Introducing critical autism studies (CAS) from Anglophone research

Marie-Eve Lefebvre, Ph. D. candidate
Département de Psychopédagogie et d’Andragogie Université de Montréal

marie [hyphen] eve [dot] lefebvre [dot] 9 [at] umontreal [dot] ca

Nick Chown, Ph. D., M. A.
Chercheur indépendant, Birmingham, Royaume-Uni

npchown [at] gmail [dot] com

Nicola Martin, Ph. D.
Professeure de Justice Sociale et d’Éducation Inclusive
London South Bank University, London, Royaume-Uni

martinn4 [at] lsbu [dot] ac [dot] uk

Résumé

Ces dernières années, un corpus émergent d’Études critiques en autisme (ÉCA) s’est développé dans le but de coconstruire des connaissances scientifiques avec et pour les communautés autistes. Alors que la plupart des ÉCA proviennent du Royaume-Uni et de l’Australie (p. ex., Chown et collab., 2017; Pellicano et collab., 2014), très peu d’entre elles découlent de la recherche en français. Afin de combler cette lacune, cet article vise à introduire les ÉCA dans la littérature scientifique en français.

Nous commençons par présenter les fondements à l’origine du mouvement pour la neurodiversité dans lequel les ÉCA s’inscrivent (Chamak, 2010; Nicolaidis, 2012). Ensuite, nous proposons un survol des théories importantes dans la recherche en autisme, soit le modèle médical et le modèle social du handicap (Chamak, 2010, Rosqvist et collab., 2019). Nous poursuivons en décrivant les principes des ÉCA, soit : la reconnaissance des dynamiques de pouvoir, la mise en relief de la contribution des personnes autistes et l’adaptation de l’environnement d’enquête (Fletcher-Watson et collab., 2019; Pickard et collab., 2021; Rosqvist et collab., 2019; Waltz, 2006). Au regard de ces postulats, nous discutons des obstacles potentiels en lien avec le développement des relations de confiance, les exigences pratiques et l’investissement financier nécessaire, tous indispensables pour soutenir les méthodes collaboratives (Pickard et collab., 2021; Rosqvist et collab., 2019).

Cet article se conclut par des pistes de réflexion qui vont au-delà de la recherche : le changement de langage associé à l’autisme (Fletcher-Watson et collab., 2019; Woods, 2017) et la modification environnementale pour l’inclusion des personnes neurodivergentes (Fletcher-Watson et collab., 2019).

Mots clés: Autisme, recherche émancipatrice, recherche collaborative, études critiques, neurodiversité.



Introduction

Depuis l’essor du terme neurodiversité popularisé par la sociologue australienne Judy Singer dans les années 1990, les communautés autistes tendent à être plus critiques de la recherche actuelle qui, bien souvent, les exclut. Plusieurs travaux sont menés auprès de l’entourage des personnes autistes, comme leur famille et le personnel médical (p. ex., médecin, personnel infirmier, spécialistes) ou scolaire (p. ex., professeur·e, assistant·e, tuteur·trice, mentor·e), plutôt qu’avec les personnes autistes directement (Wehman et collab., 2014). Devant ce manque d’inclusion, un corpus émergent de recherches appelé Études critiques en autisme (ÉCA)[1] se développe dans le but de cocréer des connaissances scientifiques en collaboration avec les communautés autistes. Actuellement, presque l’entièreté des ÉCA proviennent du monde universitaire anglo-saxon, comme le Royaume-Uni, l’Australie (p. ex., Chown et collab., 2017; Fletcher-Watson et collab., 2019; Pellicano et collab., 2014) et en partie des États-Unis (p. ex., Gillespie-Lynch et collab., 2017). Toutefois, très peu d’écrits en français (à l’exception de ceux de la sociologue française Brigitte Chamak) contribuent actuellement à ce bassin émergent de littérature.

Les ÉCA représentent un sous-champ se situant dans les Études critiques du handicap (ÉCH). Goodley et ses collègues (2019) précisent que le terme critique renvoie « à un virage vers le paradigme qualitatif dans les sciences du handicap » (p. 976, trad. libre). Selon ces auteurs, ce champ se préoccupe des situations précaires et opprimantes vécues par les groupes et par les individus en situation de handicaps. De plus, les ÉCH s’intéressent aux politiques, aux arts, à la culture et aux recherches innovantes qui proposent des perspectives progressistes pour travailler en collaboration avec les personnes en situation de handicap en créant des communautés inclusives et en encourageant la cohésion entre leurs membres (Goodley et collab., 2019).

Bien que les ÉCA touchent spécifiquement la population autiste, O’Dell et ses collègues (2016) soutiennent que ce sous-champ de recherche adopte une épistémologie et des méthodes similaires aux ÉCH. Ces approches s’inspirent, comme le mentionne Fine (2019), de la nécessité de « centrer l’expérience des personnes en situation de handicap et [d’examiner] le handicap des points de vue social, culturel et politique » (p. 973, trad. libre). Dans le contexte des ÉCA, la recherche a pour objectif de remettre en question la définition de l’autisme, considéré davantage comme une différence par plusieurs auteur·trice·s adoptant une perspective sociale du handicap. Tout comme l’écrit Fine (2019), cette position renvoie aux chercheurs critiques du handicap Biklen (2005) et Hahn (1988), cités par Fine (2019). Tous deux contestent également les concepts normatifs mobilisés pour analyser des individus en situation de handicap, dont les critères de diagnostic ou les études sont basés sur les difficultés et les déficits. Plutôt, ils valorisent la participation sociale, c’est-à-dire un aspect qui porte sur l’adéquation entre les caractéristiques de l’individu (p. ex., son identité, ses aptitudes et ses limitations) et celles de l’environnement côtoyé tel que proposé par Fougeyrollas (2010), comme par exemple la présence de mesures d’appui, de personnel de soutien, l’adaptation de documents en termes accessibles, etc.

Les Études du handicap et les ÉCH sont peu développées dans la recherche en français, ce qui peut expliquer le sous-développement du sous-champ des ÉCA en français. Bien que les théories critiques soient fréquemment mobilisées dans les Études du handicap, malheureusement ce domaine d’études n’est pas bien reconnu en français et s’éclipse souvent sous le terme « recherches transdisciplinaires » (Fougeyrollas, 2010; Parent, 2017). Spécifiquement, l’émergence d’une littérature sur les Études du handicap ou en ÉCH reste majoritairement en anglais jusqu’aux années 2010, lors de la publication du Modèle de développement humain : processus de production du handicap (MDH-PPH) 2 (Fougeyrollas, 2010). Il s’agit d’un modèle social du handicap grandement accepté depuis sa parution, particulièrement du côté de la littérature grise.

De la même manière qu’il est vrai pour tout autre objet d’étude, nous devons garder en tête que la recherche en anglais reste prédominante. Comme l’argumentent Imbeau et Ouimet (2013), la publication d’articles en anglais s’accompagne de multiples avantages, tout en étant très accessible pour les chercheur·euse·s francophones bilingues. Considérant ce contexte, la comparaison entre l’état de la littérature en anglais et en français s’intéressant aux situations de handicap s’avère inégale en raison des différences linguistiques marquées.

En parallèle à l’émergence des Études critiques en autisme dans le monde universitaire en anglais, ce bassin d’écrits se retrouve également peu développé dans l’univers francophone. Au-delà de la faible présence d’Études du handicap en français, les recherches collaboratives et participatives en autisme sont fréquemment combinées à celles sur la déficience intellectuelle (Petitpierre et Martini-Willemin, 2014). Le portrait est alors peu représentatif de l’autisme, spécifiquement pour les personnes autistes sans déficience intellectuelle. Toutefois, ces types de méthodes restent bien marginaux et émergents en autisme depuis les années 2010 (Parent, 2017). Conséquemment, il est difficile de quantifier ou de qualifier les ÉCH de manière plus globale dans la recherche en français.

Enfin, puisque la grande majorité de ces projets en français s’intéresse aux enfants autistes, la mobilisation de méthodes émancipatrices serait plus complexe auprès de cette catégorie de jeunes participant·e·s. Ces méthodes requièrent une implication de temps importante, en plus de nombreuses étapes soutenant une participation éclairée (Rosqvist et collab., 2019), ce qui n’est pas nécessairement possible. En considérant les écarts entre les littératures en français et en anglais sur le plan des Études du handicap et des Études critiques dans cette discipline, cet article vise à introduire les ÉCA dans un contexte de recherche en français qui font écho aux méthodes émancipatrices.

Nous souhaitons mettre en lumière l’expertise des personnes autistes, développée au fil de leurs expériences, ainsi que des fondements des ÉCA afin de réduire l’écart entre les écrits en français et les méthodes critiques par et pour les autistes. Cette contribution sert à jeter des ponts communs entre les ÉCA et les Études du handicap en établissant également des parallèles avec le mouvement social pour la neurodiversité. Ensuite, nous discutons des modèles médical et social du handicap (O’Dell et collab., 2016), essentiels à la compréhension des recherches actuelles en autisme. À la suite de la description des principes des ÉCA, nous traitons des obstacles potentiels en lien avec la culture de la recherche. Nous terminons par la proposition de pistes de réflexion centrées sur l’implication des personnes autistes, plutôt que sur celle d’acteur·trice·s non autistes (aussi appelé·e·s allistes). Au fil de cet article, nous relevons quelques facteurs contextuels spécifiques à la recherche en français pouvant expliquer le sous-développement des ÉCH et des ÉCA.

Fondements du mouvement pour la neurodiversité dans la communauté

Le mouvement social pour la neurodiversité se situe au cœur des communautés neurodivergentes, composées notamment des personnes autistes et de celles diagnostiquées ou s’identifiant avec les troubles déficitaires de l’attention (TDA), de troubles d’apprentissage, de déficience intellectuelle (DI), etc. Plus précisément, le terme neurodiversité a été d’abord utilisé par la sociologue australienne Judy Singer dans les années 1990 pour défendre sa fille. Il a été ensuite adopté par d’autres parents par le biais de groupes de soutien communautaires (Chamak, 2010; Rosqvist et collab., 2019).

Les regroupements populaires de soutien par et pour les personnes autistes s’étant davantage approprié la neurodiversité, un mouvement propulsé par ce concept a émergé afin de redéfinir leur différence, autrefois généralement caractérisée comme un handicap. Un postulat clé consiste à considérer respectueusement toutes les formes de différences en tant que variations naturelles du développement neurologique humain. En d’autres termes, la neurodiversité s’apparente à un type de diversité comparable à d’autres, dont les diversités culturelle, de genre, sexuelle et physique.

Les acteur·trice·s engagé·e·s de la neurodiversité (y compris les personnes autistes, leur famille, le personnel de santé et les chercheur·euse·s adeptes du mouvement) influenceraient les manières de concevoir l’autisme à travers des perspectives détachées du modèle médical. Les points de vue des individus autistes sont également valorisés, ce qui, en retour, augmente leur confiance en soi et leurs capacités à défendre leurs intérêts et leurs droits (Gillespie-Lynch et collab., 2017; Pellicano et collab., 2021; Woods, 2017). En redéfinissant la notion de handicap à travers la conception de la neurodiversité, diverses études suggèrent que les personnes réinterprètent positivement le fait d’être autistes (Jones et collab., 2014).

Depuis la première utilisation du terme dans les années 1990, l’attention portée au concept de neurodiversité est devenue de plus en plus importante grâce aux groupes de soutien et aux forums communautaires en ligne. Pour plusieurs, Internet est « aux personnes autistes ce que la langue des signes est aux personnes sourdes dans la mesure où les discussions sur Internet facilitent la communication entre les personnes [autistes] […] et leur permettent d’être moins isolées » (Dekker, 1999, p. 1, trad. libre). En outre, les plateformes en ligne semblent plus accessibles pour les personnes autistes que les interactions en personne, ce qui s’explique par la prévisibilité des environnements sociaux numériques et par l’organisation de l’information.

Ainsi, les sujets d’intérêt seraient plus facilement abordés en ligne, et plus de personnes échangeraient indépendamment de leur situation, de leur éducation, de leur milieu familial, de leur mode de vie et de leur localisation dans le monde. Comme le décrit Nugent (2017) dans le contexte d’une étude avec des participant·e·s franco-canadien·ne·s, les plateformes numériques créées par les personnes autistes bien avant l’enquête favoriseraient l’expression de soi et l’intégration sociale auprès d’autres individus autistes.

Au-delà des groupes de soutien communautaire, certains centres de recherche ont été créés en lien (?)avec le courant pour la neurodiversité, incluant l’Academic Autism Spectrum Partnership in Research and Education (AASPIRE), le Participatory Autism Research Collective (PARC) et l’Insight Group, formé par Autistica. Dans ce cas, l’émergence de groupes d’appui en ligne – et, occasionnellement, en personne – vise à établir un dialogue entre les chercheur·euse·s autistes par l’entremise de rencontres au cours desquelles les membres exposent leurs projets et promeuvent la collaboration avec des participant·e·s autistes. De plus, il existe des groupes privés[2] de chercheur·euse·s autistes anglophones (dont l’un a été fondé par le deuxième auteur de notre recherche, Nick Chown) comptant approximativement 3500 adhérent·e·s.

Ces initiatives sont malheureusement peu documentées à travers les différentes régions francophones. L’absence d’équivalence aux groupes de soutien anglophones cités plus haut s’expliquerait partiellement par le manque de connaissances en français sur la neurodiversité. Outre les travaux de Chamak (2010), notre recherche à travers les bases de données les plus utilisées (Google Scholar, ERIC, Érudit, Web of Science) indique que le nombre de publications savantes en français s’élève à 8 documents. Néanmoins, plusieurs groupes d’aide francophones existent, spécifiquement sur les médias sociaux comme Facebook (p. ex., Ressources et soutien autisme; Aspie Québec; Autisme, vivre avec…).

Nous avançons l’hypothèse que, de manière similaire aux écrits en anglais et ceux des ÉCH (Goodley et collab., 2019), les communautés francophones de personnes autistes et leurs allié·e·s seraient à l’avant-garde sur le courant de la neurodiversité, comparativement à la recherche. En prenant en compte l’émergence du mouvement pour la neurodiversité au sein de la recherche, nous établissons un parallèle avec le modèle social du handicap, bien ancré, et ce depuis plusieurs années, dans les divers contextes linguistiques. Ce dernier s’oppose au modèle médical, tel que nous le discutons dans la section suivante.

2. Modèles médical et social du handicap dans la recherche en autisme

Comprendre le concept de handicap est important pour situer la recherche actuelle en autisme (O’Dell et collab., 2016). La notion de neurodiversité, en cohérence avec le modèle social du handicap, met l’accent sur le manque d’inclusion dans les environnements, ce qui crée des situations de handicap pour les individus ayant des limitations physiques ou mentales selon les normes neurotypiques. Ce dernier s’oppose au modèle médical, qui promeut le changement des personnes autistes et la réduction de leurs traits autistes pour répondre davantage aux « normes » par l’intervention et la médication (Chamak, 2010; Rosqvist et collab., 2019).

Les personnes qui prennent position en faveur du modèle social, dont l’anthropologue Patrick Fougeyrollas (2010), grandement cité dans les écrits en français sur le handicap, soutiennent que les milieux ne sont généralement pas adaptés et exigent aux personnes en situation de handicap de s’y ajuster pour être incluses, plutôt que l’inverse. Des chercheur·euse·s, comme Nicolaidis (2012), estiment que, alors que les personnes autistes vivent des difficultés en lien avec leurs limitations, les structures sociales les amplifient et, conséquemment, créent leurs situations de handicap. Plusieurs théories s’inspirent du modèle social du handicap, comme par exemple, les modèles relationnels nordiques; au Canada, le MDH-PPH 2 de Fougeyrollas, 2010; la pyramide d’accessibilité numérique de Lussier-Desrochers et collab. (2016), pour ne citer que quelques-uns.

Bien que la majorité de la recherche dans les ÉCH soit en anglais, Fougeyrollas (2010) a publié le MDH-PPH 2, dorénavant reconnu dans les écrits en français. Dans les contextes de recherche en français, cet auteur propose une nouvelle expression pour qualifier les personnes handicapées, c’est-à-dire des « personnes en situation de handicap ». Précisément, le concept de handicap ne dépend pas uniquement de l’individu, mais de l’adéquation de l’environnement. Dans les années suivant la parution du modèle, de nombreux documents et services communautaires canadiens adoptent l’expression « personne en situation de handicap » pour désigner des individus auparavant caractérisés comme handicapés (OPHQ, 2019). Il apparaît donc que la publication de ce récent modèle social du handicap dans la francophonie a été un élément important dans l’évolution du concept de handicap.

Toutefois, la position soutenue par le modèle social n’est pas intégrée à la majorité des ressources portant sur les personnes autistes. Dans la plupart des publications scientifiques, gouvernementales ou médiatiques, le discours est dominé par une conception déficitaire de l’autisme, soit comme un trouble et un déficit nécessitant d’être « réparé », « traité » et « effacé ». La recherche de Pellicano et ses collègues (2014) indique que, à travers l’utilisation de termes péjoratifs, la stigmatisation dans les communautés et les médias (p. ex., journaux, réseaux sociaux, télévision et cinéma) a des impacts sur les activités quotidiennes des adultes autistes. De plus, les stéréotypes et perceptions négatifs demeurent fréquents. Pensons à cette comparaison avec Rain Man ou d’autres personnages autistes dans des films et des émissions ou encore aux expressions « nous sommes tous un peu autistes », banalisant les difficultés vécues par les personnes autistes.

Dans les écrits en français, Laflamme (2020) relève plusieurs termes péjoratifs utilisés pour parler de l’autisme, souvent considéré au même niveau qu’une « maladie » dans la culture scientifique et populaire. Cette conception est notamment véhiculée par des expressions incluant « personnes vivant avec l’autisme », « personne avec l’autisme », « personne souffrant d’autisme » et « personnes porteuses d’autisme ». Comme le soulignent Pellicano et ses collègues (2014), ces formules défavorables et invalidantes envers les individus autistes proviennent du modèle médical et contribuent à leur marginalisation.

Même si le modèle social n’a pas été pleinement appliqué dans les contextes politique, social et scientifique, de plus en plus de médias et de personnes, allistes et autistes, remettent en question ce discours sur l’autisme, ce qui a entraîné le mouvement pour la neurodiversité ainsi que la philosophie de l’inclusion, sous-jacents au modèle social du handicap. Faisant écho aux ÉCH, les ÉCA ont contribué à des réalisations importantes, dont la mise en relief de l’apport des personnes autistes ainsi que l’émancipation ou, encore, la diminution de la pression sociale à réduire et à contenir les comportements autistiques (Woods, 2017). Dans la recherche en autisme, cette prise de conscience collective a contribué à l’élaboration d’un important corpus des ÉCA que nous présentons dans la section suivante.

3. Études critiques sur l’autisme (ÉCA)

Les ÉCA constituent la réponse d’un mouvement contre la recherche en autisme, grandement critiquée pour le manque de représentation de participant·e·s autistes. L’inclusion des perspectives autistes dans la recherche tend à être marginale (Chown et collab. 2017). L’absence d’environnements de recherche adaptés à la neurodiversité expliquerait pourquoi il existerait un écart frappant entre la recherche et les besoins des communautés autistes (den Houting et Pellicano, 2019; Pellicano et collab., 2014).

Sans pouvoir être activement impliquées dans la recherche sur elles, les communautés autistes critiquent les travaux en autisme guidés par les intérêts des chercheur·euse·s et des organismes de financement, généralement peu engagés dans les communautés autistes (Pellicano et collab., 2014). Ainsi, l’absence de recherche par et pour les personnes autistes contribuerait aux écarts entre les collectivités autistes et celles allistes. Ce fossé serait également compris à travers l’hypothèse de la double empathie (Milton, 2012), qui soutient des malentendus réciproques. En effet, cette théorie réfère à l’expérience différente, aussi dite « double », d’une même situation. L’écart entre la perspective des personnes autistes et celles qui ne sont pas autistes expliquerait la difficulté à se comprendre mutuellement. Pour répondre à ce problème, Milton (2012) propose d’impliquer plus de chercheur·euse·s autistes.

D’autres enjeux concernant la validité de la recherche attirent l’attention des ÉCH ou des ÉCA. D’un côté, Howlin et Magiati (2017) argumentent que les résultats scientifiques, leur pertinence et leurs impacts sur la qualité de vie des personnes autistes seraient faibles, en l’absence de leur implication dans le processus de recherche. D’un autre côté, certaines familles ainsi que certains membres du personnel enseignant et médical gravitant autour des individus autistes estiment que la recherche en autisme ne parvient pas à décrire les expériences vécues des autistes (Jones et collab., 2014; Nicolaidis, 2012). De ces deux points de vue, nous pourrions ainsi contester la pertinence des projets de recherche qui ne collaborent pas avec des participant·e·s autistes et qui, donc, paraissent déconnectés de leurs réalités.

En conséquence, de plus en plus de recherches reconnaissent devoir adopter une méthode collaborative et coconstruire les connaissances en autisme avec des personnes autistes (Fletcher-Watson et collab., 2019; Milton, 2014; Nicolaidis et collab., 2011) pour accroître l’inclusion des perspectives autistes et pour contribuer à une révision des connaissances actuelles, majoritairement issues de perspectives allistes sur l’autisme. Par exemple, Waltz (2006) affirme que l’implication des participant·e·s autistes apporterait des précisions, car leur expérience vécue fournirait des informations importantes sur leurs besoins, sur leurs priorités et sur leurs défis (Fletcher-Watson et collab., 2019; Milton, 2014; Nicolaidis et collab., 2011). Les enjeux de validité peuvent être abordés en partie par les principes méthodologiques au cœur des ÉCA.

3.1 Principes des ÉCA

Les ÉCA résonnent avec les recherches émancipatrices par la reconnaissance de la contribution significative des personnes autistes (c.-à-d. l’intégration de leurs points de vue et ceux de leurs allié·e·s ainsi que l’inclusivité) en adaptant l’environnement de recherche (Fletcher-Watson et collab., 2019; Waltz, 2006). En faisant écho à la théorie féministe et queer ainsi qu’au concept d’intersectionnalité, le milieu de recherche offrirait un espace dans lequel les expériences autistiques défient le modèle médical et remettent en question le rapport de pouvoir entre les personnes allistes et autistes (Rosqvist et collab., 2019), tout comme dans les ÉCH (Goodley et collab., 2019). Les ÉCA incluent des projets sous la direction de chercheur·euse·s autistes, un partenariat avec des personnes autistes ou des allié·e·s en tant que cocréateur·trice·s de connaissances, un engagement avec la communauté en général (p. ex., par le biais des médias sociaux) et une consultation avec des individus ou des organisations communautaires alliés en autisme.

Pour transformer la dynamique traditionnelle entre les équipes de recherche et les participant·e·s autistes, les ÉCA visent à fournir un environnement bienveillant dans lequel l’équipe et les personnes participantes explorent des questions telles que l’expression de soi, l’identité et le partage d’expériences personnelles (Chownet collab., 2017, O’Dell et collab., 2016). Ces approches permettent d’assurer que les perspectives des participant·e·s autistes sont prises en compte et documentées et que la recherche aboutit à des résultats bénéfiques pour les parties prenantes (Waltz, 2006). De plus, les principes des méthodes émancipatrices, à savoir encourager la participation de cochercheurs et les amener à avoir du contrôle sur la recherche, à contribuer à la prise de décisions et à s’approprier le processus de recherche (Zarb, 1992, p. 125-126) clarifient le pouvoir des décideurs sur la recherche. Cette dynamique révèle ainsi : ce qu’ils décident dans le processus de recherche, dont leur influence sur les données, leur analyse et leur présentation. Autrement dit, la répartition du pouvoir dans la recherche est mise en lumière en s’efforçant de la partager avec les cochercheurs dans une perspective émancipatrice.

Dans la pratique, les ÉCA poursuivent l’inclusivité en adaptant l’environnement de recherche, et ce, pendant toutes les étapes du processus de recherche, incluant la collecte des données et le transfert des connaissances dans les communautés. La transformation de la dynamique de pouvoir implique une flexibilité de la part des chercheur·euse·s dans le but de permettre l’embauche de collègues autistes et, donc, de capturer la diversité des points de vue autistes selon les styles de communication de chaque participant·e. Souvent, les personnes autistes non verbales et celles avec une déficience intellectuelle sont exclues de la recherche (Pickard et collab., 2021; Rosqvist et collab., 2019).

Les méthodes de recherche créatives et visuelles pour la collecte des données s’avéreraient alors appropriées. D’autre part, l’adaptation de l’environnement physique de recherche pour réduire les stimuli sensoriels et les distractions serait nécessaire (Rosqvist et collab., 2019). D’ailleurs, Rosqvist et ses collègues (2019) offrent quelques exemples de soutien pour favoriser un transfert de connaissances accessibles, incluant des synthèses, de la diffusion de vidéos vulgarisés et des performances artistiques pour communiquer les résultats de recherche.

De leur côté, Pellicano et ses collègues (2021) discutent de la valeur ajoutée que les chercheur·euse·s autistes apportent à un projet dans lequel des participant·e·s autistes racontent leur histoire de vie. Par exemple, iels ont été enthousiastes à l’idée de pouvoir retracer leur récit et considéraient cette occasion comme innovante, éclairante et stimulante dans leur vie. Ces participant·e·s déclarent également s’être senti·e·s « soutenus jusqu’au bout »; une personne participante convient que « c’était plus facile parce qu’un chercheur autiste [l]’a interviewé[e] » (Pellicano et collab., 2021, s. p., trad. libre). Iels rapportent être appuyé·e·s et ravi·e·s que le projet soit dirigé par des personnes autistes, et estiment également pouvoir davantage partager avec cette personne qu’avec une personne alliste (Pellicano et collab., 2021). De manière similaire, Damian Milton, Ph. D., le chercheur principal d’une étude par Martin et ses collègues (2019), parle du rôle des parents d’enfants autistes. Ceux-ci rapportent que Milton est le premier adulte autiste avec lequel iels ont été capables d’échanger de cette manière, ce qu’iels relèvent comme une expérience « transformatrice ».

Les études de Pellicano et ses collègues (2014) et Martin et collab. (2019) soutiennent bien cette approche, alors que l’implication des chercheur·euse·s autistes enrichit l’expérience des participant·e·s autistes. À ce sujet, Milton et Bracher (2013) sont parmi les premiers à avoir mis en lumière la valeur ajoutée de la contribution de personnes autistes en augmentant l’intégrité épistémologique et en alignant la connaissance savante avec leurs priorités. En retour, la contribution des communautés autistes se base sur les perspectives uniques de chacune, ce qui peut bonifier les savoirs scientifiques sur l’autisme (Gillespie-Lynch et collab., 2017).

Dans les écrits en français, les études de ce type sont limitées. Seule une poignée de cas sont connus, par exemple la collaboration de longue date entre Laurent Mottron et Michelle Dawson ainsi que le projet en cours sur le mentorat par des pairs autistes dirigé par Autisme Ensemble (Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine). Comme l’observe Parent (2017), le sous-développement des connaissances en français, de manière plus globale, peut en partie expliquer cette rareté. Dans tous sujets d’étude confondus, les projets en anglais prédominent dans les écrits scientifiques. Imbeau et Ouimet (2013) soutiennent que la publication d’articles en anglais apparaît généralement plus avantageuse, particulièrement en matière d’accessibilité pour les chercheur·euse·s canadiens. Elle inclut bien souvent plus d’opportunités de publier, d’être cité·e, de présenter les résultats sur la scène internationale ainsi que d’être admissible à de la reconnaissance et à des prix étrangers.

Par conséquent, une grande majorité des études est publiée en anglais plutôt qu’en français. Pour citer Parent (2017) à ce sujet : « De par leur nombre important et leur implication autant dans la recherche que la défense des droits principalement aux États-Unis et au Royaume-Uni, leurs savoirs ont sans doute pu se propager plus facilement et stimuler de multiples débats d’idées » (p. 186). Toutefois, quand le contexte requiert de produire des connaissances scientifiques en français, comme au Québec, où la majorité de la population parle français, un écart important se creuse entre le nombre d’écrits en anglais et en français (Imbeau et Ouimet, 2013).

Compte tenu de ces éléments, il semble normal de remarquer un décalage entre le développement des ÉCH dans la recherche en français, alors que les publications en anglais nécessitent aussi d’être traduites et réinterprétées dans ce contexte.

3.2 Obstacles à la mise en pratique des ÉCA

Il existe plusieurs obstacles aux ÉCA dans les contextes universitaires, qu’ils soient anglophones ou francophones, à savoir : la nécessité de développer des relations de confiance, les exigences pratiques et la nécessité d’investir pour soutenir la méthodologie collaborative.

Milton et ses collègues (2019) relèvent des obstacles à un processus d’embauche équitable envers les chercheur·euse·s autistes. Martin (2020) soutient que les chercheur·euse·s autistes rencontrent des obstacles importants dans le monde universitaire. Martin (2020) et d’autres universitaires mettent en relief la précarité des emplois occupés par les personnes autistes, souvent dans des perspectives professionnelles injustes et inéquitables. Toutefois, le système universitaire pourrait aider davantage les personnes autistes (Martin, 2020; Pickard et collab., 2021). Cependant, la plupart des contextes d’études ne soutient pas ce type de dynamique, notamment en raison du manque d’appui financier pour prendre le temps d’établir une telle relation et du besoin de générer rapidement des articles scientifiques (Pickard et collab., 2021). En effet, il est nécessaire de créer des ponts entre les personnes autistes et le monde scientifique par le biais d’initiatives centrées sur la collaboration, même s’il existe plusieurs enjeux en lien avec le temps, le soutien et le financement. Pensons aux initiatives du Participatory Autism Research Collective (PARC), de la National Association of Disability Practitioners (NADP) ou du Journal of Interdisciplinary Practice in Further and Higher Education (JIPFHE). Le financement peut être un obstacle encore plus important à la recherche en français, car celle-ci reçoit moins de soutien que celle en anglais (Imbeau et Ouimet, 2013).

De manière générale, les méthodes émancipatrices qui encouragent le partage du pouvoir dans le domaine de l’autisme restent relativement marginales (Milton et Bracher, 2013) puisque l’inclusion des participant·e·s tend à être l’exception plutôt que la règle (Chown et collab., 2017). Bien que cette approche ait une longue tradition dans d’autres objets scientifiques, son émergence dans le domaine de l’autisme demeure tardive (Milton et Bracher, 2013; Pickard et collab., 2021). Parmi le bassin limité d’études, Jivraj et ses collègues (2014) soulignent que le nombre de projets réellement émancipateurs serait encore plus faible. En d’autres termes, il semble rare que la méthodologie soit collaborative en visant à coconstruire des connaissances avec des personnes autistes (Rosqvist et collab., 2019). Ainsi, celle-ci peut être moins maîtrisée par les chercheur·euse·s en autisme.

Dans le cas de méthodes à visée émancipatrice dans lesquelles les relations de confiance se bâtissent graduellement, Pellicano et ses collègues (2014) décrivent trois niveaux d’implication : la diffusion, le dialogue et le partenariat. Dans le premier niveau, il est question de diffuser les connaissances de manières accessibles aux communautés autistes, que ce soit par des infographies, des courriels ou des ateliers. Dans le deuxième niveau, les équipes de recherche communiquent avec des personnes autistes, dites « consultantes », pour avoir leur point de vue sur le projet. Dans le troisième niveau, les équipes de recherche collaborent avec des personnes autistes en tant que partenaires pour décider des objectifs de la recherche et prendre des décisions pour les atteindre durant le projet La collaboration est nécessaire pour établir une discussion entre la recherche en autisme et les personnes autistes. Les chercheur·euse·s autistes sont évidemment les mieux placés pour créer ces ponts, comme le soutiennent Pellicano et ses collègues (2014) ainsi que Martin et collab. (2019).

Idéalement, les organismes subventionnaires devraient exiger un engagement de participant·e·s et chercheur·euse·s autistes pour l’obtention de financement. Autrement dit, l’environnement scientifique doit offrir un espace dans lequel l’expression des points de vue des personnes autistes remet en question les dynamiques de pouvoir favorisant les individus allistes au-dessus des autres. Rosqvist et ses collègues (2019) expliquent qu’ils « […] considèrent l’aire universitaire comme un site d’émancipation en soi » (p. 1083, trad. libre). Par exemple, le Participatory Autism Research Collective (PARC) (Milton et collab., 2019) vise à ouvrir les espaces aux chercheur·euse·s autistes. Nous pensons également à la London South Bank University, où les projets en autisme sont encadrés par la politique du Centre for Social Justice and Global Responsibility. Occasionnellement, les projets de cette institution incluent des membres autistes dans leur équipe. Malheureusement, les contrats dans le monde universitaire sont courts et dépendent des fonds disponibles. Cette réalité amène plusieurs chercheur·euse·s autistes à mener leur recherche non financée dans leur temps libre (p. ex., l’Independent Autism Research Group). De plus, Pellicano et ses collègues (2021) remarquent que les détails en lien avec la collaboration sont rarement explicités, à savoir la durée, les responsabilités des cochercheur·euse·s, les méthodes de communication ou le processus menant à la prise de décision. Idéalement, les organismes subventionnaires devraient l’obliger, en plus d’exiger un réel engagement de la part des chercheur·euse·s et des participant·e·s autistes pour obtenir du financement.

Rosqvist et ses collègues (2019) estiment qu’il est nécessaire pour les équipes de recherche d’être cohérentes et représentatives de la diversité des points de vue des participant·e·s autistes. Des facteurs comme les biais inconscients, le capacitisme internalisé, la théorie des insiders-outsiders[3] et la dynamique de pouvoir sont à considérer. Le langage peut aussi causer des difficultés avec les participant·e·s et chercheur·euse·s « étranger·ère·s » à travers une conception déficitaire issue de la terminologie du modèle médical. Par exemple, le mot « déficience » est problématique (Rosqvist et collab., 2019; Martin et collab., 2018). Ce langage, utilisé presque exclusivement dans les études en français, exacerbe le clivage entre les chercheur·euse·s allistes et les participant·e·s autistes. Cet écart constitue un des obstacles principaux aux ÉCA en français, alors que la recherche n’est pas considérée comme un espace émancipateur, mais plutôt comme un autre milieu neurotypique qui aggrave les difficultés aux personnes autistes.

Également, il semble que la majorité des études en français n’inclut pas de cochercheur·euse·s autistes, ni même de relations collaboratives, possiblement parce que la valeur ajoutée des personnes autistes dans la recherche n’est pas reconnue. Pickard et ses collègues (2021) encouragent le financement de la recherche pour construire les connaissances avec des personnes autistes, ce qui aiderait à surmonter le tokénisme actuel. Dans les contextes en français, l’absence d’initiatives pour promouvoir la recherche collaborative est un obstacle qui s’explique en partie par la difficulté à soutenir des projets de ce type. Comme nous l’avons discuté précédemment, cette difficulté serait accentuée par le peu d’ÉCH dans la francophonie (Parent, 2017), combinée aux obstacles habituels rencontrés lors de la mise en œuvre de méthodes participatives auprès de groupes d’individus marginalisés (Petitpierre et Martini-Willemin, 2014).

Dans ces conditions, nous émettons l’hypothèse selon laquelle les personnes autistes seraient considérées à travers une perspective issue du modèle médical. Conséquemment, leur apport dans la construction de connaissances dans la recherche en autisme ne serait pas reconnu par de multiples chercheur·euse·s, ce qui explique les défis quant au transfert d’une méthodologie participative. Autrement dit, les allistes en recherche sous-estimeraient souvent les habiletés des communautés autistes, alors que celles-ci seraient perçues comme « déficitaires » du point de vue de la norme neurotypique. Selon Waltz (2006), les caractéristiques autistiques, soit les difficultés sociales et de communication, rendent les chercheur·euse·s sceptiques quant à la manière dont les personnes autistes peuvent être incluses dans le processus de recherche, en particulier pour obtenir le consentement, pour éviter les erreurs d’interprétation et pour réduire les distractions sensorielles (p. ex. bruits de fond, néon, nombre élevé d’interlocuteur, absence de soutien visuel).

Pour surpasser ces divers obstacles en lien avec la maîtrise des méthodes émancipatrices, avec la représentativité des résultats et avec le contexte linguistique en français, nous concluons cet article en proposant quelques pistes de réflexion pour la recherche internationale et en français en autisme.

4. Conclusion : pistes de réflexion pour la recherche en autisme

Les ÉCA, plutôt que d’être réduites à une méthodologie ou à un ensemble de méthodes, sont davantage basées sur le modèle social du handicap et sur une posture d’enquête avec les personnes autistes. Malheureusement, l’expression Études critiques en autisme n’est pas encore utilisée dans la recherche en français, bien que les modèles sociaux du handicap soient établis depuis de nombreuses années.

Dans cet article, nous soulignons que le langage, particulièrement dans la recherche en français, provient du modèle médical toujours prédominant. Pellicano et ses collègues (2014) revendiquent l’urgence de se pencher sur les discours péjoratifs sur l’autisme et soulignent le potentiel du modèle social du handicap à ce sujet. Le langage déficitaire, utilisé presque exclusivement dans la recherche en français, mettrait un frein à la recherche comme un espace émancipateur, alors que l’environnement reste neurotypique. Autant dans les contextes anglophones que francophones, les savoirs scientifiques en autisme construits avec des personnes autistes ont beaucoup à apporter pour passer d’une responsabilité individuelle à une responsabilité collective à propos des milieux neurotypiques (Woods, 2017).

Les ÉCA se basent sur la philosophie de la neurodiversité et sur la prémisse du modèle social pour contrer les milieux neurotypiques généralement non inclusifs ni adaptés aux individus en situation de handicap (y compris neurodivergents). Le but de la coconstruction de connaissances dans la recherche en autisme n’implique pas seulement l’inclusion de participant·e·s autistes, mais aussi l’embauche de chercheur·euse·s autistes, enjeu auquel le milieu universitaire fait face de plusieurs façons (Chown et collab., 2015; Martin, 2020).

Ainsi, sortir du tokénisme actuel dans la recherche, que ce soit en anglais ou en français, doit être fait par l’établissement de relations de confiance entre les équipes de recherche et les personnes participantes, dans un environnement de recherche émancipateur approprié aux caractéristiques des personnes autistes. Dans ce contexte linguistique, les quelques méthodes émancipatrices et participatives présentes sont émergentes et marginales puisque celles-ci n’ont été introduites que dans les années 2010 dans la recherche en autisme (Petitpierre et Martini-Willemin, 2014). À ce propos, les travaux des universitaires autistes produiraient des changements positifs (Milton et collab., 2019).

En considérant l’autisme sous l’angle de la neurodiversité, Fletcher-Watson et ses collègues (2019) mentionnent quelques modifications du contexte environnemental qui faciliteraient l’inclusion des personnes neurodivergentes. Ces changements comprennent l’adaptation des espaces physiques et de la bureaucratie (p. ex., dans le milieu universitaire), notamment sur le plan sensoriel, pour permettre l’implication des personnes autistes dans la recherche. À ce propos, plusieurs ressources disponibles traitent de l’accessibilité pour promouvoir la participation des personnes neurodivergentes (voir AASPIRE[4]; Fletcher-Watson et collab., 2019; Nicolaidis, 2012; Nicolaidis et collab., 2011; PARC[4]; Pellicano et collab., 2014, 2021). À ce propos, les membres du Participatory Autism Research Collective (PARC) ont commenté la valeur de l’engagement en ligne (Milton et collab., 2019).

L’idéal est que les chercheur·euse·s autistes soient au cœur de la recherche en autisme. Chown et ses collègues (2017) suggèrent qu’un ou plusieurs de ces spécialistes valident les projets conçus par des équipes de recherche allistes :

Cela garantit que le projet de recherche est basé sur la conviction que les principales raisons pour lesquelles les personnes autistes ne peuvent pas vivre une vie épanouissante sont les obstacles placés sur leur chemin par une société alliste, et qu’il est de la responsabilité de cette société de supprimer ces obstacles, et non de blâmer les difficultés rencontrées par les personnes autistes sur elles en tant qu’individus. (p. 727, trad. libre)

Cette citation fait écho au modèle social du handicap, qui vise à déplacer la responsabilité individuelle vers une responsabilité collective pour créer un environnement et de la recherche plus inclusifs. Potentiellement, cela peut changer la culture universitaire actuelle vers l’inclusion de chercheur·euse·s neurodivergent·e·s ainsi que de projets souhaitant mettre en relief ces obstacles.

Des enquêtes émancipatrices et des groupes d’échange en ligne se créent de plus en plus partout à travers le monde. Parmi les plus documentés, on y retrouve l’Academic Autism Spectrum Partnership in Research and Education (AASPIRE), le Participatory Autism Research Collective (PARC) et l’Insight Group, formé par Autistica. Dans les régions francophones du monde, comme le Canada, la France, la Suisse, la Belgique et les communautés francophones de l’Afrique et de l’Asie, les groupes émancipateurs sont rares. Cet article vise à stimuler le progrès vers une recherche en autisme inclusive, informée et coproduite par et avec des personnes autistes, dans le but de comprendre et déconstruire les barrièresles barrières invalidantes construites socialement que connaissent les personnes autistes.

Endnotes

  1. Ce terme a été utilisé pour la première fois par Davidson et Orsini (2010), cités dans O’Dell et collab. (2016).
  2. Ces groupes Facebook de chercheur·se·s autistes sont tenus privés en raison de la stigmatisation qui perdure à propos de l’autisme, soit que la divulgation de l’identité autiste comporte des risques quant à la carrière des membres de ce groupe.
  3. Dans cette théorie, il est question de membres d’un groupe culturel, économique, identitaire ou social qui sont considérés comme des insiders. Les personnes n’y appartenant pas sont ainsi des non-membres, aussi appelées des outsiders. Dans un contexte de recherche, la théorie insiders-outsiders implique que les chercheur·euse·s non-membres d’un groupe au centre de leur étude peuvent avoir une compréhension et des biais associés à leur absence d’expérience dans ce groupe. Par exemple, iels pourraient poser des questions naïves, ne pas comprendre la signification ou l’importance de certains enjeux soulevés et remettre en doute la pertinence de certains propos (pour plus de détails, voir Brigdes, 2017). .
  4. https://aaspire.org
  5. https://participatoryautismresearch.wordpress.com

References