales ne tiennent pas compte de la déficience. Un membre du corps professoral sourd ou malentendant peut ne pas être en situation de handicap lorsqu’il/elle accède aux espaces physiques sur le campus et dans son bureau pour corriger des devoirs ou écrire, mais s’il/elle doit comprendre des échanges quand les étudiant·es parlent en classe et suivre ce qui se dit aux réunions départementales et de comité, la personne sera probablement en situation de handicap. Dans cet exemple, ce n’est pas la déficience auditive elle-même qui crée la situation de handicap. Elle est plutôt créée par les attentes envers le membre du corps professoral. De même, les membres du corps professoral qui utilisent un fauteuil roulant seront en situation de handicap s’ils/elles doivent enseigner dans des bâtiments qui ne disposent pas d’ascenseurs ni de rampes adéquates ou si ces bâtiments ne disposent pas de salles de classe et de toilettes accessibles en fauteuil roulant.

    L’exigence de fournir des documents médicaux était mentionnée dans les politiques qui incluaient de l’information ou des instructions sur la façon de faire une demande d’accommodement. L’Université Nipissing, par exemple, déclare ce qui suit :

    L’Université Nipissing exige des documents du médecin de l’employé·e en ce qui concerne les mesures d’accommodement demandées. Veuillez prendre note qu’il n’est pas nécessaire de décrire le handicap ou de fournir le diagnostic spécifique. Cependant, l’université doit savoir que l’employé·e a un handicap ou un diagnostic qui nécessite un accommodement afin d’être productif ou productive au travail. Le ou la médecin doit énumérer les limitations et les accommodements spécifiques demandés ainsi que la raison pour laquelle l’employé·e a besoin d’un accommodement spécifique […] L’Université Nipissing peut demander un deuxième avis médical au sujet des accommodements spécifiques recommandés par le ou la médecin de l’employé·e. (Université Nipissing, 2016)

    L’Université de Toronto décrit ses exigences en matière de documentation médicale comme suit :

    La demande d’accommodement doit être appuyée par des documents médicaux. Aucun accommodement ne sera mis en place tant que l’université n’aura pas reçu les informations médicales confirmant que l’employé·e a un handicap ainsi que les restrictions et limitations visées par l’accommodement. […] Lorsque des documents médicaux supplémentaires sont nécessaires, HWB envoie un rapport médical que le ou la médecin de l’employé·e ou un autre spécialiste approprié doit remplir et retourner. Le rapport médical est conçu pour recueillir de l’information sur la nature de la condition, les capacités, limitations et restrictions fonctionnelles, le pronostic et la durée de l’accommodement nécessaire (Université de Toronto, 2018).

    Le problème qui se pose lorsqu’on exige des documents médicaux pour accompagner une demande d’accommodement est que la situation de handicap n’émerge pas nécessairement d’un problème médical et peut n’avoir aucune incidence sur la santé. Exiger que des professionnel·les de la santé valident la présence d’un handicap renforce la vision du handicap comme une pathologie et limite la capacité des personnes handicapées à définir leur propre expérience et leurs besoins.

    Gillies et Dupuis (2013) notent que les services offerts aux personnes handicapées dans les universités canadiennes s’articulent autour de l’individu lui-même plutôt que de l’environnement. Cela est mis en évidence dans les procédures décrites dans les politiques selon lesquelles les membres du corps professoral sont tenus de fournir des documents médicaux et de travailler avec des professionnel·les de la santé dans le cadre d’un processus de traitement et de réadaptation continus. Cox (2017) suggère que les classifications du handicap sont problématiques dans la mesure où elles sont étayées par des marqueurs de différenciation dans un cadre normatif où l’administration joue un rôle de surveillance et de vérification de la conformité.

    Même sans obligation de fournir des documents médicaux, divulguer un handicap à un employeur peut être difficile. Stanley, Ridley, Harris et Manthorpe (2011) se sont penchées sur les questions entourant la divulgation du handicap en milieu de travail, notamment au sein de la profession enseignante, et ont noté que l’anxiété liée à la divulgation du handicap est liée aux perceptions de compétence. Ils affirment que les individus hésitent à divulguer leur handicap à leur employeur de peur d’être perçus comme incompétents.

    Le point de vue de Stanley et coll. (2011) est étayé par les conclusions d’une enquête menée en 2001 auprès du personnel enseignant par l’Association des professeures et professeurs de l’Université de la Colombie-Britannique. Le sondage a révélé que plus de 150 membres du corps professoral avaient un handicap, citant notamment « des problèmes de dos, des troubles de santé mentale, l’alcoolisme, la dépression, la douleur chronique, une perte auditive, une basse vision, un cancer, l’arthrite et les maladies cardiaques » (Association canadienne des professeures et professeurs d’université, 2001). De nombreuses personnes ont révélé qu’elles continuaient à rencontrer des obstacles en lien avec l’accessibilité. L’enquête a en outre révélé que certains membres du corps professoral n’ont pas divulgué leur maladie ou leur déficience et ont tenté de travailler sans accommodement. L’Association des professeures et professeurs a signalé que « les personnes ont mentionné la crainte que leur employeur ou des collègues découvrent qu’elles avaient une maladie chronique ou une déficience, que leur santé se détériore et que cela mène à la perte de leur emploi ou à la fin de leur carrière universitaire » (Association canadienne des professeures et professeurs d’université, 2001). De plus, le rapport note que « le personnel handicapé a souvent des difficultés à obtenir les informations et les services de soutien nécessaires, même lorsque les services sont disponibles » et que « le milieu universitaire rend difficiles la reconnaissance du handicap et la demande d’accommodement. Les pairs du corps professoral sont des personnes sans handicap très performantes, et la culture universitaire récompense la performance et les horaires exigeants » (Association canadienne des professeures et professeurs d’université, 2001). Les résultats suggèrent que la honte associée à l’identification comme personne handicapée a un impact direct sur la divulgation.

    La question de la divulgation dans le contexte de l’emploi a été discutée par d’autres scientifiques. Par exemple, Lindsay, Cagliostro et Carafa (2018) ont effectué une revue de la littérature sur la divulgation en milieu de travail et les demandes d’accommodement, et ont constaté que l’un des principaux défis auxquels les jeunes adultes sont confrontés est de divulguer leur handicap à leur employeur et de demander des accommodements. L’équipe de recherche soutient que l’adoption de politiques et de pratiques adéquates peut influencer la divulgation et aider à créer un environnement de travail positif.

    Résumé des résultats

    Cette analyse des politiques révèle que rien ou presque n’a changé au cours des cinq années écoulées depuis que Stone et coll. (2013) ont signalé que seulement 42 % des universités disposaient d’une politique écrite d’accommodement pour les personnes handicapées. Ce chiffre demeure en grande partie le même puisque seulement 43,75 % des universités au Canada disposaient d’une politique écrite d’accommodement pour le corps professoral au cours de l’année universitaire 2017-2018. Il convient de noter que ce nombre pourrait être plus élevé, car certaines universités n’ont pas répondu au courriel de demande d’accès à leur politique d’accommodement.

    Les conclusions de cette analyse des politiques concordent avec les conclusions de Waterfield, Beagan et Weinberg (2018) selon lesquelles les approches médicalisées de la compréhension du handicap influencent la réaction des universités face au handicap ainsi que la mise en œuvre de leurs politiques et procédures. Fait intéressant, des programmes d’études sur le handicap sont actuellement offerts ou en préparation dans certaines universités canadiennes où les visions médicalisées du handicap sont vivement remises en question. Les universitaires du domaine interdisciplinaire des études sur le handicap plaident pour une meilleure contextualisation du handicap capable de reconnaitre les subjectivités de l’expérience du handicap et les facteurs sociaux et environnementaux qui y contribuent. Bien que les universités affirment le besoin de respecter les principes de dignité dans l’offre d’accommodements pour les personnes handicapées, une approche holistique pour comprendre le handicap n’a pas encore fait son chemin dans la majorité des politiques d’accommodement des universités canadiennes.

    En plus d’une perspective médicalisée dominante qui situe le handicap comme un « problème » à l’intérieur du corps, cette analyse des politiques a révélé que les accommodements fournis aux membres du corps professoral sont largement individualisés. Certaines universités décrivent dans leurs politiques les types d’accommodements disponibles, alors que d’autres imposent aux membres du corps professoral de divulguer leur handicap, de fournir des documents médicaux et de proposer des accommodements. Bien que toutes les politiques d’accommodement des universités au Canada soient étayées par des lois contre la discrimination et des codes provinciaux des droits de la personne, le vocabulaire utilisé dans les dispositions juridiques contribue parfois à l’exclusion et à la marginalisation qu’elles cherchent à combattre en utilisant une terminologie pour définir le handicap enracinée dans un paradigme normatif, catégorisant ainsi la personne handicapée comme « l’autre ».

    Recommandations sur la communication et la mise en œuvre de politiques efficaces en matière de handicap

    Si les universités sont véritablement déterminées à reconnaître la diversité et à promouvoir l’égalité et l’inclusion, elles doivent mettre en œuvre des politiques et des pratiques d’accommodement pour les personnes handicapées qui les soutiennent réellement. L’importance d’une attitude de soutien a été l’une des principales conclusions d’une étude menée par Shier, Graham et Jones (2009). Après avoir recruté des personnes handicapées participant à des programmes de formation à l’emploi au Canada, les auteurs ont constaté que la perception du handicap par l’employeur jouait un rôle essentiel dans la capacité des personnes handicapées à acquérir et à conserver un emploi. Les personnes répondantes ont noté que l’attitude de leur employeur influençait considérablement la présence d’accommodements sur leur lieu de travail et l’ampleur de ceux-ci. Gillies et Dupuis (2013) identifient trois caractéristiques nécessaires pour qu’un campus soit inclusif : une communauté interconnectée qui favorise un dialogue ouvert et des canaux de communication multidirectionnels, une communauté qui offre un soutien et de l’accompagnement en tenant compte des besoins de l’ensemble de ses membres, et une communauté qui se tient informée en se renseignant sur les besoins des membres, qui communique efficacement les services et les programmes disponibles et qui offre des occasions d’apprentissage.

    En 2019, le gouvernement de l’Ontario a mis à jour une ressource en ligne intitulée « Comment élaborer un plan et des politiques d’accessibilité ». La catégorie « Étapes à suivre » commence par l’énoncé suivant : « La loi est souple pour vous permettre d’élaborer vos politiques en matière d’accessibilité et votre plan d’accessibilité de la manière qui convient le mieux à votre organisme. Il n’existe pas de bonne ou de mauvaise façon » (Gouvernement de l’Ontario, 2019). Au contraire, cette analyse révèle que de nombreuses politiques ne sont pas aussi efficaces qu’elles pourraient l’être. Titchkosky (2010) a examiné les pratiques bureaucratiques sur les campus et identifié les moyens par lesquels les politiques peuvent plutôt être utilisées pour éviter d’offrir des mesures d’accessibilité. Elle note, par exemple, que les politiques n’exigent pas toujours que l’administration fournisse des informations en temps opportun, ce qui entraine l’inaccessibilité et l’exclusion des personnes handicapées du campus. La présente analyse des politiques a montré que des politiques d’accommodement et des stratégies de communication plus efficaces sont nécessaires.

    Hutcheon et Wolbring (2012) ont examiné les expériences vécues par des étudiantes et étudiants handicapés de niveau postsecondaire dans des établissements d’enseignement supérieur à Calgary, en Alberta. Les thèmes clés qui ont émergé de leurs réponses sont le capacitisme, un changement et une prise de conscience accrue de leur personne ainsi que les pratiques institutionnelles. Les auteurs ont fourni des recommandations aux décideuses et décideurs politiques sur la base des réponses recueillies. Ils notent que les personnes participantes ont problématisé la notion de « normalité » et « ont exprimé la nécessité d’interroger en continu les scénarios culturels existants concernant la normalité » (p. 45). De plus, les participant·es ont souligné l’importance de reconnaître la diversité lors de l’élaboration des politiques et des programmes d’études ainsi que dans les interactions interpersonnelles. Certaines recommandations ont été formulées de manière à suggérer que le corps professoral contribue au capacitisme au sein de l’enseignement supérieur.

    Hibbs et Pothier (2006) ont également mené des recherches sur les expériences vécues en matière d’accommodement par les étudiantes et étudiants postsecondaires handicapés à l’Université de Victoria. Les auteurs ont souligné un manque de cohérence, car certaines professeures et professeurs étaient plus favorables à l’accommodement que d’autres en fonction de leurs connaissances sur le handicap ou de leur expérience avec celui-ci. Ni Hibbs et Pothier (2006) ni Hutcheon et Wolbring (2012) n’ont discuté des accommodements pour les membres handicapés du corps professoral. Hibbs et Pothier (2006) ont problématisé la médicalisation du handicap en faisant valoir que le vocabulaire médical utilisé dans les politiques impose aux étudiantes et étudiants handicapés la responsabilité d’entreprendre le processus de demande d’accommodement. En situant le handicap comme un problème individuel, ils prétendent que l’université « n’estime pas avoir l’obligation de mettre en œuvre des solutions proactives ou de créer un accès équitable aux programmes et aux cours » (197). Hibbs et Pothier (2006) suggèrent que les processus d’accommodement offerts aux personnes handicapées devraient moins s’appuyer sur l’identité de la personne handicapée comme moyen d’obtenir des accommodements et qu’il devrait être plus flexible. Hutcheon et Wolbring (2012) ont recommandé que les décideuses et décideurs examinent leurs idées reçues concernant les différences et incluent les étudiantes et les étudiants handicapés dans l’évaluation des pratiques et des processus actuels. Cette recommandation peut être étendue pour inclure les membres du corps professoral et le personnel handicapé. Les auteurs proposent également que le vocabulaire employé dans les politiques réponde aux besoins d’une population diversifiée et soit exempt de capacitisme.

    Les chercheurs ont souligné la nécessité de renforcer la collaboration entre les employeurs et les décideuses et décideurs (Westmorland et Williams, 2002) ainsi que d’éduquer les employeurs et le public sur les questions liées au handicap (Shier et coll. 2009). On trouvera ci-dessous 12 recommandations visant à combler certaines lacunes et incohérences dans les politiques d’accommodement pour les personnes handicapées. Ces recommandations réitèrent et complètent les suggestions mentionnées ci-dessus. Bien que cette analyse soit axée sur les établissements canadiens, bon nombre de ces recommandations peuvent être adaptées pour des universités à l’extérieur du Canada. Ces recommandations visent à garantir que les politiques d’accommodement soient visibles, informatives et inclusives, et qu’elles encouragent le personnel à demander les mesures d’accommodement nécessaires.

    1. Premièrement, les universités qui ne disposent pas d’une politique écrite d’accommodement pour le corps professoral et le personnel à l’heure actuelle peuvent commencer par identifier des objectifs institutionnels nécessaires pour atteindre l’accessibilité et offrir des accommodements conformément à la législation provinciale sur les droits de la personne et la lutte contre la discrimination. Pour ce faire, les universités peuvent procéder à un examen des pratiques actuelles et officialiser, par écrit, les étapes et les procédures à suivre lorsque le corps professoral et le personnel ont besoin d’accommodements.

    2. Inclure les personnes handicapées dans l’élaboration et la révision des politiques d’accommodement pour s’assurer que le vocabulaire et les définitions ne sont pas dégradants, contradictoires ou de nature ouvertement médicale et que de l’information adéquate est fournie. Les universités pourraient souhaiter mener un sondage anonyme auprès du corps professoral et du personnel afin de mieux saisir l’efficacité perçue de la politique actuelle ainsi que les ébauches et révisions qui émergeront des travaux.

    3. Décrire clairement l’ensemble des étapes et le personnel à contacter pour obtenir un accommodement. Inclure des échéanciers pour les réponses et les prochaines étapes pour donner une idée de la durée du processus d’obtention d’un accommodement.

    4. Encourager la divulgation du handicap en utilisant un vocabulaire inclusif lors de la description du handicap. Une façon de mettre de l’avant un vocabulaire inclusif peut être de définir le handicap en tenant compte des facteurs sociaux et environnementaux et en démontrant la responsabilité et l’engagement de l’établissement à devenir plus accessible. Par exemple, au lieu d’exiger du personnel qu’il identifie ses restrictions et limitations physiques/sensorielles (situant ainsi le handicap dans le corps), encourager le personnel à identifier les barrières et les obstacles rencontrés au sein du milieu universitaire. Reconnaitre les aspects sociaux et environnementaux du handicap aiderait à transférer la responsabilité de l’accommodement de l’individu à l’université.

    5. Démontrer une volonté de travailler avec les professeures et professeurs pour fournir le type d’accommodement le plus approprié. Encourager les membres du corps professoral à identifier leurs besoins spécifiques en matière d’accommodement (s’ils sont connus) tout en décrivant le type d’accommodement, de services, de soutien et de ressources disponibles. Il peut s’agir d’un aperçu des technologies d’assistance disponibles, des interprètes, des services de sous-titrage, des salles de classe, des toilettes, des bureaux et des espaces de réunion accessibles, de l’information sur la façon dont l’université peut s’adapter à des déficiences spécifiques et sur l’attribution éventuelle de fonds spéciaux pour les accommodements, etc.

    6. Étant donné que les personnes handicapées ont des besoins spécifiques différents de ceux d’autres groupes minoritaires à la recherche d’accommodements, les politiques d’accommodement pour les personnes handicapées doivent être rédigées séparément des autres politiques d’accommodement et contenir des informations pertinentes pour les personnes handicapées. Par exemple, les accommodements religieux ne sont pas comparables aux accommodements pour les personnes handicapées. Les accommodements ne doivent pas être regroupés sous une même catégorie. Ils doivent être présentés séparément afin que les personnes qui recherchent des accommodements pour les personnes handicapées puissent disposer d’une ressource regroupant des procédures et directives claires adaptées à leurs besoins.

    7. Faire référence aux codes provinciaux contre la discrimination et à la législation pertinente sur l’obligation d’accommodement de l’employeur ainsi que des liens fonctionnels devraient continuer à faire partie des politiques d’accommodement. Cette pratique encourage la conformité et les mesures proactives de l’université et aide les membres du personnel à comprendre leurs droits.

    8. Les universités pourraient souhaiter évaluer leurs pratiques actuelles en matière d’exigence de documents médicaux pour soutenir une demande d’accommodement en cas de handicap, en gardant à l’esprit que le handicap n’est pas nécessairement de nature médicale. Si des documents médicaux sont requis pour accommoder un membre du personnel, les universités pourraient envisager d’expliquer pourquoi ces informations sont requises et la manière dont elles seront utilisées par l’université pour fournir un accommodement.

    9. Ensuite, elles devraient décrire comment les données personnelles liées au handicap ainsi que la documentation médicale seront entreposées et protégées. Il s’agit notamment de savoir qui aura accès aux données, à quelles fins et comment les données personnelles et médicales resteront confidentielles.

    10. Une fois la politique élaborée, fournir de l’information claire et facile à trouver sur les mesures d’accommodement pour la communauté étudiante, le personnel, le corps professoral et les personnes en visite. Ces informations peuvent être fournies dans un emplacement centralisé tel qu’un portail sur l’accessibilité. Il faut s’assurer que tout le contenu Web est en format accessible.

    11. Veiller à ce que le processus d’obtention d’un accommodement se fasse dans la dignité, c’est-à-dire qu’il soit accessible et inclusif, et que les personnes qui traitent les demandes communiquent et agissent de manière respectueuse envers les personnes qui font les demandes.

    12. Enfin, les universités pourraient envisager de fournir de l’information sur les politiques d’accommodement à l’ensemble des nouvelles personnes embauchées et envoyer par courriel, une fois par an, des liens et des ressources pertinentes pour le corps professoral. Cela permettrait de s’assurer que le personnel qui pourrait avoir besoin d’un accommodement est en mesure de trouver les ressources et le soutien nécessaires.

    Ces recommandations sont basées sur des observations faites à partir d’un examen des politiques d’accommodement disponibles au cours de l’année universitaire 2017-2018. L’analyse a révélé qu’il existe des différences dans la façon dont les politiques d’accommodement pour les personnes handicapées sont communiquées et dans les informations qu’elles contiennent. L’intégration des recommandations ci-dessus aiderait à parvenir à une approche plus concertée entre les universités.

    Conclusion

    La promotion de l’égalité en éducation occupe une place importante dans la littérature sur les études sur le handicap. Bien que beaucoup d’articles aient été écrits du point de vue des étudiantes et étudiants, il est tout aussi important de penser aux accommodements pour le corps professoral. Le manque d’attention portée aux accommodements pour les professeures et professeurs handicapés peut contribuer à une culture universitaire qui associe implicitement la compétence à la capacité physique ainsi qu’à un environnement dans lequel les universitaires se sentent exclus et sont moins susceptibles de solliciter des accommodements.

    L’efficacité des politiques d’accommodement dépend de la façon dont elles sont communiquées et perçues par les membres du corps professoral. L’emplacement des politiques, le vocabulaire utilisé, les définitions (ou leur absence), la documentation médicale requise ainsi que les ressources et les informations fournies jouent tous un rôle dans l’expérience, positive ou non, du processus de demande d’accommodement en milieu universitaire. La tendance à décrire le handicap en utilisant un vocabulaire principalement médical renforce la médicalisation du handicap, situant l’accommodement pour les personnes handicapées au niveau individuel plutôt qu’au niveau institutionnel. Les politiques difficiles à localiser, vagues et ambigües ou contenant un vocabulaire ouvertement médical peuvent entraver leur efficacité et leur mise en pratique, ce qui entraine des obstacles permanents à l’accessibilité. L’inclusion des personnes handicapées dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques d’accommodement aiderait à élaborer des stratégies visant à éliminer les obstacles liés au handicap dans l’enseignement supérieur.

    Remerciements


    L’autrice tient à remercier Jenepher Lennox Terrion et deux pairs évaluateurs anonymes pour leurs commentaires utiles sur les versions précédentes.

    Financement


    Ce travail a été soutenu par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

    Endnotes

    1. Note de la traductrice : Traduction libre. Toutes les citations de cet article ont été traduites vers le français.
    2. Note de la traductrice : l’auteur fait référence à l’expression en anglais « reasonable accommodation ».

    Références